Couverture du journal du 05/11/2024 Le nouveau magazine

SPAC à l’attaque !

Depuis le début de 2020, l’actualité financière est rythmée par l’annonce de l’introduction en bourse d’un nouveau SPAC (Special Purpose Acquisition Vehicle). Créées au début des années 2000, ces structures connaissent un engouement inédit : tous les leaders de l’économie mondiale de marché en sont actionnaires.

SPAC

Xavier Niel, Moez-Alexandre Zouari et Matthieu Pigasse, associés dans le SPAC 2MX Organic © Jean-Christophe Marmara / Le Figaro

Comme d’habitude, les États-Unis sont à la pointe : à Wall Street, 227 milliards de dollars ont été levés par 700 SPAC en un peu plus d’un an. Créées au début des années 2000, et tombées dans un quasi-oubli depuis, ces structures connaissent un engouement inédit : tous les leaders de l’économie mondiale de marché en sont actionnaires. Mais pas seulement. Des gloires du sport (Colin Kaepernick) ou de la musique (Jay Z) vantent leurs mérites, leur offrant ainsi une large tribune médiatique. L’Europe et la France ont suivi ce mouvement avec un léger décalage. De Bernard Arnault à Xavier Niel en passant par Matthieu Pigasse ou François Pinault, tous ces capitaines d’industrie sont parties prenantes de ce must-have des marchés financiers illustrant la déclaration de Peter Atwater dans le Wall Street Journal du 23 janvier dernier : « If you don’t have your own SPAC, you’re nobody ».

Au départ, le SPAC se résume à quelques actionnaires ayant pignon sur rue

Mais, au fait, c’est quoi un SPAC ? C’est une coquille vide, donc sans activité commerciale initiale, qui a récolté des fonds collectés auprès du public lors de son introduction en bourse (Initial Public Offering, IPO). La plupart des introductions se réalisent à New York et à Amsterdam dont les règles de marché sont souples aux yeux des investisseurs. À Paris, dont les règles sont plus rigides, seul 1 SPAC est actuellement coté (2MX Organic). 3 autres pourraient l’être en 2021. Au départ, le SPAC se résume donc à quelques actionnaires ayant pignon sur rue et à une équipe de gestionnaires spécialisés dirigée, le plus souvent, par un banquier d’affaires réputé comme Thidjane Thiam. Cet assemblage de sponsors connus et de professionnels patentés doit stimuler l’appétit des investisseurs lors de l’IPO et gonfler les capitaux disponibles du SPAC. 15 % des fonds levés couvrent les frais de gestion. Les 85 % restants sont bloqués et seront utilisés pour acquérir une ou plusieurs entreprises non encore cotées, généralement dans un secteur spécifié à la création. Par exemple, 2MX Organic, dont Xavier Niel et Matthieu Pigasse sont les actionnaires emblématiques, a levé 300 millions d’euros pour acquérir des firmes spécialisées dans la nourriture saine. Celui de François Pinault, Freedom Acquisition I, recherche des firmes spécialisées dans les services financiers. Si, au bout d’un laps de temps donné (18 à 24 mois), le SPAC n’a pas développé d’activité, les fonds restants sont restitués aux actionnaires. Le secteur de prédilection des SPAC concerne les start-ups en quête de capitaux pour financer leur croissance. Les cibles privilégiées se trouvent bien évidemment dans le domaine de la tech sous toutes ses déclinaisons (agritech, biotech, cleantech, deeptech, edtech, fintech, foodtech, greentech, legaltech, medtech…), mais aussi dans le domaine du big data, de l’IoT, de la silver economy…. Bref, les SPAC sont à la recherche de pépites qui, une fois fusionnées, produiront des cash-flows, dégageront des profits et donc des dividendes pour les investisseurs.

François-Henri Pinault
a son SPAC : Freedom Aquisition I © D. R.

Dans les années 2000, le SPAC était considéré comme une solution de second rang par rapport à une IPO pour une firme en quête de capitaux. Cette hiérarchie semble s’inverser aujourd’hui. Quelles en sont les raisons ? Prenons l’exemple d’une entreprise non cotée qui souhaite vendre tout ou partie de son capital. Le premier avantage du SPAC par rapport à l’IPO est le temps. L’introduction en bourse peut ressembler à un parcours du combattant. La firme doit remplir scrupuleusement le cahier des charges du marché (Euronext à Paris), satisfaire les exigences du régulateur (l’ACPR), rencontrer et convaincre des investisseurs de faire partie du tour de table, expliquer aux analystes financiers le business model, déterminer une fourchette de prix à l’introduction… Le délai moyen d’une IPO varie entre 6 et 12 mois ; IPO qui peut se révéler finalement infructueuse si les conditions de marché ne sont pas réunies. Avec un SPAC déjà coté, le délai est d’environ 3 mois, puisque la firme cible fusionne simplement avec lui à l’issue d’une négociation entre les dirigeants des entités respectives. Si ce processus fait gagner du temps, il permet également de réduire les coûts d’introduction en bourse, ce qui constitue un deuxième avantage. Enfin, le prix auquel sont vendues les actions de la firme est fixé, une bonne fois pour toute, à l’issue de la négociation avec le SPAC. Les propriétaires de la cible savent donc parfaitement le montant qu’ils récupèrent et ne sont pas soumis ainsi aux vicissitudes du marché et à la volatilité des prix. Ce troisième avantage est loin d’être anodin. Pour preuve, l’introduction (classique) de Deliveroo à la City le 31 mars dernier a viré « au cauchemar » pour ses propriétaires. Le prix initial prévu était de 3,90 livres par action qui était le prix plancher de la fourchette. Mais, devant le faible appétit des investisseurs, le prix est finalement ressorti à 3,31 livres, soit une baisse de 15 % à l’ouverture de la cotation, baisse qui s’est amplifiée tout au long de la journée. De façon symétrique, les propriétaires de la firme entrant en bourse peuvent constater une forte demande pour leurs actions qui profitent aux premiers acheteurs mais pas eux. La Deutsche Bank indique, qu’en 2020, les prix des titres nouvellement introduits sur le marché ont augmenté de 40 % en moyenne le premier jour de cotation. La fusion avec un SPAC annule mécaniquement la volatilité du prix d’introduction.

Les cibles privilégiées se trouvent bien évidemment dans le domaine de la tech sous toutes ses déclinaisons

Les risques du SPAC

Ces 3 avantages ne doivent pas masquer les risques du SPAC. Le premier est supporté par les propriétaires de l’entreprise cible car rien ne dit que le prix de cession est optimal. La force de frappe du SPAC peut impliquer la vente au rabais. Dans ce cas, les actionnaires historiques auraient mieux fait de passer par le marché. Pour l’investisseur lambda, le premier risque est que le SPAC ne trouve pas d’entreprises à acheter dans le délai imparti. La coquille reste désespérément vide. Les investisseurs vont récupérer leurs mises défalquées des frais de gestion, ce qui implique une moinsvalue. Le risque d’échec du SPAC est loin d’être anodin puisque, selon Renaissance Capital, moins de 40 % des SPAC opérationnels depuis 2015, ont conclu des opérations. Un deuxième risque pointé récemment par le régulateur des marchés financiers américains, la SEC, est le prix d’introduction des actions du SPAC auprès du public.

Comme on l’a vu, le SPAC se constitue initialement autour d’actionnaires réputés qui s’entourent d’experts de haut vol pour susciter l’intérêt massif d’investisseurs anonymes en quête de plus-value. Plus ces derniers veulent investir, plus le prix d’introduction de l’action du SPAC est élevé. L’interrogation de la SEC porte sur le prix auquel les sponsors ont acquis les actions. Il y a une suspicion selon laquelle ils auraient pu bénéficier d’une décote pour investir le SPAC et pour le populariser afin d’appâter des investisseurs avides de rendement. Une version actualisée de la fameuse pyramide de Ponzi !

Le dernier risque porté par le SPAC est la qualité de ses investissements et donc des dividendes servis à ses actionnaires. L’idée que l’association de sommités permet mécaniquement de produire des rendements supérieurs à ceux des marchés est souvent remise en cause par les faits. Toujours selon Renaissance Capital, le rendement médian des SPAC cotés depuis 2015 est fortement négatif (- 36 % !) alors que les IPO ont produit un rendement moyen, sur la même période, fortement positif (+ 37 % !). Les SPAC pourraient donc se révéler un miroir aux alouettes pour les petits investisseurs. Rappelons-nous que l’une des faillites les plus retentissantes sur les marchés fut celle de LTCM en 2000 ; faillite qui faillit provoquer une crise systémique. Ce fonds d’investissement américain fut pourtant créé par un trader star de Salomon Brothers, Jerry Meriwether, et par 2 prix Nobel d’économie spécialistes de finance de marché, Robert Merton et Myron Scholes. Derrière les harmonies du prévu, les dysfonctionnements du vécu ?

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