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La dette publique : Question cruciale ou faux débat ?

La crise sanitaire et le maintien d’une partie du pouvoir d’achat ont été financés par une augmentation de la dette des États. La dette publique française est détenue principalement par des investisseurs étrangers non-résidents. Est-ce grave ? C’est préoccupant en tout état de cause. Explications.

dette publique

Photo de Andrea Piacquadio provenant de Pexels

La crise économique actuelle est la plus grave que le monde ait connue depuis les années 30. Elle sera la ou l’une des crises les plus violentes du siècle et nous sommes loin d’en avoir mesuré toutes les conséquences économiques, sociales et politiques. Le choc d’un double effondrement de l’offre et de la demande, conséquence de la crise sanitaire, du confinement, de la limitation des relations sociales et de l’effondrement des déplacements, a complètement modifié les équilibres financiers des États. Ces derniers, grâce à l’intervention des banques centrales nationales et de la Banque Centrale Européenne, ont soutenu l’économie, les ménages et les entreprises, ce qui montre bien son importance et son rôle d’assureur collectif en dernier ressort. L’État est un bien commun. Ainsi, les banques centrales des pays industrialisés ont fait tourner « la planche à billets » en inondant la sphère économique d’une monnaie artificielle, déconnectée de la richesse produite, correspondant à l’« helicopter money », selon l’expression chère à Milton Friedman, célèbre économiste américain de l’école monétariste de Chicago et prix Nobel d’économie. En quelque sorte, on a financé la crise sanitaire et le maintien d’une partie du pouvoir d’achat par une augmentation de la dette des États.

Intéressons-nous à notre douce France. Les chiffres sont éloquents. La dette publique française (État, collectivités locales, organismes de Sécurité sociale, ODAC) a augmenté de manière vertigineuse depuis 40 ans. Elle s’élevait à :

Année                  Pourcentage du PIB
1980                              20 %
1990                              40 %
2000                             60 %
2010                              80 %
2019                             100 %
2020                             120 %

Durant la seule année 2020, on a creusé l’endettement pour un montant correspondant à 10 années de croissance de la dette

Christian PRAT DIT HAURET, professeur à l’IAE – Université de Bordeaux © Atelier Gallien / Echos Judiciaires Girondins

Ainsi, depuis le début des années 80, la dette publique a augmenté de 20 % du PIB tous les 10 ans avant d’atteindre 100 % du PIB en 2019. L’année 2000 est symbolique car il s’agit de la dernière année au cours de laquelle on a respecté le critère de Maastricht ; les pays ne devant pas avoir une dette qui dépasse 60 % du PIB, critère qui est encore respecté par une dizaine de pays européens. La France, un des piliers de l’Europe compte tenu de son histoire et du montant de sa population, est plus endettée que la moyenne de la zone Euro et a complètement décroché par rapport à l’Allemagne dont la dette ne s’élève qu’à 75 % du PIB en 2020 et ceci, malgré l’importance financière de son plan de relance. Le niveau de la dette de l’État français était déjà très élevée en 2019 avant la crise du Covid et s’élevait à 100 % du PIB, soit 2 400 milliards d’euros. Durant la seule année 2020, on a creusé l’endettement pour un montant correspondant à 10 années de croissance de la dette annuelle des 40 dernières années. C’est colossal. En 2019, le PIB de la France s’était élevé à 2 323 milliards d’euros avant de s’effondrer en 2020 à 2 130 milliards d’euros, soit une baisse de 200 milliards en valeur absolue et en pourcentage de 8 %. En quelque sorte, on vient de vivre une des pires récessions de l’économie française moderne en temps de paix. Si on considère que la France est capable de produire un PIB de 2 400 milliards en rythme de croisière, montant qu’il nous faudrait retrouver, la dette publique s’élève donc à 120 % de 2 400 milliards, soit un montant avoisinant les 2 800 milliards. Ce chiffre donne le tournis et pour rire un peu, en cours avec les étudiants, j’écris le montant en toutes lettres ! Ou plutôt avec tous les zéros !

 

Mais alors, est-ce grave ? C’est préoccupant en tout État de cause, sachant qu’il n’y a pas que la dette de l’État qui a flambé. Depuis de nombreuses années, le niveau d’endettement des ménages a beaucoup augmenté compte tenu de l’augmentation du prix des biens immobiliers, conséquence de la baisse des taux d’intérêt mais également de l’endettement des entreprises qui sont sous-capitalisées et qui n’ont pas suffisamment financé leurs investissements par du capital apporté par les actionnaires. La première question que l’on peut se poser est de savoir qui a prêté à l’État français, donc à nous tous. La dette publique française est détenue par :

  • des investisseurs non-résidents (d’autres États, des banques centrales, des établissements de crédit, des fonds d’investissements privés) à hauteur de 55 % ;
  • des compagnies d’assurance (via les fonds en Euros notamment) à hauteur de 20 % ;
  • des établissements de crédit et organismes financiers à hauteur de 10 % ;
  • la BCE pour 20 % par l’intermédiaire de la Banque de France.

La France est ainsi le 5e pays au monde qui émet le plus de dette et le 1er de la zone euro

Selon le bulletin de cette dernière de janvier-février 2021, la dette française est très internationale et la deuxième la plus acquise au monde par des non-résidents. La France est ainsi le cinquième pays au monde qui émet le plus de dette et le premier de la zone Euro.

La deuxième question qui se pose est pourquoi l’État est endetté. Du point de vue comptable, c’est parce que, comme le souligne la Banque de France, le solde budgétaire de l’État est en déficit depuis 1975, à savoir que les dépenses de l’État sont supérieures à ses recettes depuis maintenant près de 40 ans. Même si un État n’est pas une entreprise, il est intéressant d’analyser par grandes masses le Compte général de l’État, à savoir les états de synthèse comptables qui sont constitués du bilan, du compte de résultat et des principaux engagements hors bilan. Le total des recettes fiscales de l’année 2019 se sont élevées à 295 milliards, dont 124 milliards de TVA, 76 milliards d’impôt sur le revenu, 31 milliards de droits d’enregistrement mais seulement 27 milliards d’impôt sur les sociétés ce qui peut traduire une forte chute de notre compétitivité ou une « évaporation » d’une partie de la base fiscale des bénéfices des sociétés. Le total des dépenses de l’État est de 380 milliards d’euros ce qui induit un déficit budgétaire de 85 milliards. L’analyse du bilan n’est guère réconfortante car les capitaux propres sont négatifs de 1 370 milliards d’euros et le tableau des engagements hors bilan montre que les engagements de retraite des fonctionnaires avoisinent les 2 500 milliards. Si l’on revient à l’explication arithmétique de la dette accumulée au cours du temps, elle correspond au financement des déficits budgétaires cumulés depuis 40 ans ce qui signifie que les impôts payés en France n’ont pas financé les services publics rendus. Cela pose plusieurs questions. La première question est celle du périmètre de l’État. Doit-on avoir un État principalement centré sur les fonctions régaliennes (Armée, Police, Justice) ou doit-il intervenir dans d’autres univers de la vie collective ? La deuxième question est celle de savoir si nous sommes collectivement satisfaits de la qualité des services publics qui nous sont rendus. C’est une question à 380 milliards d’euros.

La troisième question qui se pose est de savoir ce que l’on peut faire pour le bien commun et le bien-être de tous. Je partage pleinement l’avis de la Banque de France dans sa note de travail « L’économie à l’épreuve de la Covid-19 » page 4 : « On peut cantonner la dette Covid qui représente 20 % du PIB – la rembourser d’ici une dizaine d’années – mais il faut réduire la dette ordinaire qui s’élève à 100 % du PIB et qui est trop élevée. La crédibilité est indispensable pour gagner la confiance des investisseurs, qui détermine le financement et les emplois en France. Nous devons pour cela stabiliser enfin les dépenses publiques en volume ».

Au-delà de cette vision, je crois que notre salut viendra de la relance de notre économie, de notre capacité à entreprendre, à investir, à prendre des risques et à innover.

Innovation + Investissement = Création de Valeur = Salaires + Impôts pour l’état + épargne

Il pourrait être salutaire de faire nôtre, l’expression de destruction créatrice chère à Schumpeter et de renverser la table dans tous les domaines en libérant les énergies entrepreneuriales. En termes de gestion des ressources humaines, une réflexion pourrait être menée pour faire revenir une partie des talents français qui font aujourd’hui la réussite de la tech américaine ou de l’industrie pharmaceutique mondiale.

Ainsi, un fort développement de la croissance nous permettrait de résoudre une partie de notre chômage endémique, de réduire une partie du coût des prestations sociales supporté par les entreprises et qui pèse sur les salaires, d’augmenter les recettes fiscales par une collecte plus élevée de la TVA et de l’impôt sur les sociétés. Et, c’est également le meilleur antidote pour contrer une éventuelle remontée des taux d’intérêt en conservant un différentiel de taux positif entre le taux de croissance et le taux d’intérêt. Et cerise sur le gâteau, une croissance retrouvée, c’est la garantie de conserver l’Euro, notre bien commun à qui l’on doit beaucoup depuis une vingtaine d’années.

 

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