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Christian Prat Dit Hauret – Relance économique : défis et solutions

Face à cette crise économique actuelle née de la crise sanitaire, l’enjeu est aujourd’hui de redresser la production et de rétablir le plus rapidement possible l’équilibre des finances publiques. Il nous faut de la croissance, de la croissance, et de la croissance. Or, cette dernière ne se décrète pas. Elle se construit. Le tout est de bâtir une croissance intelligente et répondant aux aspirations de bien-être de la population. L’idéal serait une reprise de la croissance en V au 2e semestre 2021.

Christian PRAT DIT HAURET professeur à l’IAE Université de Bordeaux

Christian PRAT DIT HAURET, professeur à l’IAE Université de Bordeaux © Atelier Gallien

La crise économique actuelle, née de la crise sanitaire, est la plus grave depuis la Grande Dépression de 1929, même si ses origines sont bien différentes. Les chiffres sont édifiants. Selon le Fonds Monétaire International (FMI), le montant de la richesse détruite au niveau mondial en 2020 s’est élevé à 11 000 milliards d’euros, soit une baisse de 5 % de l’activité mondiale. De son côté, la Banque Mondiale estime que 150 millions de personnes pourraient tomber dans une misère extrême (soit avec moins de 2 dollars par jour pour vivre) et 260 millions de personnes supplémentaires ne mangent plus à leur faim depuis le début de la crise. De manière plus globale, les pays en voie de développement sont durablement frappés sur le plan économique et leur PIB devrait baisser de 3,3 points ce qui traduit le caractère mondial de la crise et le caractère très interconnecté des différentes économies du monde. Les pays en voie de développement ont subi de plein fouet la chute de la demande mondiale qui s’est traduite par une diminution de la consommation de matières premières, un effondrement de l’activité touristique et une forte diminution des transferts monétaires des expatriés vers les membres de leur famille, restés dans leurs pays d’origine. Contrairement aux pays occidentaux et à la Chine, les pays en voie de développement subissent des taux d’intérêt élevés et la rareté de l’argent qui en plus leur coûte cher.

En France, les chiffres n’en sont pas moins édifiants. Le PIB s’est effondré en 2020. Le chômage a atteint 11 % de la population active. Le déficit commercial est de plus de 70 milliards d’euros et la facture financière du Covid pour l’État est colossale (augmentation des dettes de soutien et effondrement des recettes) ce qui a fait exploser son endettement, ce dernier passant de 100 % du PIB en janvier 2020 (montant déjà très élevé) à 120 % du PIB. L’endettement global atteint aujourd’hui 2 700 milliards d’euros. Le critère de Maastricht d’un endettement de l’État ne devant pas dépasser 60 % du PIB n’est plus qu’un lointain souvenir. Il faut remonter à l’année 2000 pour voir ce critère de bon sens respecté. Quant au déficit budgétaire de l’année 2020, il est astronomique et a atteint 250 milliards d’euros. Du jamais vu dans l’histoire économique contemporaine de la France. L’endettement des entreprises a également explosé avec l’octroi de Prêts Garantis par l’État de l’ordre de 150 milliards d’euros. La question de leurs remboursements va très vite se poser dans les mois à venir. Et malheureusement, les PSE (Plan de Sauvegarde des Emplois), plans qui portent bien mal leurs noms, ont explosé et devraient se poursuivre dans les mois à venir.

Les réponses apportées en 2020 ont été de mettre l’économie française sous respirateur artificiel afin d’éviter un appauvrissement généralisé et un chômage de masse, d’assurer la rémunération des salariés des secteurs public ou privé et d’éviter les faillites des entreprises et des banques. Le « quoi qu’il en coûte » du président de la République, qui a repris la jurisprudence de Mario Draghi lorsqu’il était président de la BCE au moment de la crise financière de 2009, s’est traduit par une politique de création monétaire (soit de manière plus triviale, « actionner » la planche à billets) sans aucune relation avec la richesse créée, ce qui a eu pour conséquence la création de bulles immobilières et boursières.

La facture financière du Covid pour l’état est colossale, ce qui a fait exploser son endettement

En fait, l’analyse de la crise est simple : c’est une crise de l’effondrement de la production. Compte tenu du confinement, on a beaucoup moins produit et beaucoup moins consommé. C’est donc un double choc de l’offre et de la demande auquel l’économie française est confrontée. La réponse à apporter est l’inverse : il faut reproduire et si possible plus qu’avant, et recommencer à consommer, ce que feront vraisemblablement ceux qui en auront les moyens (restauration, hôtellerie, voyages pour les plaisirs les plus évidents). Tout l’enjeu est de redresser la production et de rétablir le plus rapidement possible l’équilibre des finances publiques. Il nous faut de la croissance, de la croissance, et de la croissance. Or, cette dernière ne se décrète pas. Elle se construit. Le tout est de bâtir une croissance intelligente et répondant aux aspirations de bien-être de la population. L’idéal serait une reprise de la croissance en V au deuxième semestre 2021. Il faut que l’on évite une croissance en U, en W et le pire de tout, une croissance en K qui laisserait une partie de la population au bord de la route et qui creuserait les inégalités sociales.

La France est face à son destin et se trouve confrontée à des défis économiques, sociaux et sociétaux qu’elle n’a pas plus connus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le premier défi auquel le pays est confronté est de retrouver sa place de coleader économique avec l’Allemagne au sein de l’Europe. Au fond du trou il y a 20 ans, les Allemands l’ont fait et il n’y a pas de raison que l’on n’y arrive pas. La France doit redevenir le deuxième pilier de l’Europe pour soutenir sa sœur allemande, éviter le déclin et permettre à la communauté des peuples européens d’être une zone d’équilibre entre l’Amérique du Nord, la Chine, ses pays satellites et l’Afrique qui prendra toute sa place méritée au cours du XXIe siècle. La France le doit à ses frères et sœurs européens qui ont permis la confiance des prêteurs en l’Euro et qui ont accepté le principe d’un plan de relance européen XXL de 750 milliards d’Euros. N’oublions jamais l’Histoire : une Europe désunie et appauvrie fut le terreau de la guerre et de la pauvreté. Des réformes structurelles de l’Europe sont néanmoins nécessaires pour convaincre les eurosceptiques afin de réduire les lourdeurs administratives, de rendre plus concrètes les décisions prises et ainsi d’éviter une dualité trop forte entre les « cigales » d’Europe du Sud et les « fourmis » d’Europe du Nord.

économie française

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Un deuxième défi auquel les Français et leur émanation, l’État, sont confrontés est celui de l’endettement colossal. Nous sommes rentrés dans le monde incertain de l’hyper-dette. Or, il convient de partir du principe que nous devrons rembourser tôt ou tard notre dette. Tout d’abord, pour des raisons morales. Si on a une dette, c’est que quelqu’un nous a fait confiance en nous prêtant. Il est donc particulièrement malvenu de ne pas honorer la confiance accordée car il s’agirait d’une trahison de la confiance accordée, voire d’un méga vol. Ensuite, de manière plus froide, en cas de non-remboursement, ce qui s’appelle faire défaut, la France aurait du mal à obtenir la confiance future de prêteurs qui n’auront pas oublié qu’ils ont été précédemment trahis.

À très court terme, la question du remboursement du PGE va se poser. Il est difficile d’apporter une réponse globale et il est préférable de faire une analyse fine des différentes situations des entreprises en distinguant celles qui peuvent le rembourser, notamment car elles étaient précédemment peu endettées et celles qui ne le peuvent pas au risque de se retrouver en cessation des paiements. Pour ces dernières, il convient de leur laisser une chance de le rembourser plus tard. On pourrait ainsi les transformer en TSDI (Titres Subordonnés à Durée Indéterminée), ce qui en ferait des quasi-fonds propres, remboursables à terme. Néanmoins, je pense qu’une erreur a été commise durant la crise et que le PGE n’était pas la solution car on a financé des pertes d’exploitation par une ressource de financement à moyen terme qu’il conviendra de rembourser. C’est de capitaux propres dont avaient besoin les entreprises et notamment les PME, et non de dettes financières.

On pourrait pour certaines entreprises transformer les PGE en Titres Subordonnés à Durée Indéterminée (TSDI)

Il appartient donc à la France de reconstruire une économie réellement capitaliste avec un financement des investissements, du besoin en fond de roulement et des pertes d’exploitation par du capital apporté par les actionnaires. Pour donner un exemple, les actionnaires de Palantir ont apporté en 17 ans, cinq milliards de dollars pour financer un des cracks mondiaux du big data. Le capital apporté par les actionnaires est l’avenir du capitalisme français. Faisons comme nos amis suisses : quand les enfants naissent et que leurs parents veulent constituer de l’épargne pour leurs enfants, ils ouvrent un comptes titres et achètent des actions Nestlé. Or, pourquoi Nestlé ? C’est un des leaders mondiaux de l’agro-alimentaire. L’entreprise dégage 10 milliards de francs suisses de bénéfices pour 100 milliards de chiffre d’affaires. Le risque sectoriel est faible (il faut bien se nourrir) et chaque année, l’entreprise verse un dividende égal à 2,5 % du montant investi. Pas mal quand même ! De manière plus globale, cela pose la question du capitalisme français. Il convient de construire un capitalisme humaniste et d’assurer une répartition équilibrée de la valeur créée entre les différentes parties prenantes. Au niveau de l’État, quatre solutions s’offrent à nous pour rembourser la dette :

  • l’idéal : le retour de la croissance née de la reconstruction d’une économie de production mariée à une consommation de retour ;
  • la peste : un regain d’inflation qui fait que l’on remboursera avec de la « monnaie de singe » mais, attention au risque de stagflation et aux conséquences sur le budget des ménages si les salaires stagnent et restent bloqués ;
  • le choléra : une augmentation des impôts directs (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, ou autres) car cela freinera la consommation des ménages et la compétitivité des entreprises ;
  • une bombe à retardement : la monétisation de la dette (rachat de la dette par la BCE) qui peut entraîner une perte de confiance dans la monnaie européenne.

Ma préférence va de loin à la première solution car elle est positive, renforce le pacte social et traduit une amélioration de la situation pour tous les acteurs économiques. On revient sur l’idée qu’il faut produire, produire, produire de tout et pour tout le monde. Produire pour nos besoins nationaux mais également pour les besoins des habitants d’autres pays. La mondialisation économique est une chance et le protectionnisme, un vecteur de guerre et de tensions entre les nations. En tout état de cause, il va falloir maîtriser les dépenses publiques afin d’arrêter l’hémorragie et de stopper la course folle du déficit budgétaire de l’État, déficit qui a atteint des sommets insoutenables à terme.

De manière concrète, il serait utile de construire des filières stratégiques d’avenir « à la Pompidou ». J’en vois au moins deux : la « tech » et la filière pharmaceutique. Copions les Américains qui y excellent. Nous avons de très grands mathématiciens qui faciliteraient la construction d’une grande filière de l’économie numérique et digitale. Créons les Snapchat, Zoom, Netflix, Coincase, Microsoft, Google, Baidu, Xiaomi, Apple, TikTok, Palantir, Instagram, Tencent, Linkedin, WeChat, PayPal ou Facebook de demain et d’après-demain. Pour donner un exemple, créée il y a moins de 10 ans, la société Zoom a une capitalisation boursière de plus de 50 milliards alors que celle de Renault, créée il y a plus d’un siècle, vaut moins de 10 milliards. Afin de répondre à cet objectif, il convient de créer une Silicon Valley française dans une région comme la Nouvelle-Aquitaine en créant un écosystème start-up composé de sociétés naissantes, d’universités et de centres de recherche et de développement. La numérisation et la digitalisation de l’économie seront l’Alpha et l’Omega des modifications économiques et sociétales de la vie des Français au cours des prochaines années. Concernant la filière pharmacologique, il convient de relocaliser le maximum de production pour éviter tout chantage géopolitique. Une partie de l’augmentation des coûts de réinternalisation seront amortis par une diminution des coûts de transport et de logistique. Il convient de reconquérir la chaîne de valeur du médicament et de développer les compétences industrielles nécessaires. Une stratégie de reconquête doit être mise en place et peut être articulée autour d’investissements innovants, de dépenses de recherche et de développement ciblées et d’actions de formation efficientes.

De manière plus générale, la France doit mettre le paquet sur une économie de l’innovation afin de construire une compétitivité valeur plutôt que d’être obnubilée par la réduction des coûts et la logique du moins-disant qui fragilise également les pays et les salariés des pays ateliers. Les entreprises innovantes sont par ailleurs celles qui font le mieux fonctionner l’ascenseur social. L’innovation sera le meilleur antidote pour lutter contre le risque de déflation (baisse générale des prix) qui aurait des conséquences catastrophiques, à savoir une baisse des recettes fiscales, une augmentation de l’endettement, une augmentation des taux d’intérêt, une diminution de l’investissement, une stagnation des salaires, une augmentation du chômage et une baisse finale de la demande.

Autre défi de l’économie française : la solidarité intergénérationnelle

Un troisième défi auquel est confronté l’économie française est celui de la solidarité intergénérationnelle. L’économie a été mise en « stand by » pour sauver nos aînés ce qui est respectable et louable. Néanmoins, ce sont les plus jeunes qui en paient le prix fort de trois manières : les étudiants subissent des relations sociales et amicales dégradées, plus de 800 000 d’entre eux ont eu un accès difficile à l’emploi en 2020 et ils seront redevables dans le futur du montant astronomique de dettes contractées en l’espace d’un an. Et pour clôturer le tout, un cinquième d’entre eux serait dans une situation de réelle pauvreté. Même si les mesures risquent d’êtres impopulaires, il serait équitable soit de réduire les pensions de retraite pour ceux qui ont plus de 2 000 Euros de retraite par mois et par retraité et qui sont propriétaires de leur habitation principale, soit de taxer leurs patrimoines constitués d’avoirs financiers en créant un IFMS (Impôt sur la Fortune Mobilière de Solidarité) ou en augmentant la CSG sur les retraites.

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Un quatrième défi est d’arrêter la destruction de l’industrie manufacturière française. On fait aujourd’hui des kilomètres en France sans voir un site industriel. On ne peut pas être uniquement un « Club Med » et un pays de flux et d’entrepôts logistiques. On ne peut plus continuer comme cela, continuer à détruire l’intelligence de la main et sacrifier le monde ouvrier qui mérite respect et reconnaissance, et le tout dans l’indifférence la plus totale. En 1990, le nombre d’emplois dans l’industrie était de 4,3 millions. Le chiffre est tombé à 2,8 millions en 2020, soit une baisse de 1,5 million d’emplois en 30 ans. C’est vertigineux et dramatique. Comme l’évoque très justement le nouveau président américain Joe Biden, dont le père a été touché par le chômage, un emploi c’est plus qu’un chèque à la fin du mois, c’est une question de dignité. C’est également l’espace des relations sociales co-construites avec ses collègues de travail. L’histoire du Nord de la France et des mineurs le montre bien. Le futur président Biden a ainsi résumé sa priorité économique par trois mots : « Jobs, Jobs, Jobs ».

L’endettement des entreprises a aussi explosé avec l’octroi des PGE qu’il faudra rembourser

Le cinquième défi auquel la France pourrait être confrontée dans les années à venir serait une remontée des taux d’intérêt suite à une perte de confiance des prêteurs qui pourraient prendre peur et avoir des doutes sur la recouvrabilité de leurs créances, et ceci notamment si le niveau de croissance de l’économie française s’avérait faible. Consommation des ménages et investissements des entreprises seront-ils au rendez-vous dans les mois à venir ?

Un sixième défi à relever est celui de l’emploi des séniors qui est insuffisant. En effet, le taux d’emploi des 55-64 ans est de moins de 50 % et près de 60 % des chômeurs de longue durée ont plus de 50 ans, ce qui est un gâchis sociétal inacceptable.

Un septième défi auquel l’économie française est confrontée est celui de l’augmentation de la pauvreté d’une partie de la population française. Une explosion du nombre des bénéficiaires a augmenté au cours de ces derniers mois aux Restos du Cœur, aux Secours Populaire et Catholique. Le nombre de bénéficiaires du RSA est lui aussi en forte hausse. Reconstruire une économie de la production afin que chacun y trouve sa place doit devenir une priorité nationale.

Il convient de créer une Silicon Valley française dans une région comme la Nouvelle-Aquitaine.

 

Plusieurs leviers d’action

Ainsi, plusieurs leviers d’action existent pour restaurer la compétitivité de l’économie et permettre de créer de la richesse collective.

  1. Améliorer l’efficience des actions de formation, de formation continue tout au long de la vie afin d’augmenter le capital compétences et ressources des salariés des organisations publiques et privées.
  2. Continuer à développer l’apprentissage et les contrats en alternance en adéquation avec les besoins en termes d’emplois des entreprises.
  3. Consolider l’enseignement professionnel en adéquation avec les besoins des entreprises afin de valoriser « l’intelligence de la main ».
  4. Relever avec enthousiasme le défi de la digitalisation de l’économie.
  5. Simplifier l’environnement administratif et réduire les normes pesantes et contraignantes.
  6. Simplifier le code du travail, le code général des impôts et l’accès aux marchés publics.
  7. Éviter les licenciements brutaux.
  8. Respecter la dignité des salariés et développer un culture de la reconnaissance du travail effectué.
  9. Restaurer  la confiance employeur-salariés et revisiter la relation capital-travail de manière a-idéologique.
  10. Orienter les salariés, et surtout les jeunes diplômés, vers les filières d’avenir.
  11. Lutter contre l’insatisfaction au travail qui est source de stress, de baisse de l’implication professionnelle et de perte des talents pour les organisations.
  12. Faire plus contribuer au financement de l’assurance chômage les entreprises qui licencient et moins celles qui gardent leur personnel.
  13. Renforcer  la culture scientifique et réduire l’hostilité à la science.
  14. Se  lancer à corps perdu dans l’exportation et accorder des aides aux PME pour l’embauche de VIE.

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