Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Microfluidique, ce monde invisible aux possibilités infinies

La veille techno - Décrypter, proposer une vision prospective et une application concrète pour mieux comprendre les enjeux pour nous, pour la société et la planète… Cette semaine, plongée vers l’invisible.

Alexandre Bertin, Unitec, bioplastique

Alexandre BERTIN, responsable Innovation et Prospective chez UNITEC © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

Quel point commun entre un arbre, le système sanguin du corps humain et la micropuce d’un laboratoire biologique ? La microfluidique ! À la fois science de l’écoulement des fluides et technologie des systèmes les manipulant à l’échelle micrométrique (1/1 000e de mm), la microfluidique est promise à un avenir radieux. Les applications sont nombreuses et les avancées pour notre société et notre santé prodigieuses. Éléments d’explications et mise en perspective pour le XXIe siècle.

Des principes physiques remis en cause ?

Qu’il s’agisse de la sève qui monte des racines pour atteindre les feuilles de la canopée, ou des échanges gazeux et de nutriments dans le système sanguin, tous répondent à des principes qui défient les lois de la physique. La gravité, principe essentiel à la vie sur Terre, devient caduque dès lors que l’on s’intéresse à la circulation des fluides à l’échelle micrométrique. Les effets de la tension superficielle, de la viscosité et des forces capillaires dépassent ceux de la gravité. À cette échelle, les flux s’écoulent sans turbulence, en couche parallèle, propriété indispensable quand il s’agit d’étudier les réactions chimiques et biologiques.

Car contrairement aux systèmes fluidiques macroscopiques, la microfluidique présente des avantages indéniables : précision et contrôle des flux, possibilité de mener les essais et études sur des dispositifs de la taille d’une tête d’épingle ! Cette miniaturisation a un atout : celui de la portabilité. Grâce à ces technologies, il sera bientôt possible de réaliser des analyses et des diagnostics directement là où se trouvent les populations.

Un marché en pleine explosion

En 2023, la taille du marché de la microfluidique a été estimée à environ 28,38 milliards de dollars et pourrait atteindre 56,57 milliards d’ici 2028. Une croissance attribuée à l’augmentation de la demande pour les diagnostics au point de service (le diagnostic rapide de maladies), à l’adoption croissante de la technologie microfluidique dans les applications médicales et de recherche, et aux innovations technologiques continues. L’explosion de maladies comme les cancers (29 millions de nouveaux cas en 2040) participe également à la forte croissance du marché. Source : Mordor Intelligence

Emulseo, microfluidique

© Emulseo

Vers une optimisation des coûts

Et c’est en cela que la microfluidique est une technologie d’avenir. Sa précision permet de réduire la quantité d’échantillons (sanguins, plasmiques, etc.) et de réactifs, diminuant de fait les coûts économiques et écologiques des analyses, tout en accélérant le travail de diagnostic. Demain, il sera possible d’obtenir les résultats d’une analyse de sang à partir d’une seule goutte prélevée, et ce en quelques minutes.

Demain, il sera possible d’obtenir les résultats d’une analyse de sang à partir d’une seule goutte prélevée, en quelques minutes

Autre avantage : la possibilité de mener en parallèle plusieurs études à partir de très petites quantités d’échantillons. Chaque gouttelette devient ainsi un laboratoire : toutes sortes d’analyses y sont réalisables simultanément.

Une technologie au service d’une science prometteuse

La microfluidique a besoin de supports capables de reproduire les phénomènes naturels liés à la mécanique des fluides, à l’échelle microscopique. Ce sont les puces microfluidiques, protéiformes selon les finalités.

Les plus accessibles : les dispositifs de microfluidique basée sur du papier. Un échantillon (une goutte suffit) est prélevé, stocké sur un papier buvard et introduit dans une « puce microfluidique ». Terminés les stocks de prélèvements et les piqûres à répétition. Quel potentiel extraordinaire d’innovation dans les pays où entreposer et transporter des échantillons s’avèrent compliqués comme sur les zones de conflit !

Autre dispositif : les laboratoires sur puce. Véritable prouesse technologique, ces micro laboratoires reproduisent sur un substrat miniaturisé, une ou plusieurs fonctions habituellement réservées aux laboratoires. Chaque « microlaboratoire » est organisé en canaux de quelques dizaines de micromètres de diamètre (plus fin qu’un cheveu !) dans lesquels circulent des fluides. Cette technologie passe au crible des échantillons biologiques contenant des molécules pour les détecter, les identifier et les isoler, dans le cas de pathologies.

Et dans cette logique… La prouesse technique qui promet de révolutionner la médecine de demain : les organes sur puce. Il est déjà possible de recréer, in vitro, le fonctionnement d’un cœur, d’un poumon, d’un rein ou de la moelle osseuse sur une puce microfluidique de la taille d’une carte de visite. L’avantage ? Intégrer le mouvement des substances de manière réaliste, opération impossible dans les milieux de culture cellulaire hermétiques comme les boîtes de Petri (boîte cylindrique transparente peu profonde, en verre ou en plastique, munie d’un couvercle. Facilement manipulable, empilable et peu coûteuse, elle est utilisée en microbiologie).

La prouesse technique qui promet de révolutionner la médecine de demain : les organes sur puce.

Emulseo, microfluidique

© Emulseo

 

Une goutte comme tube à essai

Parmi les dispositifs existants, celui de la microfluidique en gouttes offre de belles perspectives. Cette branche consiste en la manipulation de petites gouttes – entre 50 et 100 micromètres de diamètre – créées à partir d’une émulsion de deux liquides non miscibles (ex. huile/eau). Si l’analyse biologique a besoin de puits d’environ 200 microlitres chacun, grâce à ce dispositif, chaque goutte générée devient un micropuit de 0,00002 microlitre, soit un volume d’échantillon 1 million de fois plus petit. Chaque goutte sert de tube à essai : il est possible d’isoler des éléments biologiques de façon unique (ADN, cellule, bactéries, etc.) ; des gouttes pouvant être générées et analysées à raison de plusieurs milliers à la seconde, et manipulées avec une très grande précision.

Quels sont les secteurs concernés ?

La santé : le diagnostic médical rapide et précoce, la recherche en cancérologie, le criblage de médicaments… et la personnalisation des traitements : chaque goutte contenant des cellules peut recevoir un traitement différent ; ou encore l’industrie cosmétique à l’image de Capsum qui crée des produits uniques basés sur la microfluidique ; l’environnement : analyse des polluants par exemple. Et tant d’autres encore à imaginer.

 

Unitec

Elle est la principale structure d’accompagnement des start-ups de la région bordelaise. Unitec a contribué à la création de 672 start-ups sur le territoire. Forte d’une équipe de 8 start-ups managers, Unitec accompagne trois filières (numérique, sciences de la vie et sciences de l’ingénieur) de l’idée à la création de l’entreprise (incubateur), dans sa structuration et son développement (pépinière), dans sa croissance stratégique (développement). En 2023, Unitec a accompagné 158 start-ups et affiche un taux de pérennité des entreprises suivies de 86 % à 5 ans.

www.unitec.fr

 

3 questions à

Florine MAES, CEO de la société Emulseo et Sophie BOURZEIX, présidente de Hekat. Ces start-ups, accompagnées par Unitec, illustrent le transfert de technologies : d’une expertise scientifique sont nées une application et une entreprise

 

Qu’apporte votre solution / innovation à notre société du quotidien ?

F.M. : Emulseo accompagne les utilisateurs et développeurs de la technologie microfluidique, et leurs applications en développement, tout en participant à l’industrialisation et à la montée en échelle de leur besoin. Ces technologies, en croissance et prometteuses ont un impératif : disposer de formulations et de produits d’analyse adaptés et performants. Emulseo fournit des produits clés comme le tensioactif (i. e. une substance qui modifie la tension superficielle des gouttes et permet manipulation et analyse).

S.B. : Hekat développe un instrument microfluidique et optique qui compte et trie à grande vitesse des nano objets biologiques, pour répondre à des problématiques cruciales de l’industrie de la santé.

 

Pourquoi avoir choisi de travailler ensemble ?

F.M. : Travailler avec Hekat qui développe une plateforme extrêmement performante en optimisant une formulation tensioactive était tout naturel. Et voir se développer des start-ups en microfluidique dans notre région est la preuve que l’écosystème est moteur dans l’innovation du secteur de la santé.

S. B. : Emulseo est un spécialiste mondialement reconnu qui fabrique le meilleur tensioactif pour notre application : travailler ensemble était évident ! Les critères de choix de nos sous-traitants stratégiques sont primordiaux : la proximité géographique, comme la synergie fructueuse pour le territoire en font partie.

 

Quelles perspectives pressentez-vous pour ce marché ?

F. M.  : Au-delà de la santé, la microfluidique investit les champs de la cosmétique et de l’agroalimentaire. Emulseo ambitionne d’être leader en formulations pour cette technologie, en développant un panel de formulations, de produits de qualité et performants, et en préparant la montée en échelle de leur production.

S. B. : Pour Hekat, 3 marchés distincts : l’instrumentation pour la recherche académique et/ou privée sur les nano objets (virus, exosomes) ; celui des vecteurs viraux évalué à 2 milliards de dollars par an, dont 50 % pour le contrôle et la purification ; enfin, le diagnostic lié aux exosomes : un marché gigantesque et naissant (3 milliards de dollars par an à partir de 2028 dont 50% pour l’instrumentation.)

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