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Monnaies locales : À quand le décollage ?

On en dénombre plus de 4 000 à travers le monde dont 82 en France. Malgré leur utilité sociale avérée, les monnaies locales manquent, pour l’instant, cruellement de visibilité et ne peuvent que modestement participer au développement économique et à la transition écologique.

crypto-monnaie

© Photo de Carlos Pernalete Tua provenant de Pexels

L’euro, le bitcoin ou l’ostréa sont, dans le langage courant, des « monnaies ». Pour autant, elles n’ont ni les mêmes fonctions, ni les mêmes objectifs, illustrant les propos de l’économiste anglais Stanley Jevons au XIXe siècle : « la monnaie représente en économie ce qu’est la quadrature du cercle en géométrie ou le mouvement perpétuel en mécanique ». Dans cet univers monétaire pluriel, les moins médiatisées et les moins diffusées sont les monnaies locales. Pourtant, leur ambition de favoriser le développement de l’économie circulaire et de contribuer à la transition écologique devraient appeler à leur développement.

Selon le code monétaire et financier, l’euro est la monnaie officielle en France, celle qui a remplacé le franc depuis plus de 20 ans, et qui nous permet de conclure la plupart de nos transactions et d’épargner. L’euro est actuellement la monnaie de 19 des 27 pays membres de l’Union Européenne utilisée par plus de 340 millions d’habitants quotidiennement. C’est le symbole politique de l’intégration européenne. Mais c’est aussi une arme économique redoutable. La moitié de nos échanges commerciaux se déroule ainsi avec d’autres pays de la zone euro sans risque de change, ce qui ôte de l’incertitude aux exportateurs et aux importateurs de biens et services. Et la valeur externe de l’euro, surveillée et défendue par la Banque Centrale Européenne, est un facteur de compétitivité sur les marchés mondiaux.

Les crypto-monnaies s’apparentent aujourd’hui plus à un actif spéculatif qu’à une monnaie traditionnelle

Pourtant, ce n’est pas la seule monnaie à notre disposition. À l’échelle du temps, la monoculture monétaire n’est d’ailleurs pas une règle absolue. Les crises font généralement apparaître d’autres monnaies. Dans les années 1980 et 1990, les crises de la dette des pays émergents, notamment en Amérique du Sud, ont engendré la dollarisation. La crise des subprimes en 2007-2008 a coïncidé avec l’apparition du bitcoin, une création cryptographique du toujours inconnu Satoshi Nakamoto, dont les variations de prix, pour la plupart inexplicables, sont largement médiatisées. À sa suite, environ 3 000 crypto-monnaies ont vu le jour. Elles sont le fruit de la création de geeks libertariens, et souvent anonymes, qui refuseraient de considérer la monnaie comme un bien public commun, géré par une institution publique, suivant en cela les prescriptions libérales de l’économiste autrichien Freidrich Hayek qui considérait la monnaie comme un bien banal pouvant être produite par n’importe qui. Certaines monnaies virtuelles sont connues (éther, téther, ripple…). Mais la plupart sont confidentielles et de nombreuses ont l’espérance de vie d’un papillon de nuit. Les crypto-monnaies sont suspectées de faciliter les opérations de blanchiment et de financement du terrorisme.

Les économistes ne les considèrent généralement pas aujourd’hui comme de « vraies » monnaies susceptibles de concurrencer les monnaies légales comme l’euro. D’une part, car leur émission n’est pas la contrepartie d’une dette comme l’est l’euro. D’autre part, car elles constituent de piètres moyens de paiement et des réserves de valeur plus qu’incertaines. Elles s’apparentent plus à un actif spéculatif qu’à une monnaie traditionnelle et, de nombreux observateurs parient sur leur disparition à plus ou moins brève échéance.

L’association qui émet la monnaie locale a l’obligation de déposer les euros collectés auprès de banques coopératives

Rappelons-nous que, depuis la ruée sur les bulbes de tulipes hollandaises au XVIIe siècle jusqu’à la crise de la dette grecque en passant par celle des valeurs technologiques, l’histoire économique regorge d’épisodes de bulles spéculatives qui éclatent un jour comme un ballon de baudruche. L’histoire économique nous enseigne que les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel. Le bitcoin, qualifié d’or numérique, tout comme ses avatars, pourrait bien ne pas échapper à cette règle. On peut raisonnablement considérer que l’apparition des crypto-monnaies a permis un bond technologique avec l’avènement de la blockchain dont les applications semblent infinies. Mais on peut s’interroger sur l’utilité sociale de ces monnaies qui, par ailleurs, peinent à trouver une classification juridique homogène entre les pays.

CONTRIBUER AU DÉVELOPPEMENT DU COMMERCE LOCAL

Tel n’est pas le cas avec les monnaies locales (ou complémentaires et/ou citoyenne). On en dénombre plus de 4 000 à travers le monde. En 2021, 82 circulent en France et sont régies par la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire. L’objectif est de contribuer au développement du commerce local et de la production de proximité limitant ainsi la désertification des territoires et l’émission de gaz à effet de serre. Autrement dit, leur introduction vise à promouvoir les circuits courts dont la crise sanitaire, et ses confinements successifs, nous ont rappelés l’importance et les bienfaits. À la différence des crypto-monnaies qui sont émises en contrepartie d’une vague promesse de plus-value, les monnaies complémentaires sont toutes adossées à l’euro dans un rapport de 1 pour 1.

L’association qui émet la monnaie locale a l’obligation de déposer les euros collectés auprès de banques coopératives, principalement la Nef et le Crédit coopératif, qui vont utiliser ces euros pour le financement de projets locaux à impact positif. Ces monnaies servent uniquement de moyens de paiement. Aucune épargne (ni spéculation !) n’est alors envisageable puisque la monnaie ne peut être déposée sur un compte bancaire. Aucune opération de blanchiment ou de financement d’activités illicites n’est possible puisque, une fois mes euros transformés en monnaie locale, je ne peux pas demander le remboursement. Je peux simplement m’en servir pour acheter des biens et des services locaux. Et puis, quand la monnaie citoyenne s’appelle, le trèfle (Périgueux), l’abeille (Villeneuve-sur-Lot), la miel (Libourne) ou l’ostrea (Bassin d’Arcachon et Val d’Eyre), je comprends bien que l’objectif est plutôt de contribuer positivement à l’économie locale que de financer l’économie souterraine d’une quelconque mafia !

UN ACTE SOCIAL

Détenir une monnaie locale, c’est accepter de l’utiliser. Dans de rares cas, elle est même fondante, c’est-à-dire que sa valeur s’étiole avec le temps afin d’inciter ses détenteurs à la dépenser rapidement. Quoiqu’il en soit, la vitesse de circulation, c’est-à-dire le nombre de fois où 1 unité de cette monnaie est dépensée par unité de temps, est l’un des facteurs-clés de réussite. Tout comme le nombre de commerçants l’acceptant. L’étendue et la densité du réseau sont la clé de voûte du système illustrant ainsi les propos d’André Orléan (2004) : « la substance de la monnaie, c’est l’accord qui se fait autour d’elle pour la considérer comme richesse sociale à l’issue d’un processus autoréférentiel ». Détenir une monnaie locale est un acte social contribuant à la résilience et à la durabilité des territoires. Et puis, émettre une monnaie locale est bénéfique écologiquement alors que le minage du bitcoin est une catastrophe écologique.

Malgré leur utilité sociale avérée, les monnaies locales manquent, pour l’instant, cruellement de visibilité et ne peuvent que modestement participer à la transition écologique. Les consommateurs, au-delà du cercle des convaincus, ne l’utilisent pas, voire ignorent totalement son existence. Les commerçants, hors du cercle bio, sont peu enclins à l’accepter. Par exemple, le site ostreamonnaie.org recense 119 commerçants acceptant l’ostrea comme moyen de règlement. Il n’est pas facile pour un consommateur de dépenser ses ostreas, sauf à accepter des coûts d’attente et de transport. Pour les commerçants, le risque est de détenir trop de monnaie locale sans pouvoir les utiliser faute de débouchés, comme c’est souvent le cas des magasins Biocoop.

Une exception notable est cependant à signaler : l’eusko sur la côte basque est aujourd’hui la monnaie locale la plus diffusée en France et en Europe. Quelles en sont les raisons ? La dimension culturelle est sans nul doute un facteur explicatif. Mais ce n’est pas le seul. L’implication farouche des collectivités locales a permis à l’eusko de franchir les barrières de la sphère purement marchande et de favoriser son développement en permettant aux ménages de payer quelques services publics de proximité (piscine, bibliothèque…). Dans ce cas, la volonté politique semble une condition décisive à la diffusion. Mais elle se heurte à la barrière juridique pour donner leur plein essor aux monnaies complémentaires.

L’Eusko sur la côte basque est la monnaie locale la plus diffusée en France et en Europe

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