Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Gironde, la culture en ébullition

Culture en Gironde : Depuis la fermeture des établissements en novembre dernier, artistes et acteurs culturels n’en peuvent plus d’attendre que vienne enfin leur tour. Mais derrière les portes closes et les rideaux baissés des théâtres et des salles de spectacles, l’animation est à son comble. Entre incrédulité et espoir.

culture bordeaux gironde

Anthony Egea pour le GLOB théâtre © Pierre PLANCHENAULT

Alors rouvrira ou rouvrira pas ? Mi-mai ? Juin ? Septembre ? L’hiver est long, très long pour les établissements culturels. Après un début de saison amorcé en septembre-octobre, tous ont fermé leurs portes pour le second confinement. Lorsque les salles ont dû fermer fin octobre, c’était la consternation. Pourtant, dans le plan de déconfinement présenté par le président Macron, il était encore question d’une réouverture début 2021. Mais une nouvelle conférence de presse de Matignon le 7 janvier est venue doucher tous les espoirs. Depuis, artistes et acteurs culturels n’en peuvent plus d’attendre que vienne enfin leur tour. Mais derrière les portes closes des théâtres et des salles de spectacle, derrière les rideaux baissés, l’animation est à son comble. Tous se battent pour faire renaître leur art, cherchant de nouveaux espaces et moyens de création. « On n’a jamais cessé de travailler. » Cette phrase est revenue immanquablement sur toutes les lèvres des personnes interrogées pour cette enquête.

Tous se battent pour faire renaître leur art, cherchant de nouveaux espaces et moyens de création

RÉPÉTITIONS ET RÉSIDENCES D’ARTISTES

collectif OS'O

Collectif OS’O © Pierre Planchenault

Au Pin Galant à Mérignac, c’est la sidération ce mardi 27 octobre. Le spectacle prévu le soir même est annulé dans la journée : « À midi, on ne savait pas encore si on fermait ou pas » témoigne Philippe Prost, son directeur. Des compagnies viennent répéter, mais « sans plus de congrès, ni d’événementiel, c’est une année blanche ». Depuis, le milieu de la culture cherche de nouveaux moyens d’expression. « Contrairement au premier confinement, on a été autorisé à poursuivre les travaux de création et les répétitions, » remarque Ariane Braun, administratrice générale du TnBA de Bordeaux. « Nous avons rouvert nos plateaux pour les équipes prévues et non prévues.  Actuellement, le collectif OS’O est en pleines répétitions. »

Ici comme au Glob Théâtre, ou au Carré-Colonnes, des résidences d’artistes en répétition continuent. À l’Opéra également, les répétitions vont bon train : « la compagnie de danse comme l’orchestre répètent tous les jours », renchérit Gabrielle Laviale, en charge de la régie générale et de la coordination artistique, « pour les danseurs c’est très dur. Ils dansent sans public. L’adrénaline du spectacle aide le corps à tenir, il y a tout un protocole de préparation avant le jour J. Là, il y a des cas de blessures, car le moral lâche. Il faut garder l’excellence, la qualité de la technique. C’est pareil pour les musiciens. »

Au Théâtre des Beaux-Arts de Bordeaux, quatre compagnies sont actuellement en répétition sur des spectacles très différents. « On leur met le théâtre à disposition pour répéter en vue de leur sortie de résidence », indique Loïc Rojouan, auteur, comédien et directeur du théâtre. Même son de cloche au Pin Galant, qui pourtant ne produit pas de spectacle. Au Rocher de Palmer à Cenon, l’activité continue également : « cette semaine, c’est un groupe de jazz Nouvelle-Orléans qui répète. On a souvent aussi des chorégraphes, des compagnies de danse parce qu’on a de grandes scènes, » témoigne Anne Chaput, chargée de communication au Rocher de Palmer. L’activité se poursuit aussi au forum du Rocher, entre l’espace de coworking (gratuit), la pépinière de jeunes entreprises ou associations, les formations numériques à destination de public décrocheur, sans oublier les résidences d’artistes. « Cela fait du passage, de l’animation ». Car tous les acteurs culturels insistent sur l’importance de conserver le lien avec le public.

 

Festival des Hauts de Garonne Lormont

Festival des Hauts de Garonne au Rocher de Palmer à Lormont © Guillaume Madec

Le Carré-Colonnes a remporté de grands succès avec ses « spectacles à emporter »

« Au TnBA, nous avons deux axes principaux de travail : la création et la politique culturelle pour maintenir le lien avec la jeunesse. On s’est déplacé dans les établissements faire des lectures, des ateliers, des lectures jouées. Les ateliers de pratique artistique proposés aux étudiants ont rencontré un énorme succès, » indique Anne Braun. Le Carré-Colonnes a remporté de grands succès avec ses « spectacles à emporter » proposés aux établissements scolaires de la Métropole et du Médoc. Au Grand Théâtre, ce sont les musiciens à cordes qui vont à 2 ou 3 jouer dans les Ehpad, sans oublier les interventions dans les écoles.

« C’est très difficile d’être dans une démarche créative quand on n’a pas d’échéance », Loïc Rojouan

ENTRE ÉPUISEMENT ET ESPOIR

Maintenir le lien avec le public est une priorité, et une difficulté. « Notre grande inquiétude après ces mois si difficiles, c’est comment communiquer », s’interroge Philippe Prost. Ainsi le Pin Galant a lancé un questionnaire auprès de son public. Sur 2 300 personnes interrogées 82 % se disent prêtes à revenir, et 63 % accepteraient d’acheter leurs billets dès l’ouverture. « Mais lorsqu’on reporte un spectacle jusqu’à 4 fois, ça devient très difficile » se désole Loïc Rojouan. « Le lien avec le public s’est distendu. Ça crée beaucoup de doute, nous on rassemble du monde. » Pour l’heure, le directeur du théâtre s’est transformé en « chasseur d’aides » car il a fallu s’endetter pour passer l’hiver. Il en a profité également pour concrétiser un projet d’intégrer l’économie sociale et solidaire avec une gouvernance partagée. « J’écris aussi un spectacle avec une comédienne, » continue Loïc Rojouan, mais c’est très difficile d’être dans une démarche créative quand on n’a pas d’échéance. »

Notre rêve ultime est de sauver Carmen dont la première est prévue le 30 mai à l’Opéra de Bordeaux

Celestial

© Yohan Terraza

« La représentation d’Hamlet prévue à l’Opéra en janvier a dû être annulée. Ça a été un coup dur. On a parfois un sentiment de découragement », déplore Gabrielle Laviale, « on réinterroge chaque spectacle : qu’est-ce qu’on peut maintenir ? Notre rêve ultime serait de sauver Carmen, dont la première est prévue le 30 mai. » Et les équipes ont planché sur toutes les options : déplacer la mise en scène à l’Auditorium de Bordeaux cours Clémenceau où la distanciation est plus facile. Finalement, elles ont finalement tranché pour une version concert, sans costumes, pour éviter le brassage avec trop de technique.

« On a élaboré un plan A, un plan B, un plan C, un plan D, » se désole-t-elle, « à chaque fois, on se remet dans une énergie positive, et puis quand on se rend compte que ça ne marche pas, c’est tant de déception. Cette réorganisation permanente est épuisante ». Sentiment très largement partagé. « Les programmations et mises en vente de concerts se font tout au long de l’année », explique Anne Chaput, « nous avons des choses prévues en permanence, que nous devons annuler ou reporter c’est très fatigant. » Au TnBA, la prochaine mise en scène « Un ennemi du peuple » est prévue le 18 mai. « La compagnie est à fond, mais nous on est un peu perplexe, » remarque Ariane Braun, « on a la sensation que mai ce sera non, et juin compliqué. Plus le temps passe, plus c’est difficile de garder espoir. »

 

Gabrielle Laviale

© Eric Bouloumie

 

HORS LES MURS

Les artistes recherchent de nouveaux espaces de création. Au Carré-Colonnes, la Compagnie Opéra Pagaï et des artistes associés ont planté « les Semis de Printemps », des graines de poésie pour célébrer la vie et le renouveau. Les acteurs culturels revisitent leurs programmes et s’adaptent tant bien que mal. Au TnBA, le festival Focus se jouera à huis clos, sur deux jours au lieu de trois, et sera adressé aux professionnels. Un maintien essentiel pour l’avenir des artistes. Ce parcours de 9 propositions aura lieu les 6 et 7 mai, montrant ainsi le travail de création des artistes ; « nous l’avions programmé avant la fermeture au public de nos salles mais cela devient encore plus pertinent aujourd’hui où nos activités sont essentiellement ces moments de recherche », souligne Catherine Marnas, metteuse en scène et directrice. Si le personnel du théâtre ne sait pas encore comment pourront se jouer les spectacles dans les 3 salles de l’établissement, il a imaginé une saison estivale avec de nombreux spectacles reprogrammés en extérieur, au square Dom Bedos, sur la période juin-juillet, à raison d’un spectacle par semaine.

Un espace plein air que le théâtre des Beaux-Arts souhaiterait également investir durant l’été pour une dizaine de représentations, sans oublier le festival « Va jouer dehors » pour l’instant en attente. Mais le théâtre des Beaux-Arts ne rouvrira certainement qu’en septembre : « si on nous impose une jauge de 30 personnes au lieu de 90 en temps normal, ce ne sera pas rentable ». Au Pin Galant également, la perspective de baisser drastiquement la jauge remet en cause le modèle économique. L’équipe espère qu’elle pourra maintenir le Marie-Antoinette de Malandain Ballet Biarritz, prévue pour le 15 juin. Au Rocher, le mot d’ordre est s’adapter ! Pourront-ils maintenir le concert de Ben Mazué prévu le 4 juin et complet dès son annonce ?

« On se focalise sur l’été, » intervient Anne Chaput, « on a demandé des autorisations de concerts en plein air pour nos festivals : les Hauts de Garonne qui rassemblent plus de 1 000 personnes dans des parcs de la rive droite début juillet, les Inédits de l’été sur juillet et août, et un autre format de concerts d’été mi-juillet. ».

« La saison prochaine sera encore plus ambitieuse. Elle génère beaucoup d’espoir, beaucoup d’envie »

À l’Opéra, cela va se jouer hors les murs, lors de la programmation estivale durant la saison Ressources. Là encore, les négociations sont en cours pour des concerts à travers la ville. « L’envie est très forte. On aimerait jouer Carmen en extérieur. L’ONBA va aussi donner de grands concerts à l’occasion du départ de Paul Daniel, et sur la thématique du bestiaire, la grande exposition de l’été sur les bêtes de scène. Ça va être magnifique ! » insiste Gabrielle Laviale.

AMBITION SEPTEMBRE

Loïc Rojouan culture Gironde

Loïc Rojouan © D. R.

Alors échaudé le milieu de la culture par les confinements et reconfinements ? Même si on sent poindre parfois un certain scepticisme, les acteurs culturels se projettent déjà dans une saison 2021-2022 très ambitieuse. Les lieux privés en particulier attendent de connaître les nouvelles conditions d’accueil. Malgré ça, au Pin Galant, on joue le jeu. On annonce comme chaque année 75 spectacles, moitié reports, moitié nouveautés. L’équipe attend septembre pour relancer les abonnements, même si « on sait que le public veut revenir », note sa directrice de communication Chrystelle Bordesoulle. « La prochaine saison sera forcément très originale, avec beaucoup de reports, mais aussi des créations, » poursuit Loïc Rojouan, « et c’est peut-être un des bienfaits de cette crise, il faut nous remobiliser pour reconquérir le public ». Le Rocher de Palmer lui relance ses concerts dès fin août au lieu de fin septembre. « Il ne faudra pas craindre les embouteillages, » sourit Anne Chaput, « on a prévu énormément de concerts, avec tous les reports et nouveautés. Ce sera pléthorique ! » Et Ariane Braun d’annoncer pour le TnBA : « Nous sommes en pleine préparation de la saison prochaine que nous présenterons cette année en septembre au lieu de juin. Dans notre programmation, nous avons privilégié surtout des nouveautés, gardant les reports pour la saison estivale. On ne relancera les abonnements qu’en octobre, on préfère attendre ! ».

« Cette saison sera encore plus ambitieuse, » conclut Gabrielle Laviale, « avec tous les reports de récitals, de concerts etc. qui n’ont pas eu lieu. Elle génère beaucoup d’espoir, beaucoup d’envie ».

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