Touch Sensity est une deeptech par excellence. Cette start-up créée fin 2019 à Mérignac par Anna Pugach et Mehdi El Hafed, a été fondée autour d’une technologie découverte par la jeune femme, docteur en robotique et en sciences cognitives venue d’Ukraine, lorsqu’elle travaillait sur un système de captation souple durant sa thèse. Cette « touch tech », comme la surnomment les deux dirigeants âgés de seulement 30 ans, permet de rendre la matière et les objets sensibles aux interactions physiques en combinant 3 disciplines : les matériaux, les systèmes embarqués et le traitement du signal/intelligence artificielle. « Il s’agit d’un système de captation complet qui est représenté par un matériau, par des systèmes embarqués qui récupèrent le signal de ce matériau, et par une application qui permet à la fois de réaliser l’analyse des données et de fournir une visualisation du matériau en temps réel », décrit Anna Pugach, présidente et directrice technique de Touch Sensity. Il devient alors possible de « localiser, caractériser et modéliser toutes les pressions, déformations, endommagements et impacts subis par le matériau en temps réel », précise Mehdi El Hafed, son associé et le CEO de Touch Sensity.
Notre technologie est capable de faire parler les matériaux
Cette solution permet tout cela sans capteur, puisque le matériau connecté devient dans son intégralité une surface de captation ; elle est adaptable à tous les types de matériaux (rigides, souples ou liquides), de toutes tailles, formes et topologie ; et cela sans modifier les propriétés physiques du matériau, puisqu’elle est non intrusive, non invasive et n’engendre pas sa destruction. Une technologie inédite, donc, capable de « faire parler les matériaux », résume Mehdi El Hafed. Et pour laquelle il a fallu rechercher la bonne application.
LE MARCHÉ LE PLUS PERTINENT
C’est en effet l’une des principales difficultés rencontrées par le duo lorsqu’il a souhaité lancer l’entreprise. « Nous avons une technologie avec laquelle on peut faire beaucoup de choses. Nous avons dû admettre que nous ne pouvions pas tout faire et trouver le marché le plus pertinent », indique le directeur général. « Nous avons donc réalisé une étude qui nous a permis d’identifier 9 segments de marchés et une centaine de cas d’usage différents pour lesquels il n’existait encore aucune technologie proposant la même valeur ajoutée que Touch Sensity », poursuit Anna Pugach. Ainsi, la « touch tech » permet aujourd’hui de faire de la sécurité ou « health monitoring », qui consiste à « détecter, localiser, caractériser et signaler » les modifications subies par des structures en composite, dans les secteurs de l’aéronautique, du spatial et des transports principalement ; de faire de la maintenance prédictive ; et enfin elle peut être utilisée comme interface humain-machine (IHM). Dans ce cas, « on va rendre une surface sensible aux pressions et y associer des rétroactions : donc si vous appuyez à un endroit, le système s’active », détaille Mehdi El Hafed. « Il y a par exemple le sol connecté. Notre système transforme ce sol en surface sensible, ce qui permet de suivre en temps réel les déplacements des gens sur ce sol, de détecter les intrusions dans un espace interdit, de suivre des foules, à des fins marketing par exemple, ou d’interrompre la tâche d’un robot dans une usine s’il détecte la présence d’une personne dans son périmètre », expose la scientifique.
Notre objectif est de créer une PME pérenne. Et on l’espère, d’ici quelques années, installer en Nouvelle-Aquitaine notre propre usine.
Il a fallu plus d’un an aux deux jeunes entrepreneurs pour affiner leur projet, année pendant laquelle ils ont pu bénéficier du soutien décisif de différents acteurs de l’écosystème bordelais. L’Inria, tout d’abord, où Anna Pugach a travaillé en tant qu’ingénieure R&D et qui les a accompagnés dans la création de la structure et leur a donné leurs premiers contacts dans l’industrie. L’incubateur Bordeaux Technowest, ensuite, où se trouvent leurs bureaux et qui leur a permis de participer au MediSpace Challenge, coorganisé par Airbus Développement et la technopole. « Gagner ce concours nous a octroyé une aide financière pour créer Touch Sensity fin 2019 », rappelle le CEO. Mais ce qui a vraiment décidé Anna Pugach à se lancer, c’est sa rencontre avec Mehdi El Hafed, ingénieur de formation qui s’est ensuite spécialisé en commerce et qui vient compléter son profil.
La start-up s’est heurtée à l’annulation ou au report des projets d’innovation par les industriels
« C’est rare d’avoir une cheffe d’entreprise, c’est très rare dans les entreprises très technologiques, et c’est encore plus rare que cette femme soit également directrice technique. Mais c’est Anna qui a inventé et développé cette technologie, et qui maîtrise tous les aspects technologiques et scientifiques de Touch Sensity », insiste son directeur général. C’est notamment pour cela qu’il a poussé sa partenaire à participer en février au concours « Be A Boss », le forum des femmes entrepreneures. Arrivée en finale de l’édition néo-aquitaine, Anna Pugach représentera Touch Sensity lors de la finale du concours, le 30 septembre prochain à Paris.
Les deux fondateurs ont aussi bénéficié de subventions destinées aux deeptech de la part de la Région Nouvelle-Aquitaine et de BpiFrance. « Nous venons également de clôturer notre première levée de fonds. Nous avons obtenu 500 000 euros en equity (capitaux propres, NDLR) auprès d’investisseurs tels que New Fund, NACO (Aquiti), Techno’Start (Bordeaux Technowest) et Skale-Park », énumère Mehdi El Hafed, qui espère bien que ce premier tour de table permettra à l’entreprise d’obtenir 500 000 euros d’aides supplémentaires par effet de levier. Et s’ils envisagent de réaliser d’autres levées de fonds dans l’avenir, les deux jeunes dirigeants souhaitent garder la main sur leur entreprise. « Notre objectif, c’est de créer une PME pérenne. Et on l’espère, d’ici quelques années, installer en Nouvelle-Aquitaine notre propre usine pour fabriquer nos matériaux, notre technologie et l’intégrer à des cas d’usage aussi divers que variés », confie le directeur général de Touch Sensity.
ARIANEGROUP ET AIRBUS DEVELOPPEMENT
En attendant, l’entreprise a signé durant sa première année d’existence deux contrats. L’un avec la société spécialisée dans la simulation, CKP Engineering. L’autre avec ArianeGroup : « Nous avons intégré le programme européen Thémis, dans lequel nous avons travaillé sur le monitoring des structures des étages du lanceur », détaille Mehdi El Hafed. Deux projets pour lesquels Touch Sensity a fabriqué des prototypes. C’est l’autre difficulté de cette très jeune entreprise, qui discute déjà avec des grands groupes, mais a besoin de temps pour montrer ce qu’elle est capable de leur apporter.
« Il faut que l’industriel ait la capacité de se projeter à la fois financièrement et également en termes de cas d’usage sur du long terme, car les développements peuvent nécessiter 5 à 7 ans pour arriver à un produit qui peut être intégré et commercialisé », rappelle le dirigeant. Lancée en pleine crise sanitaire, Touch Sensity s’est également heurtée « à l’annulation ou au report à une date indéfinie des projets d’innovation par les industriels », soupire Anna Pugach. Malgré tout, la start-up espère bien renouveler en 2021 sa collaboration avec ArianeGroup et concrétiser celle avec Airbus Développement, prévue depuis le concours MediSpace. « Nous travaillons également en R&D sur une nouvelle technologie, issue du même socle, qui devrait être beaucoup plus polyvalente », dévoile Mehdi El Hafed, et qui devrait voir le jour d’ici 2022. Comme toute technologie de rupture, celle de Touch Sensity nourrit aussi des ambitions internationales. Des discussions sont déjà en cours avec des acteurs italiens, allemands et des multinationales, et devraient se concrétiser « dans un ou deux ans », espèrent les deux associés.
TOUCH SENSITY EN CHIFFRES
Date de création : décembre 2019 Deux contrats signés en 2020
Salariés : 7 + 2 fondateurs
Recrutements prévus en 2021 : 3
Levées de fonds 2020 : 500 000 euros
Croissance prévisionnelle 2021 : x 5