Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Bordeaux – Eiffel, patrimoine vivant

RENCONTRE. À l'occasion du centenaire de la mort de Gustave Eiffel, l'Association de ses descendants organise plusieurs événements dans le monde. La Bordelaise Myriam Larnaudie-Eiffel, arrière-arrière-petite-fille de Gustave Eiffel et présidente de l'association, lève le voile sur l'œuvre du grand ingénieur et sur ses liens avec le Sud-Ouest.

Myriam Larnaudie-Eiffel

Myriam Larnaudie-Eiffel, présidente de l'Association des descendants de Gustave Eiffel © Louis Piquemil / Echos Judiciaires Girondins

Échos Judiciaires Girondins : Les commémorations du centenaire de la mort de Gustave Eiffel, votre arrière-arrière-grand-père, auront lieu jusqu’à la fin de l’année. Qu’est-il prévu ?

Myriam Larnaudie-Eiffel : La disparition de Gustave Eiffel a eu lieu le 27 décembre 1923. C’était un devoir pour nous, au sein de notre Association des descendants de Gustave Eiffel, de commémorer ce centenaire. La majeure partie des événements auront lieu en France ; en Hongrie, où Eiffel a construit la gare Nyugati de Budapest ; et aux États-Unis, puisqu’il a conçu la structure de la Statue de la Liberté. Ces commémorations s’articuleront de début juillet à fin octobre autour d’expositions, de conférences et nous l’espérons, d’une scéno-lumière.

GUSTAVE EIFFEL EN 5 DATES

1832 : Naissance à Dijon sous le nom de Bonickhausen
1855 : Diplômé de l’École centrale des Arts et Manufactures
1860 : Inauguration de la passerelle de Bordeaux
1889 : Édification de la Tour Eiffel
1923 : Mort à Paris

 

Gustave Eiffel, entre 1862 et 1904, épreuve argentique à partir d’un négatif verre H. 17,8 ; L. 12,9 cm. Musée d’Orsay Don Mme Bernard Granet et ses enfants et Mlle Solange Granet, 1981 © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay)-Hervé Lewandowski

EJG : Quel est le programme des expositions ? Qu’est-il prévu à Bordeaux ?

M. L.-E. : L’exposition « Toujours plus haut » a lieu depuis début juillet sur le parvis de la Tour Eiffel. Elle présente l’œuvre d’Eiffel à partir de l’histoire des tours dans l’architecture, avec un focus sur les années qui ont précédé son élection pour construire la Tour. En région, sur les sites partenaires de l’association que sont Dijon, Chinon, Saint-Flour-Garabit, Nice, le plateau de Saclay et bien sûr Bordeaux, c’est l’exposition « Gustave Eiffel, une vie monumentale » qui est proposée, tirée de la biographie écrite par Bertrand Lemoine. À Bordeaux, elle est installée sur les quais depuis le 18 juillet. Globalement, nous avons rencontré des difficultés en matière de mécénat privé et sommes en vigilance de moyens par rapport à nos ambitions.

 

EJG : Quels sont les thèmes des colloques ?

M. L.-E. : Le 2 juin a eu lieu à l’Académie d’outre-mer la première conférence du centenaire sur un sujet peu connu : les ponts portatifs d’Eiffel en Indochine. Son idée était, dans les années 1880, de proposer des ponts en kit, à la mode Ikéa, permettant de construire des ponts dans les régions les plus reculées, par quelques ouvriers en quelques jours. C’était révolutionnaire. Nous espérons organiser en novembre, avec la ville de Nice et l’EPA Plaine du Var, un colloque sur le thème de l’urbanisme et les choix d’Eiffel en matière d’organisation et de construction qui font encore école aujourd’hui. Le 1er décembre, un colloque organisé par l’École Centrale, dont il est diplômé, réunira d’anciens centraliens et des spécialistes d’Eiffel, qui livreront des informations inédites sur les liens qu’il a pu tisser avec d’autres spécialités techniques de son époque, comme le cinéma ou la photo.

 

EJG : Vous évoquiez également une scéno-lumière. De quoi s’agit-il ?

M. L.-E. : Avec l’association, nous avons eu l’idée, que ma famille a validé, d’une phrase qui résume un peu Eiffel et son œuvre : « Le défi du fer, face au vent, pour traverser le temps ». Elle devrait s’afficher comme un signal lumineux à l’entrée des expositions, assortie du logo Eiffel 2023. Sans être une citation directe, elle fait allusion à son travail : le défi du fer est vraiment le challenge de toute sa vie ; la résistance au vent, sa préoccupation constante pour traverser le temps. Et alors qu’il n’imaginait pas forcément ses œuvres pérennes, elles sont toujours là.

 

Nous avons eu l’idée d’une phrase qui résume Eiffel et son œuvre : Le défi du fer, face au vent, pour traverser le temps

 

EJG : C’est donc l’Association des descendants de Gustave Eiffel, que vous présidez, qui organise ces événements. Au-delà, quel est le rôle de cette association ?

M. L.-E. : En effet, tout part d’une structure à but non lucratif, bénévole et familiale. Nous sommes à peu près 4 sur la cinquantaine de membres de l’association à travailler sur cet événement international. C’est un travail colossal, mais le devoir de mémoire nous anime. L’association est une cheville ouvrière : nous sensibilisons l’opinion, les collectivités, nous apportons notre caution morale et défendons l’image de Gustave Eiffel et son patronyme contre des exploitations abusives. Nous voulons également préserver un espace personnel à ce personnage qui est notre grand-père. Nous sommes rejoints par un comité scientifique que j’ai créé il y a quelques années. Il est structuré de façon professionnalisée autour d’historiens, architectes, ingénieurs spécialistes d’Eiffel qui participent à répondre aux questions sur les nombreux ouvrages qui existent un peu partout dans le monde.

 

La Tour Eiffel © Shutterstock

EJG : Près de 500 ouvrages sont attribués à Gustave Eiffel à l’heure actuelle…

M. L.-E. : Il existe 500 ouvrages certifiés, sur la base d’un carnet de commandes des ateliers de Levallois-Perret appartenant à la famille. Mais on estime qu’il pourrait y avoir 800 édifices Eiffel. Ce sont des ponts, des phares, la Statue de la Liberté et la Tour, des coupoles d’observatoire, mais aussi des métrages de tôle pour des particuliers, des structures métalliques dans des maisons. Notre limite à la certification vient du fait que certains ouvrages ont fait l’objet de commandes dont les archives ont disparu. Mais on découvre des traces régulièrement. Par exemple, un chercheur estonien va sortir un article sur le brevet déposé par Eiffel avec le lampiste Sauter, qui devrait nous permettre d’authentifier ou redécouvrir des phares Eiffel. On vient également de retrouver une maquette réduite d’une coupole de l’observatoire de Nice. C’est un patrimoine très vivant !

 

EJG : Quels sont les points communs entre ces ouvrages ?

M. L.-E. : Il y a un gigantisme impressionnant. Par exemple, quand on voit des gravures de la construction de la Statue de la Liberté dans l’atelier parisien de la rue de Chazelles, on se rend compte qu’elle est totalement hors échelle par rapport à l’urbanisme parisien. On comprend la prouesse que ça a été, sans compter qu’elle a ensuite été transportée par bateau. C’est une histoire incroyable. Il faut rendre hommage à cette prise de risque et à ce courage, toute sa vie, d’oser se confronter à des choses qui dépassent autant la taille humaine. D’autant plus qu’il l’a fait à une époque compliquée, post 1870, où l’argent manquait en France. C’est selon moi source d’espoir.

 

Il existe 500 ouvrages certifiés, mais on estime qu’il pourrait y avoir 800 édifices Eiffel dans le monde

 

EJG : Comment est géré ce patrimoine colossal ? À qui appartient-il ?

M. L.-E. : Certains ouvrages sont classés, d’autres non. La Tour Eiffel, par exemple, appartient à la Ville de Paris et à une société d’exploitation, et n’est pas classée monument historique pour des raisons d’exploitation. C’est incroyable ! Et même si elle est très bien valorisée, comme la Statue de la Liberté, nous les suivons de près. Rappelons qu’au XIXe siècle, la Tour a failli être démolie par décision du Conseil municipal à une voix près, tout comme la passerelle de Bordeaux. D’autres ouvrages sont aujourd’hui à l’abandon. Le viaduc de Garabit est en souffrance pour cause de non remise en peinture et risque d’abandon de la ligne ferroviaire. Le pont de Porto est entre deux collectivités locales, qui s’en rejettent la responsabilité. Le patrimoine Eiffel est célèbre, mais pas du tout garanti. Quant à nous, famille, nous avons hérité d’une autobiographie d’Eiffel que nous avons léguée au Musée d’Orsay. Elle contient un cahier entier où il détaille ses recherches et nous sommes en train de voir dans quelle mesure nous pourrions les dévoiler au public. Eiffel est un chantier complètement vivant !

Eiffel

Pont routier de Cubzac, reliant Cubzac-les-Ponts à Saint-Vincent- de-Paul © Shutterstock

 

EJG : En quoi consistaient ces recherches ?

M. L.-E. : Après la douloureuse affaire du canal de Panama (1), qui lui fait fermer ses ateliers, Eiffel aborde une seconde partie de sa vie qu’on connaît moins : celle du chercheur. Entre 1893 et 1923, il fait des découvertes en aéronautique, en météorologie, en gravité, qui vont animer l’avancée technique tout au long du XXe siècle. Il va d’ailleurs se servir de la Tour pour ses recherches et démontrer ainsi qu’il ne faut pas la démolir. Il a conçu un appareil de mesure de la chute des corps, entre le premier étage de la Tour et le sol. Il a également construit une soufflerie au premier étage pour faire des études de résistance au vent de certaines formes. En créant un environnement de l’objet, il inverse le processus de contextualisation de sa recherche, c’est révolutionnaire. Il va également comprendre la météo en effectuant des études dans ses différentes propriétés : à Paris, dans le Sud-Ouest et en Suisse.

 

EJG : Quels sont les liens de Gustave Eiffel avec le Sud-Ouest ?

M. L .-E. : Gustave Eiffel découvre le Sud-Ouest à 26 ans, lors de la construction de la passerelle de Bordeaux dont il est chef de chantier. Il s’agit de son premier ouvrage reconnu. Il en fait un laboratoire d’expérimentation technique : il y a le fonçage des piles à l’air comprimé, le choix des croix de Saint-André et du fer puddlé. Ce matériau chimique mis au point par Eiffel permet une malléabilité des structures, et donc l’incurvation des piliers visible dans les arcs de la Tour. Tout est contenu dans la passerelle en tant qu’embryon de ce qui va faire sa notoriété. Les frères Pereire vont ensuite lui confier le développement du réseau ferroviaire du Sud-Ouest. Adorant la région, il cherche à s’y marier mais n’y parviendra pas et rentre donc à Dijon. En 1895, il décide d’acheter une propriété près de Salleboeuf, et propose à l’un de ses 5 enfants, Édouard, qui est mon arrière-grand-père, de s’y installer. Ma grand-mère et ma mère sont nées là. Et sur les 70 descendants environ de Gustave Eiffel, la moitié, je dirais, se trouve aujourd’hui dans le Sud-Ouest.

 

EJG : Comment aimeriez-vous justement que la passerelle de Bordeaux, qui n’a pas de destination actuellement, soit valorisée ?

M. L.-E. : Lorsque la passerelle a été classée monument historique en 2008, grâce à notre action associative, nous avons été à l’écoute de la volonté des collectivités tout en cherchant la meilleure solution pour les Bordelais. Nous avons proposé plusieurs voies de réhabilitation, la plus simple et la moins chère est une circulation douce pour un budget d’environ 7 millions d’euros. Les collectivités préférant un portage économique, nous avons travaillé avec un architecte pour proposer une autre solution conjuguée de reconversion autour d’un pont habité, pour un budget de 12 millions d’euros. Nous avions même trouvé un investisseur mais rien ne s’est passé. Alors même que le quartier Euratlantique émerge de part et d’autre et comportera un parc au nom d’Eiffel, la passerelle n’est toujours pas réhabilitée, elle est même abandonnée à l’état de décharge. C’est indécent. Bordeaux Métropole doit en devenir propriétaire à l’issue d’un transfert de propriété acté en conseil communautaire depuis 2013. Ça n’est toujours pas fait. Il est temps que chacun prenne la responsabilité de ses compétences.

 

MYRIAM LARNAUDIE-EIFFEL, L’ART ET L’HISTOIRE

Commissaire-priseur, Myriam Larnaudie-Eiffel est diplômée de l’école du Louvre et d’un doctorat d’histoire de l’art à la Sorbonne. Elle travaille depuis 25 ans pour l’étude Coutau-Bégarie, commissaire-priseur à Drouot, dont elle est associée. « Je ne tiens pas le marteau, mais je suis experte en tableaux du début du XXe siècle », précise cette passionnée d’histoire. Vice-présidente puis présidente de l’Association des descendants de Gustave Eiffel, elle cédera sa place à la fin du centenaire « aux jeunes générations montantes. Il se peut qu’un autre Bordelais prenne la suite », espère-t-elle.

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