EJG : La conjoncture mondiale a été très bousculée ces deux dernières années. Quelles sont les conséquences pour les banques ?
Olivier CONSTANTIN : « Après le choc de 2020, l’année 2021 a elle aussi été placée sous le signe de la pandémie, qui s’est prolongée plus longtemps qu’attendu. Nous constatons aujourd’hui que nous évoluons dans un monde d’une complexité rare, où de nombreux sujets viennent se télescoper.
On peut citer l’inflation conjoncturelle liée au redémarrage économique, amplifiée par l’augmentation des prix de l’énergie, liée à l’actualité ukrainienne et à la raréfaction des matières premières. C’est à nous de trouver comment intégrer cette nouvelle réalité économique, tout en tenant compte des transitions en cours. Viennent ensuite se superposer les règlementations prudentielles, consécutives aux précédentes crises économiques. On peut également ajouter le besoin de sens que chacun recherche dans sa vie, ses actes d’achat ou son travail et qui vient tous nous percuter depuis 2 ans. Tous ces changements s’imposent aussi bien au niveau du management des équipes que dans la nature de nos offres aux consommateurs. »
EJG : Pouvez-vous nous en dire plus sur ces transitions en cours ?
Olivier CONSTANTIN : « Le sujet climatique n’est plus une question. Ses conséquences sont une réalité qui embarque énormément de transformations, à mener dans un temps qui nous est compté et nous ne pouvons pas le décaler. Ce changement social et environnemental qui a débuté est colossal et concerne notre fonctionnement dans son ensemble, en termes d’énergie, de réindustrialisation, de recyclage… Nous devons tout faire en même temps : travailler à réduire notre propre empreinte carbone, accompagner nos clients. Les potentialités sont remarquables, il va nous falloir trouver dans les besoins futurs des moyens de développer ces économies. Nous sommes là pour accompagner les entreprises qui vont le faire, leur apporter de l’expertise, les aider à se financer, leur donner du temps, du soutien sous différentes formes. Mais alors que nous accompagnions ce changement s’est ajoutée la géopolitique, qui nous a fait perdre en visibilité sur le court terme ce qu’on a gagné en conviction sur le moyen terme : nous devons fonctionner différemment. »
EJG : Avez-vous des exemples ?
Olivier CONSTANTIN : « Dans le secteur aéronautique par exemple, où l’Europe possède de véritables expertises, notamment en Nouvelle-Aquitaine. Nous aidons les entreprises à se restructurer, à fusionner leurs compétences, à s’adosser à de grands groupes tels que Dassault, Thalès, Airbus, Safran… En parallèle, nous les accompagnons dans leurs objectifs de diminution de l’empreinte carbone pour la construction des appareils et pour leur consommation. Nous finançons, investissons, accompagnons les regroupements qui nous semblent pertinents. Nous travaillons aussi beaucoup sur des projets de décarbonation, avec un soutien à la filière bois et forêt ou à des exploitations agricoles dans lesquelles les investissements d’aujourd’hui intègrent des sujets de culture, production, transformation et valorisation des déchets et de la chaleur produite, méthanisation ou encore épuration des eaux. Nous avons en Nouvelle-Aquitaine un terrain de jeu très intéressant. Le rôle du banquier est d’aider à la concrétisation de ces projets, et d’être présent aux côtés de chacun dans les situations difficiles. Nous devons embarquer l’ensemble de la société sur toutes ces questions. »
OLIVIER CONSTANTIN : PARCOURS
Olivier Constantin est le nouveau président du Comité régional des banques FBF Nouvelle-Aquitaine. Élu pour un mandat de 2 ans, il succède à Jean-Yves Dupuy, muté suite à la réorganisation de la Société Générale. Diplômé de l’INSEEC Bordeaux et d’un 3e cycle de gestion hôtelière à l’institut suisse Glion, Olivier Constantin a débuté sa carrière en 1986 à la banque Hervet, avant d’intégrer la Banca Commerciale Italiana.
Passé par LCL, période durant laquelle il fut président de la FBF en région Paca, ce fin connaisseur de la géopolitique est-européenne a dirigé le Crédit Agricole Bank Polska (Pologne) pendant 5 ans. De retour en France depuis 3 ans, il a pris la direction générale du Crédit Agricole Aquitaine en 2019, où il dirige 2 700 personnes.
EJG : Comment ?
Olivier CONSTANTIN : « Nous travaillons sur le sujet de l’inclusion. Nous devons bien sûr suivre nos ratios, piloter en permanence nos indicateurs, mais nous essayons d’avoir une approche plus large. Nous intervenons auprès des jeunes en difficulté d’insertion professionnelle. Nous prenons en compte les situations individuelles les plus précaires. Cela peut se traduire par exemple par des comptes gratuits et sans frais pour encaisser les allocations. Au Crédit Agricole, nous avons créé des Points Passerelles qui s’occupent de nos clients en accident de vie (divorce, maladie, perte d’emploi…).
Nous accompagnons aussi des milliers d’associations sur toute la Nouvelle-Aquitaine pour que les territoires ne se désertifient pas
Nous diffusons de l’information auprès des personnes fragiles ou âgées, qui sont les cibles de la cybercriminalité ou de la fraude.
Nous accompagnons aussi des milliers d’associations (sportives, culturelles, crèches…) sur tout le territoire de Nouvelle-Aquitaine, pour faire en sorte que nos départements ne se désertifient pas. Ça n’était pas intuitif dans les métiers de la banque auparavant, mais c’est un rôle qui nous est désormais conféré. »
EJG : Quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire ?
Olivier CONSTANTIN : « Rappelons que la crise sanitaire n’est pas issue d’une crise financière. Pour autant, elle est venue arrêter la planète Monde. Heureusement, les États, avec l’accompagnement des banques, ont construit le pont de trésorerie nécessaire à la sauvegarde de l’économie à travers un abondement massif – notamment en France -, le recours au chômage partiel, les subventions et la distribution de plus de 120 milliards d’euros de Prêts garantis par l’État (environ 10 milliards en Nouvelle-Aquitaine, NDLR), dont 15 % ont déjà été remboursés aujourd’hui. Les banques ont joué leur rôle en acceptant une prise de risque d’environ 15 % sur ces PGE.
La Nouvelle-Aquitaine a bénéficié de 10 milliards d’euros de Prêts Garantis par l’État (PGE)
L’aide des États a continué d’être abondante en sortie de crise pour ne pas déstabiliser le système, accentuant de façon mécanique le déficit budgétaire et donc la dette souveraine. Et alors que certains prédisaient des jours noirs, le scénario choisi a permis à l’économie de redémarrer et de subsister. Nous nous préparons désormais à accompagner nos clients sur leur rééquilibrage financier, avec les premiers PGE qui arrivent à échéance à l’été et qui représentent environ deux mois de chiffre d’affaires. Tellement d’efforts ont été faits pour que l’économie résiste, il est de notre devoir de conseiller au mieux les entreprises dans cette dernière phase. D’autant qu’au moment où l’État s’apprêtait à un retour à la normal, sont venus s’ajouter des sujets géopolitiques que nous avions oubliés depuis 50 ans. »
EJG : À ce contexte est en effet venue s’ajouter la guerre en Ukraine. Quelles sont les conséquences pour les banques ?
Olivier CONSTANTIN : « La pandémie et la crise militaire que nous traversons montrent qu’un système financier stable et efficace est une partie de la solution. Le conflit a mis en lumière des sujets de dépendance économique en tout genre, notamment vis-à-vis du gaz russe. Sur un prisme plus régional, certains des plus grands semenciers sont en Nouvelle-Aquitaine. Or l’Ukraine représente pour eux un marché très important. Elle est également un fournisseur d’uranium, de titanium, de manganèse, de fer, de mercure… Soit de très nombreux métaux indispensables à une industrie qui nous est chère : l’aéronautique. Après la crise sanitaire, la géopolitique nous confronte à nouveau à la réalité de la mondialisation. Faut-il alors accélérer le processus qui nous permettra de retrouver une forme d’autonomie et d’indépendance sur certains sujets ? Aujourd’hui, la réponse est oui, et par ce biais, nous allons devoir développer le recyclage de nos produits manufacturés, qu’il s’agisse de matériels informatiques, de téléphones ou d’avions. Ces crises créent des potentialités que nous, banquiers, devons accompagner par du conseil et par le levier de la dette : c’est ce qui fait de nous des acteurs de référence. Avec en plus un effet temps, puisque nous accompagnons les entreprises sur le long terme. Si nous parlons de réindustrialisation par exemple, sa mise en œuvre va prendre des décennies. »
Les crises créent des potentialités que nous, banquiers, devons accompagner par du conseil et par le levier de la dette
EJG : Le secteur bancaire est également soumis à d’importantes contraintes réglementaires imposées par le régulateur, disiez-vous…
Olivier CONSTANTIN : « L’avancée vers un cadre harmonisé des données extra financières est un gros enjeu qui concerne tous les sujets de décarbonation de l’économie. Ce sera notre travail des 50 prochaines années. Cela concerne toutes nos activités de financement, de placement et d’assurance. Il nous faudra faire en sorte que ces dernières correspondent au besoin de nos clients, dans le respect des règles et des normes décidées par le régulateur, notamment au travers de la taxonomie. En parallèle, il est également important de prendre en compte les règles du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) relatives au financement de l’habitat, ainsi que les règles européennes. Tout cela reste très complexe à mettre en œuvre. »
EJG : D’importantes évolutions technologiques sont aussi en cours, et on a vu apparaître les banques en ligne et les néo-banques. Comment le secteur s’est-il adapté ?
Olivier CONSTANTIN : « Il y a aujourd’hui en France 6 acteurs majeurs et leurs filiales sur un marché de l’industrie bancaire mature. Concernant les néo-banques, il existe différents modèles, avec d’un côté les grandes banques, qui ont créé leur banque en ligne, et de l’autre des pure players comme le néerlandais ING (qui n’a pas fonctionné en France), ou encore N26 et Revolut, qui ne sont pas affiliées à des banques et ont des business model différents. Ces modèles répondent à une partie des besoins standards des clients, qui recherchent des offres simples, efficaces, peu onéreuses… mais réduites. On voit aussi se développer depuis peu des néo-banques affinitaires, qui répondent à la quête de sens des gens en leur apportant une réponse sur leur consommation, l’économie circulaire… Ce marché n’est pas encore mature et il diffère d’un pays à l’autre en Europe, chacun ayant ses particularités. Mais quand les projets deviennent plus complexes et qu’ils nécessitent des solutions sur mesure, ces mêmes clients recherchent de l’expertise, de la compétence et de la réassurance. C’est ce que le système bancaire français offre actuellement à ses clients. Néanmoins, les évolutions de consommation, auxquelles s’ajoute l’avènement du digital, conduisent nécessairement à une réduction du nombre d’emplois dans le secteur bancaire. »
Le secteur de la banque n’a pas de problème de recrutement, il a un problème d’intérêt et d’attractivité
EJG : Le secteur se réduit, pourtant les besoins en personnel semblent difficiles à combler. Comment l’expliquer ?
Olivier CONSTANTIN : « Nous recrutons aujourd’hui sans trop difficultés par rapport à d’autres secteurs, principalement des alternants, qui ne pensaient pas forcément faire carrière dans la banque. Pour moi, le secteur n’a pas de problème de recrutement, il a un problème d’intérêt, d’attractivité, qui provient d’une image poussiéreuse et d’un rapport complexe des Français à l’argent. Nous sommes vus comme le bras séculier de la réglementation sous toutes ses formes : fiscale, financière et même du système dans sa globalité.
Nous travaillons avec pragmatisme sur l’économie réelle, qui est complexe et très régulée. Mais nous avons également un rôle de ressource financière que nous sommes les seuls à pouvoir remplir : nous donnons corps aux projets individuels et professionnels. Moi, par exemple, je n’ai jamais oublié que lorsque j’avais 18 ans, une banque m’a accordé un prêt pour financer mes études. Ce sera selon moi l’un des rôles de la FBF : effectuer un travail de prêche auprès des universités, des écoles, pour mieux faire comprendre notre rôle. La réalité, c’est que dans la banque, on vit et on entreprend au même rythme que nos clients. Et c’est exceptionnel. »
DES RÉSULTATS EN NETTE PROGRESSION
Les établissements aquitains ont confirmé leur ADN de banques de proximité face à la crise en 2021. Ils ont également bénéficié de la conjoncture et affichent de bons résultats. À l’image du Crédit Agricole Aquitaine, dont le résultat net atteint 120,9 millions d’euros. De la Caisse d’Épargne Aquitaine Poitou-Charentes (CEAPC), au résultat net de 102 millions d’euros, et qui vient notamment de lancer sa banque d’affaires régionale dédiée aux ETI, aux institutionnels et à leurs dirigeants. De la banque coopérative Banque Populaire Aquitaine Centre Atlantique (BPACA), membre du groupe BPCE, qui présente un résultat net de 72,6 millions d’euros et a détaillé son plan « Odyssée Bleue » centré sur les clients, les collaborateurs et le climat. Ou encore de la banque de détail CIC Sud-Ouest, qui enregistre un résultat net de 57,5 millions d’euros.
LES FEMMES PRENNENT LE POUVOIR
Le mouvement concerne plusieurs établissements du territoire et il est inédit. Si les banques aquitaines affichent leurs ambitions RSE et leurs orientations stratégiques en faveur des transitions sociétales, elles sont également plusieurs à avoir nommé des femmes à leur direction. Le 1er avril, Sylvie Garcelon est ainsi devenue directrice générale de la Banque Populaire Aquitaine Centre Atlantique (BPACA), succédant à Jean-Pierre Levayer. Le 1er juin, Frédérique Destailleur devrait prendre la présidence de la Caisse d’Épargne Aquitaine Poitou-Charentes (CEAPC), en remplacement de Jérôme Terpereau. Enfin, Jean-Yves Dupuy est remplacé par Isabelle Deloeil-Géraud, qui dirigera la future antenne régionale Société Générale Sud-Ouest, issue de la fusion entre les réseaux SG et Crédit du Nord.
LA FBF : LES MISSIONS
La Fédération bancaire française a pour mission de promouvoir l’activité bancaire et financière. Elle est présente sur tout le territoire à travers des comités régionaux et territoriaux qui représentent la profession auprès des pouvoirs publics et des représentants du monde économique et social en région. « C’est un outil de diffusion de l’information sur des sujets généralement assez techniques, comme les évolutions réglementaires, les évolutions de risques et de méthodologie au sein du système européen. C’est également un outil de vulgarisation et d’échange, car localement il peut y avoir des sujets spécifiques. Lors du confinement par exemple, le système financier devait perdurer dans ses fonctionnalités de base : transferts, virements, retraits. Les acteurs bancaires avaient le devoir de garder les agences ouvertes et d’assurer la continuité de l’économie », précise Olivier Constantin.
LES BANQUES RÉGIONALES AU SERVICE DU TERRITOIRE
« En France, les banques continuent à remplir un rôle majeur dans le financement de l’économie (…), qui les oblige à accorder une attention particulière aux territoires et aux services de proximité », affirme dans un communiqué Christian de Boissieu, président de la Commission Banque de la Fondation Concorde, think tank indépendant qui s’intéresse à la compétitivité française et vient de publier un rapport sur les banques régionales. C’est bien le cas en Nouvelle-Aquitaine, où les entreprises bancaires ont assumé en 2021 leur rôle de financement de l’économie régionale, avec près de 193 milliards d’euros d’encours de crédit, destinés à hauteur de 74 milliards à l’équipement et la trésorerie des entreprises ; et pour près de 97 milliards au crédit habitat des ménages. 90 % des habitants de la région ont d’ailleurs une bonne image de leur banque, selon une étude IFOP pour la FBF réalisée fin 2020.
LA FBF NOUVELLE-AQUITAINE EN CHIFFRES
Date de création : 2001
Banques membres des Comités FBF Nouvelle-Aquitaine : 15
(Arkéa Banque Entreprises et Institutionnels, Banque Courtois, Banques Populaires, Banque Tarnaud, BNP Paribas, Bpifrance, Caisses d’Épargne, CIC, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, HSBC, La Banque Postale, LCL, Natixis, Société Générale)
Nombre de salariés : 21 000
Nombre de caisses et agences : 3 571 (1 425 en Gironde)
Total des crédits : 192,6 milliards d’euros (70,7 millions en Gironde)
Total des dépôts : 199,2 milliards d’euros (61,9 millions en Gironde)
Source Banque de France 2021/ FBF 2020