Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Lutter contre la pauvreté : un enjeu national

Les chiffres sont édifiants : la France compte 9 millions de pauvres, soit l’équivalent de 14 % de la population. Comment lutter et réduire la pauvreté en France ? Les mesures sont multiples. Lutter contre la pauvreté nécessite de construire un processus qui comprend deux étapes : tout d’abord, doter les individus d’un capital et ensuite, leur permettre de valoriser ce capital tout au long de leur vie professionnelle, sentimentale, affective et amicale.

lutte contre la pauvreté

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Définition

La pauvreté est « l’état, la condition d’une personne qui manque de ressources, de moyens matériels pour mener une vie décente » (Trésor de la langue française). Selon le Conseil européen de décembre 1984, sont considérées comme pauvres « les personnes dont les ressources matérielles, culturelles et sociales sont si faibles qu’elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables par la société ». En général, la pauvreté est définie en première analyse par le critère monétaire. Selon l’Union Européenne, le seuil de pauvreté européen est fixé au-dessous de 60 % du revenu médian. La pauvreté est un des cancers d’une société et comme le soulignait Michel Fournier dans Vendredi ou la vie sauvage, « la pauvreté prive un homme de toute vertu : il est difficile à un sac vide de se tenir debout ». Or, comment se fait-il que nous ne puissions pas atteindre l’idéal philosophique du Mahatma Gandhi pour qui « chaque jour, la nature produit suffisamment pour ses besoins. Si chacun ne prenait que ce qu’il lui faut, il n’y aurait pas de pauvreté dans le monde, et personne n’y mourrait d’inanition » ? Elle se traduit par l’incapacité d’une personne à trouver un emploi, à faire vivre sa famille et de manière plus générale par des relations sociales subies qui empêchent un individu d’être « encastré socialement » et de vivre en société. En somme, une grande détresse sociale.

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Qu’en est-il de la situation en France ? Quelques chiffres. Selon l’Insee, la pauvreté concerne en France tous les ménages dont le niveau de vie est inférieur à une fraction comprise entre 50 % et 60 % du revenu médian. Ainsi, le seuil de pauvreté est fixé à 1 015 euros par mois. Les chiffres sont édifiants : la France compte 9 millions de pauvres, soit l’équivalent de 14 % de la population ; 20 % des enfants sont concernés et 1/3 des Français ressentent un net sentiment de difficultés de vie. La moitié des personnes pauvres ont un niveau de vie inférieur à 837 euros par mois et toujours selon l’Insee, 11 % des actifs et près de 40 % des personnes au chômage sont en situation de pauvreté monétaire. Ce sont les retraités qui ont le niveau de pauvreté le plus bas. En revanche, les enfants sont fortement touchés par la pauvreté et 20 % de ceux qui ont moins de 18 ans vivent au sein d’une famille pauvre. Les familles monoparentales sont également très touchées et 1/3 des personnes vivant dans ces familles sont concernées, soit une proportion deux fois plus élevée que pour l’ensemble de la population. Les familles nombreuses sont également très exposées : 23 % des personnes vivant dans une famille composée d’un couple avec au moins 3 enfants sont pauvres.

Vaincre la pauvreté n’est pas un acte de charité, mais un acte de justice – Nelson Mandela

Enfin, 1 personne seule sur 5 de moins de 65 ans vit en dessous du seuil de pauvreté, ne bénéficiant ni des économies d’échelle que permet la vie en couple, ni du revenu supplémentaire que peut apporter le conjoint. La situation est également particulièrement préoccupante pour les jeunes adultes dont le taux de pauvreté a significativement augmenté depuis 10 ans.

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Les non-diplômés fortement représentés

La France compte près de 20 % de jeunes de 15 à 29 ans sortis du système scolaire qui ne sont ni en emploi, ni en formation (les « Neet »), et dont 1/3 sont pauvres. Les non-diplômés sont très fortement sureprésentés et subissent le non-emploi, le faible niveau de formation initiale et le lieu de résidence. La géographie de la pauvreté est également éclairante : 2/3 des personnes pauvres vivent dans les grands centres urbains et la pauvreté se concentre dans le Nord, le Centre et le pourtour méditerranéen. Ainsi, on constate une forte concentration de pauvreté dans les départements du Nord (Nord, Pas-de-Calais) et du Sud (Bouches du Rhône, Corse, Pyrénées-Orientales) pour lesquels le taux de pauvreté avoisine les 15 % de la population. En ville, c’est au sein des Zones Urbaines Sensibles que la pauvreté se cristallise : près d’un tiers de leurs habitants vivent au-dessous du seuil de pauvreté et le niveau de vie de leurs habitants dépasse à peine 1 100 euros par mois.

Ségrégation spatio-temporelle

Plus terrible que tout : les enfants « héritent » de la pauvreté de leurs parents et subissent une ségrégation spatio-temporelle dans la mesure où ils grandissent dans des zones où la pauvreté est majoritaire, éprouvent de très fortes difficultés scolaires et subissent des barrières à l’entrée au moment de l’accès à l’emploi. Tout cela traduit un « déterminisme de pauvreté » révoltant et inacceptable. Une guerre politique et sociale doit être menée en investissant dans l’éducation, l’instruction, la culture, la santé et le logement. Les chiffres communiqués par les associations caritatives sont également instructifs. Selon le Secours Populaire, une fois les dépenses contraintes payées (loyer, eau, électricité, assurances), la 1/2 des personnes aidées par l’association caritative vivent avec moins de 10 euros par jour ce qui ne leur permet pas de faire face à leurs dépenses de nourriture, de vêtements ou de produits d’hygiène. En 2019, le Secours Populaire a aidé 1,4 million de personnes, dont plus de 650 000 enfants et le niveau médian des personnes aidées s’élève à 537 euros, montant bien en dessous de 1 063 euros.

136 millions de repas servis aux Restos du Cœur

Quant aux Restos du Cœur, c’est plus de 136 millions de repas servis, soit 30 % de plus de personnes concernées qu’au début de la décennie. Le Secours Catholique a, quant à lui, montré que la nature des impayés des personnes en grandes difficultés financières concerne le logement (43 %), le gaz et l’électricité (42 %), un découvert subi (22 %) et les dépenses d’eau (18 %), soit évidemment des dépenses incompréhensibles qui correspondent aux besoins essentiels de la vie. Le taux de chômage des personnes accueillies avoisine les 70 % et les personnes aidées expriment une forte demande d’écoute sociale en complément d’une aide alimentaire indispensable.

Si la pauvreté est au premier abord monétaire, elle est également un phénomène social. Les sociologues de la pauvreté cherchent notamment à comprendre l’expression de la condition de la pauvreté dans le comportement, les interactions, la culture et les attitudes des individus en situation de pauvreté. Il est absolument vital pour une société de lutter contre la pauvreté car elle prive les êtres humains de leur dignité et est génératrice d’une forte précarité. Selon la définition donnée par Joseph Wresinski en 1987 : « la précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins grave et définitive. Elle conduit le plus souvent à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle tend à se prolonger dans le temps et devient persistante, qu’elle compromet gravement les chances de reconquérir ses droits et d’assumer ses responsabilités dans un temps prévisible ». Le prix Nobel d’économie Armatya Sen a théorisé le concept de pauvreté, ayant été traumatisé enfant par une famine qui a frappé un village proche de celui où il a été élevé. Elle est, selon lui, « une incapacité à édifier son bien-être ».

Plus globalement, la pauvreté est un phénomène social qui métastase la société. Notion relative et non absolue, elle résulte de phénomènes complexes, nés d’interactions entre les individus et la société. Il considère que toute la réflexion doit être menée au niveau de l’articulation entre l’individu, le groupe social et la collectivité. Il nous encourage à mettre au centre de la réflexion la construction d’un projet politique, économique et social orienté vers le développement des libertés individuelles de façon à accroître les « capabilities » des individus que l’on peut traduire par les capacités à agir, à faire et à décider ; l’ensemble de ces libertés individuelles et réelles permettant à toute personne d’exploiter ses capacités, son potentiel, de servir la société et de vivre de manière pleine et entière en donnant du sens à sa vie. La vision purement monétaire de la pauvreté est trop réductrice et doit laisser place à une vision plus sublimée de l’existence, en intégrant une dimension métaphysique, spirituelle, sociale et sociétale. La solidarité sociale est une des clés de résolution du problème et comme le soulignait Durkheim, c’est cette solidarité qui « fait tenir les hommes ensemble ».

1 personne seule sur 5 de moins de 65 ans vit en dessous du seuil de pauvreté

Vision protéiforme

La question de la pauvreté ne saurait être réduite aux caractéristiques matérielles mais doit être traitée comme une question sociale incontournable. La pensée d’Armatya Sen est lumineuse dans sa vision protéiforme de la notion des capacités, pensées comme la liberté d’accomplir et la possibilité pour tout un chacun d’exprimer son potentiel dans un environnement social donné. C’est une économie sociale de marché qu’il convient de construire au sein d’une société satisfaisante et transcendée par une vision éthique de l’existence de l’humanité. Tout l’enjeu est de valoriser et de stimuler les possibilités économiques, sociales et politiques que mérite toute personne. À ce titre, l’indicateur de développement humain qui prend en compte le revenu par habitant, la longévité ou l’accès à l’éducation est un excellent outil de mesure de la bonne santé d’une société.

La pauvreté est un phénomène social qui métastase la société

Construire une économie du bien-être

Mais, en fin de compte, quelles sont les mesures que l’on peut prendre collectivement pour lutter et réduire la pauvreté en France ? Tout comme la pauvreté est multidimensionnelle, les mesures sont multiples. Lutter contre la pauvreté nécessite de construire un processus qui comprend deux étapes : tout d’abord, doter les individus d’un capital et ensuite, leur permettre de valoriser ce capital tout au long de leur vie professionnelle, sentimentale, affective et amicale. La pauvreté se déconstruit et le bien-être se construit. Lutter contre la pauvreté consiste à prendre des mesures pour construire une économie du bien-être et du bonheur partagé.

 

Capital culturel, capital métier et capital diplôme

Tout d’abord, pendant la première phase de la vie, il convient de doter tout un chacun d’un triple capital : un capital culturel, un capital métier et un capital diplôme. Le capital culturel ouvre l’univers des possibles, permet de « déplacer des montagnes », de comprendre le monde et augmente les opportunités de vie. Je propose de créer une nouvelle discipline au collège et au lycée : Culture, en laissant aux professeurs le libre choix des cours et en croisant les univers de connaissances. On commence par la bande dessinée et on termine par la pensée complexe d’Edgar Morin en passant par Michel Ange et Picasso. Le capital métiers est la clé de l’accès à l’emploi, permet de lutter contre la pauvreté financière et facilite la construction d’un capital relationnel. Il est également le gage de la construction d’une vie professionnelle articulée autour des compétences, d’une dynamique de carrière et d’une formation tout au long de la vie. La somme de ces trois capitaux sera génératrice d’un bien-être individuel, d’une dignité née de la capacité d’un individu à se réaliser et d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixés à partir des ressources dont il dispose. Ces trois capitaux réunis permettent également la constitution d’un capital entrepreneurial. Naturellement, en résultera une diminution de la pauvreté. Un cercle vertueux se constituera autour d’une rémunération décente de l’activité réalisée, de services gratuits ou à prix bonifiés dans les domaines de l’éducation et de la santé, un accès au logement facilité, une valorisation riche en relations et en émotions, du temps libre et un encastrement dans une vie sociale riche en émotions et relations. C’est donc la construction du capital humain individuel qui est en jeu. Un capital humain gage d’engagement social, de transmission intergénérationnelle et de compétences valorisées durant l’existence.

La rémunération excessive du capital financier est « has been »

Valorisation du capital humain

Ensuite, la sphère sociale doit être organisée afin de favoriser la valorisation du capital humain. Sachant que tout individu passe la moitié de la vie éveillée au travail, les organisations privées et publiques ont une responsabilité sociale et solidaire très élevée.

La rémunération excessive du capital financier est « has been ». Ce dernier est devenu ringard et n’intéresse plus les jeunes générations. L’entreprise à mission, instaurée par la loi Pacte, est un signal positif envoyé et une avancée pour une approche philosophique différente de l’entreprise (prendre à plusieurs au sens littéral du terme). Une réflexion doit être menée au sein des organisations publiques et privées afin de valoriser les compétences et les ressources des salariés, leur permettre de s’épanouir au travail dans un univers stabilisé où l’incertitude relationnelle est limitée tout en développant un esprit de responsabilité, valorisant l’autonomie, la créativité et l’initiative. L’instabilité, les contrats précaires et une excessive sous-traitance doivent être bannis de l’univers des entreprises. L’entreprise est un lieu de création de richesses et poursuit des objectifs de création de valeur pour l’ensemble des parties prenantes. La création de valeur sociétale doit être le cœur névralgique de la philosophie entrepreneuriale des organisations. L’entreprise doit être un espace de liberté et de vie afin de faire le lien entre le progrès économique et le progrès social. L’entreprise a donc une légitimité pour intervenir et participer à la lutte contre la pauvreté. Elle doit être un rempart contre le phénomène des travailleurs pauvres sachant que l’emploi ne représente plus une garantie absolue contre la pauvreté et que la précarité des emplois explique partiellement la pauvreté des ménages.

L’entreprise est légitime pour participer à la lutte contre la pauvreté

Au final, la lutte contre la pauvreté doit être pensée comme l’investissement d’une société pour lui permettre d’être meilleure, plus solidaire et donc plus fraternelle. C’est un moyen d’honorer le troisième pilier de la République : liberté-égalité-fraternité, à savoir la fraternité.

Un plan Marshall pour la jeunesse

Il convient à ce titre de mener des actions collectives et individuelles pour éradiquer le risque de transmission intergénérationnelle de la pauvreté (grandir dans un ménage pauvre renforce la probabilité de l’être lors de sa vie adulte), mais également pour renforcer la sphère familiale (source d’échanges, de soutien et de refuge émotionnel), pour lutter contre les discriminations et l’ostracisme, tendre vers une sécurité économique garantie, donner accès au système de formation continue et professionnelle tout au long de la vie et réduire au maximum les fractures territoriales pour un meilleur équilibre spatial. Dès l’enfance, il convient d’éviter la ségrégation scolaire, mettre en place des innovations pédagogiques qui développent l’estime de soi et la motivation, et faire de la pédagogie positive une grande cause nationale et la pierre angulaire d’un projet pédagogique et éducatif sociétal. Un plan Marshall de la jeunesse s’impose pour rendre les jeunes plus autonomes et notamment ceux qui ont des salaires faibles avec des mesures spécifiques pour les Neets. Pour conclure, la question de la pauvreté doit être réfléchie de manière systémique à travers une philosophie économique construite autour de la notion de bien-être. Paix, partage, bien-être et bonheur : quatre vecteurs décisionnels pour une économie du contentement comme dépassement d’un capitalisme financier «has been ».

Le contentement appelle le bonheur, même dans la pauvreté. Le mécontentement apporte la pauvreté, même dans la richesse

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