Couverture du journal du 16/10/2024 Le nouveau magazine

Bordeaux – Metavers, le nouveau monde

Le prix des terrains et les investissements y explosent ; les marques de luxe y ouvrent des boutiques et les artistes y exposent ; une femme s’y est faite agresser tandis que d’autres pourront s’y faire soigner : bienvenue dans
le Metavers, considéré par certains comme l’avenir d’Internet. Alexandre Bertin, responsable Veille et Prospective chez Bordeaux Unitec, auteur d’une note de veille sur le sujet, nous dévoile le potentiel mais aussi les écueils de ce monde virtuel.

Metavers, Facebook, Alexandre Bertin, Unitec

© Shutterstock

Échos Judiciaires Girondins : Comment définir le Metavers ?

Alexandre Bertin : « Le Metavers est un univers virtuel en 3D dans lequel on va pouvoir se déplacer grâce à un avatar, qui nous ressemble ou non. Pour Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook, qui a renommé sa société mère en « Meta », « on peut se figurer le Metavers comme une version incarnée d’Internet, où vous ne faites pas que consulter un contenu : vous êtes dedans ». Il s’agit donc véritablement d’un monde dans lequel on devrait se déporter, être immergé, et dans lequel on peut interagir avec d’autres personnes, mais également avec des sociétés, qui commencent à y installer des boutiques. Pour Mark Zuckerberg, le Metavers est tout simplement l’avenir d’Internet. Cependant, il n’y a pas un Metavers, mais des Metavers, plusieurs entreprises ayant lancé leurs solutions. »

 

EJG : Un équipement particulier est-il nécessaire pour y pénétrer ? Est-ce une brique essentielle du Metavers ?

Alexandre Bertin : « Actuellement, on peut se connecter à un site Internet pour entrer dans le monde virtuel via son écran d’ordinateur ou de smartphone. Mais à terme, l’idée est de basculer d’une vie réelle vers une vie virtuelle. Et pour cela, il faudra pénétrer dans le Metavers en utilisant des casques et des lunettes de réalité virtuelle et augmentée (AR-VR), qui permettent non plus de voir son avatar évoluer, mais de se projeter dedans : voir à travers ses yeux, parler avec sa voix et entendre avec ses oreilles des sons spatialisés. Les technologies haptiques ou tactiles, présentes dans des gants, des combinaisons, des chaussures, des vêtements, des gilets… vont compléter le dispositif pour permettre de ressentir des sensations, de sentir dans le monde réel ce que l’on touche virtuellement. Il ne manque que les odeurs, mais on peut imaginer qu’un jour, le Metavers sera en odorama. »

 

Metavers, Facebook, Alexandre Bertin, Unitec

© Shutterstock

 

EJG : Quels sont les liens entre le Metavers et la blockchain ?

Alexandre Bertin : « La blockchain est partie prenante du Metavers par l’intermédiaire des NFT (les jetons non fongibles), qui sont une monnaie virtuelle que l’on peut utiliser pour réaliser des échanges commerciaux dans le Metavers, mais également pour posséder le Metavers. Par exemple, on peut utiliser des NFT pour customiser son avatar, en lui achetant des vêtements, chaussures et accessoires virtuelles de marque. Les entreprises peuvent également s’installer dans le Metavers en achetant des terrains virtuels pour y bâtir des bâtiments dans lesquels elles ouvrent des showrooms ou des boutiques virtuels. Elles peuvent y vendre des biens virtuels destinés à rester dans le Metavers, mais aussi présenter des collections de biens physiques de manière virtuelle, que les avatars peuvent essayer, commander et que les gens pourront recevoir chez eux dans le monde réel. Car l’avatar que l’on se crée dans le Metavers, on peut le créer à son image, à sa morphologie : faire un jumeau numérique de soi, qui pourra essayer des vêtements numériques nous allant dans le monde réel. »

On va pouvoir reproduire dans le Metavers des répliques virtuelles exactes d’usines, de machines, de systèmes ou de process

EJG : Tout cela est-il vraiment nouveau ? Quelles sont les prémices du Metavers ?

Alexandre Bertin : « Le jeu vidéo Second Life, créé dans les années 2000 (et qui existe encore) est l’un des précurseurs du Metavers, avec son monde virtuel et ses avatars, mais sans l’AR-VR. Le jeu Pokémon Go, qui consistait à se déplacer dans un espace physique (une ville) pour y chasser des petits Pokémon en réalité augmentée grâce à son smartphone, a également œuvré à la virtualisation des échanges et de la vie humaine. On peut donc dire que le Metavers part clairement de l’univers du jeu vidéo. D’ailleurs, plusieurs jeux sont aujourd’hui des pseudo-Meta- vers, comme Assassin’s Creed, sorte de Metavers scénarisé, de monde ouvert dans lequel on se déplace avec un avatar soldat. Ou encore Fortnite, plateforme dans laquelle on évolue avec un avatar, que l’on peut d’ailleurs customiser : on dépense de l’argent pour équiper son avatar, sans aucune finalité autre qu’esthétique dans le jeu. C’est très utilisé par les gens qui jouent à Fortnite, ou à des jeux vidéo de sports où il existe un business de l’équipement du joueur bien plus lucratif que la vente des jeux en eux-mêmes. C’est aussi pour cela que le Metavers et son business devraient prendre : parce que cela s’adresse à une génération qui a été élevée aux jeux vidéo. »

 

EJG : Le jeu vidéo est donc l’une des applications principales du Metavers. Y a-t-il d’autres exemples ?

Alexandre Bertin, Unitec, Bordeaux, metavers

Alexandre Bertin © Maria Alberola

Alexandre Bertin : Des solutions sont déjà en développement pour faciliter le travail, par exemple, qui reposent sur la possibilité de déporter les salariés, sous forme d’avatar, dans le Metavers. L’idée est de reproduire chez soi les conditions de travail que l’on peut avoir dans des bureaux, grâce à des casques d’AR-VR qui nous projettent dans des salles virtualisées avec nos collègues. Microsoft travaille notamment sur ces solutions. Le Metavers intéresse également le secteur du sport, comme Nike par exemple, qui a créé sur Roblox (plateforme de Metavers antérieure) un parc, Nike Land, où la marque présente ses produits et où l’avatar peut venir tester et acheter des équipements sportifs. Les grandes marques et les marques de luxe comme Gucci, Dior, Louboutin… y ouvrent des boutiques et des showrooms. Là, il s’agit plus de marketing et de l’idée d’être présent dans le Metavers par anticipation, avant les concurrents. L’agence de conseil en marketing Havas Group propose d’ailleurs un service d’accompagnement au déploiement de stratégies Metavers auprès de ces marques. On voit aussi depuis peu arriver des investisseurs immobiliers qui achètent des terrains et les louent ensuite aux marques.

 

EJG : Peut-on également imaginer que le Metavers ait des applications dans l’industrie, notamment via le concept de jumeau numérique ?

Alexandre Bertin : « C’est en effet l’une des applications possibles dans le futur. On va pouvoir reproduire dans le Metavers des répliques virtuelles exactes de ce qui existe dans le monde physique, comme des usines, des machines, des systèmes ou des process. Le Metavers sera un des lieux de déploiement du jumeau numérique à des fins de prototypage, de maintenance prédictive, etc. Le Metavers pourrait aussi proposer des applications dans le domaine de la santé, l’avatar devenant à terme une copie virtuelle de nous-mêmes, un vrai jumeau numérique comportant nos données physiologiques (taille, poids, mensurations…) et même biologiques (groupe sanguin, rythme cardiaque…) et biométriques. Mais tout cela pose la question des données. »

 

EJG : Justement, quelle législation s’applique dans le Metavers ?

Alexandre Bertin : « Pour l’instant, le Metavers est un monde virtuel soumis aux lois des pays dans lesquels chaque plateforme est développée et déposée. Le Metavers de Meta (Facebook) par exemple est soumis à la loi américaine. Mais cela pose la question de la gestion et de la propriété des données, du respect des données personnelles… On ne sait pas non plus comment va être régi le droit du travail, ni quel droit s’impose pour la succession de ce que l’on possède dans le Metavers : vos enfants hériteront-ils de vos biens virtuels ? En tant que réplique virtuelle du monde physique, le Metavers connaît par ailleurs les mêmes problèmes de violence ou de harcèlement que dans la vraie vie. On l’a vu lors du test de la version bêta de la plateforme Horizon World de Meta (Facebook), où une utilisatrice équipée d’un casque d’AR-VR et d’une combinaison haptique a subi des attouchements. Et si la réponse de Meta a été de créer autour de chaque avatar une safe zone, dans laquelle les autres ne peuvent pas entrer, de nombreux trous juridiques demeurent. La question des lois et de la protection des êtres humains va devoir être tranchée, les États devront s’en emparer.

 

LES MILLIARDS DU METAVERS

Il n’en est qu’à ses balbutiements, mais le marché de l’immobilier dans le Metavers est estimé à 1 milliard de dollars en 2022, selon MetaMetric Solutions. Et si la réalité virtuelle n’a pesé que 5 milliards de dollars en 2020 à l’échelle du monde, l’émergence du Metavers et le développement des usages devraient permettre au marché d’atteindre 51 milliards de dollars d’ici 2030, selon une étude GlobalData publiée en décembre 2021. Un analyste de la banque Goldman Sachs estime pour sa part que le Metavers pourrait constituer « une opportunité à 8 000 milliards de dollars », tandis que Morgan Stanley l’évalue à 8 trillions de dollars. Des chiffres « à prendre avec des pincettes », tempère Alexandre Bertin, responsable Veille et Prospective chez Unitec.

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