Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Construction bas carbone : un allié en béton

Matériau 100 % naturel, le béton possède des caractéristiques de durabilité et des performances inégalables en matière de construction, mais une empreinte carbone montrée du doigt. Carrières, ciment, béton prêt à l’emploi… Les représentants de cette filière amont du BTP nous détaillent les efforts engagés pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

béton

© Shutterstock

« On avait les mains dans le béton, alors on n’a pas pensé à expliquer ce qu’on faisait pour améliorer notre empreinte carbone », convient Ann Soucaret, élue en mars par le Syndicat national du béton prêt à l’emploi (SNBPE) à la tête du collège BPE de la région Nouvelle-Aquitaine. Dirigeante du bétonnier indépendant charentais Garandeau, elle veut changer la connotation négative qui colle à ce matériau, en dépit de ses qualités et de ses origines 100 % naturelles.

Composé de matériaux minéraux contenus dans le sous-sol, dont 95 % de granulats (sables et graviers), de ciment (issu d’argile et de calcaire) et d’eau, le béton présente « des caractéristiques de performance et de durabilité incomparables, avec une durée de vie reconnue par la norme de 50 ans », indique Christophe Delhaye, délégué régional SNBPE NA. Et cela fait déjà longtemps que la filière œuvre pour réduire son empreinte carbone.

Le béton possède des caractéristiques de performance et de durabilité incomparables

EAUX DE RUISSELLEMENT

« Dans nos centrales, on ne jette rien, on recycle tout », commence Ann Soucaret. L’eau utilisée pour la fabrication du béton provient par exemple de la récupération des eaux de ruissellement. « Notre priorité est de ne pas utiliser l’eau du réseau », insiste-t-elle. Une pratique inscrite dans la conception même des centrales à béton, saluée par l’Agence de l’eau, « qui a conclu que nous étions d’excellents élèves en matière de gestion de l’eau », se targue Christophe Delhaye. « Nous menons également un combat contre le gaspillage de béton, pour que les quantités livrées soient au plus juste », poursuit Ann Soucaret, qui rappelle que 3 % des 41 millions de m3 de béton produits chaque année en France reviennent dans les centrales. Enfin, le béton lui-même est recyclable à l’infini « dans un cycle continu, puisque nous travaillons à la reconstruction de la ville sur elle-même », note Patrice Gazzarin, président de l’Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (UNI-CEM) de Nouvelle-Aquitaine.

PÉNURIE LOCALE

Lafarge, béton

La résidence en béton bas carbone Combo, à Bordeaux © Lafarge

Alors, matériau idéal, le béton ? Pas tout à fait. Sa première faille se situe au niveau du transport. Des granulats tout d’abord, dont le transport génère 70 % de leur empreinte carbone. Les 400 millions de tonnes de sables et graviers utilisées chaque année en France sont en effet principalement acheminées par la route. « Et il faut savoir que leur coût double par tranche de 50 km de distance supplémentaire », précise Patrice Gazzarin de l’UNICEM NA. Malgré la nécessité économique et écologique de produire cette matière première au plus près des chantiers, « les carrières souffrent d’un problème d’acceptabilité par le grand public et les élus, qui débouche sur le rejet des dossiers de demande d’ouverture de sites industriels au plus près des bassins de consommation. Résultat : il devient difficile de satisfaire les besoins en granulats dans les territoires », prévient-il.

Et les distances s’allongent. C’est notamment le cas en Gironde, où il existe une véritable « pénurie locale » de granulats, le département produisant seulement 5 millions des 8 millions de tonnes qu’il consomme chaque année, et important les 3 millions manquant des Charentes, du Lot-et-Garonne et de la Dordogne.

DÉMARCHE DE LOBBYING

Même constat pour le transport du béton prêt à l’emploi (qui se distingue du béton préfabriqué comme les parpaings), auquel s’impose une contrainte supplémentaire : une durée de vie à l’état frais (après mélange et avant mise en œuvre) de seulement 2 heures. La distance moyenne parcourue par un camion toupie, dont le mouvement assure l’homogénéisation du mélange, est ainsi de 20 km. « Pour éviter les déplacements sur de plus longues distances, nous avons multiplié les petites unités de production sur tout le territoire », précise Christophe Delhaye. Le SNBPE est d’ailleurs dans « une démarche de lobbying auprès des pouvoirs publics, afin de leur faire admettre que les autorisations d’exploitation sont essentielles. Les carrières et les centrales à béton doivent se situer là où se trouve la demande ! », insiste le délégué régional SNBPE, qui comme l’UNICEM prône l’utilisation de ressources locales, les notions de circuits courts et d’économie circulaire dans la construction. « L’enjeu sociétal et environnemental passera par l’acceptation des industries près de chez soi. Nous allons devoir faire des compromis et sacrifier une partie de notre confort. Ce changement en profondeur sera un enjeu générationnel », souligne Patrice Gazzarin de l’UNICEM NA.

3E POLLUEUR MONDIAL

L’autre point faible du béton en matière d’empreinte carbone provient du ciment, et plus précisément de la fabrication de ce composant majeur du béton, dont il constitue le liant. Le ciment, dont 16,4 millions de tonnes ont été produites en 2020, ne représente pourtant qu’une infime part du mélange : 300 kg environ sont utilisés par mètre cube de béton (équivalent à 2,5 tonnes). Mais il s’agit du troisième pollueur mondial, pesant 8 % des émissions mondiales de CO2. C’est le « clinker », principe actif du ciment, qui porte l’essentiel de l’empreinte carbone du matériau, obtenu par cuisson à très haute température d’argile et décarbonatation de calcaire. Cela fait pourtant des décennies que la filière cimentière travaille à diminuer son impact, déjà réduit de 40 % entre 1990 et 2015, et qui a pour objectif de le faire baisser encore de 24 % d’ici 2030, puis de 80 % à l’horizon 2050, selon les chiffres du Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC), qui regroupe les principaux cimentiers internationaux. Pour cela, la filière s’est dotée d’une feuille de route articulée autour de cinq leviers, agissant sur les procédés de production et sur les produits.

Dans nos centrales, on ne jette rien, on recycle tout

COMBUSTIBLES ALTERNATIFS

Avec tout d’abord la réduction de la consommation d’énergies fossiles au profit d’énergies alternatives et de biomasse-énergie. « En 2021, la filière a ainsi utilisé 44 % de combustibles alternatifs issus de la valorisation de déchets tels que les farines animales, les huiles et les solvants usagers… », précise Vincent Pegeot, directeur process et environnement au SFIC, économisant 1,8 million de tonnes d’émissions carbone. Ensuite en améliorant l’efficacité énergétique des process du ciment, un levier « long et coûteux à mettre en place », remarque Vincent Pegeot.

La Gironde produit seulement 5 millions de tonnes de granulats sur les 8 millions qu’elle consomme chaque année

Côté produit, « le premier levier consiste à réduire la teneur en clinker des ciments, grâce à des solutions reposant sur une combinaison de calcaire/laitiers de haut fourneau ou calcaire/argiles calcinées, associés au clinker en proportion réduite », détaille Laurent Izoret, directeur délégué produits (applications et recherche) au SFIC, qui a travaillé sur la nouvelle norme autorisant la production de ces ciments qui arrivent sur le marché, et sur la suivante qui devrait autoriser l’incorporation des fines de béton recyclé aux ciments. À terme, des matières premières alternatives déjà décarbonatées correspondant à des déchets d’autres industries, comme la silice, pourraient également être valorisées dans le ciment.

FAIRE CHANGER LES HABITUDES

Le dernier levier de la filière cimentière, consistant à développer des technologies de rupture reposant sur la captation, le stockage et la valorisation du CO2, pourra quant à lui être actionné à partir de 2030. Avant cela, « l’Europe devra reconnaître le fait de capter et de valoriser le CO2 comme participant à la réduction globale des émissions carbone », interpelle Vincent Pegeot. Pour réussir la décarbonation de la filière, « nous devons aussi pouvoir accéder aux financements de France 2030, car ces changements constituent d’énormes investissements et coûts opérationnels. Il va également falloir réfléchir aux infrastructures énergétiques et à la répartition des ressources telles que l’eau ou encore l’énergie électrique décarbonée… », note le directeur process et environnement au SFIC. Enfin, il faudra faire changer les habitudes sur les chantiers. « Nous avons déjà des solutions. Mais il faudra être capable de changer les pratiques, avec des durées de séchage et donc des rythmes de travail différents », remarque Christophe Delhaye du SNBPE NA.

L’ensemble de la filière vise la neutralité carbone en 2050

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MIXITÉ DES MATÉRIAUX

Confrontée à des difficultés de recrutement majeures, qui ont poussé entreprises et fédérations à créer leurs propres écoles de formation ; drastiquement contrainte par les normes telles que la RE2020, même s’il existe aujourd’hui « une trajectoire technique et normative nous permettant de travailler sur de nouveaux produits », note Laurent Izoret du SFIC ; l’ensemble de l’industrie du béton multiplie les efforts pour améliorer son empreinte carbone et son image. Matériau de construction irremplaçable pour les fondations, certaines structures de ponts, barrages ou bâtiments en hauteur, puits de carbone à l’état brut, le béton vise, comme tout le secteur de la construction, la neutralité carbone à l’horizon 2050. « Mais un matériau à lui seul n’a pas la solution. La démarche bas carbone dans la construction doit reposer sur une approche globale : il faut voir les choses dans leur ensemble, des fondations jusqu’aux revêtements », insiste Christophe Delhaye du SNBPE NA. « La mixité et la complémentarité des matériaux est intéressante, il faut mettre le bon matériau au bon endroit, analyser les cycles de vie dans la durée, favoriser les matériaux locaux… », ajoute Patrice Gazzarin. Une problématique qui ne doit pas s’apprécier matériau par matériau, mais ouvrage par ouvrage et territoire par territoire.

 


BÉTON BAS CARBONE : L’EXEMPLE COMBO À BORDEAUX

Plusieurs expériences d’ouvrages en béton bas carbone sont menées en France, et notamment sur le territoire.

La résidence de 35 appartements Combo, quai de Brazza à Bordeaux, en est un exemple. Construit en béton bas carbone ECOPact de Lafarge Bétons (groupe Holcim), produit localement, le bâtiment, qui se veut une référence locale, a permis à Lafarge Bétons Aquitaine « de tester cette gamme de béton en une application verticale (…), et entre autres d’en mesurer la qualité et les éventuelles différences de mise en œuvre », précise dans un communiqué Charles Descatoire, chargé de développements de produits spéciaux chez Lafarge.

1 000 m3 de béton bas carbone ont ainsi été coulés sur les 1 600 m3 du chantier Combo, permettant de réduire son impact carbone d’environ 100 tonnes.

 

LA FILIÈRE DES MATÉRIAUX MINÉRAUX EN NOUVELLE-AQUITAINE EN CHIFFRES

340 entreprises

660 sites industriels dont 390 carrières de sables et graviers (les granulats)

230 centrales de BPE 

+ de 4 000 salariés directs (15 000 en France)

Environ 20 000 emplois induits

4,3 millions de m3 de BPE produits en 2021 (41 millions de m3 en France)

1,4 million de m3 en Gironde (80 % à Bordeaux)

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