Échos Judiciaires Girondins : Vous venez d’être élue présidente de l’Ordre des Experts-Comptables. Auparavant, vous étiez vice-présidente en charge des territoires. Comment avez-vous géré cette thématique essentielle dans votre organisation ?
Delphine Sabatey : « Malgré le travail très important des trois « L’établissement des comptes annuels coûte moins cher qu’avant, il faut développer la prestation conseil » derniers présidents pour préparer cette grande région, il était important de créer ce pôle de coordination territoriale pour en faire un succès. Bien qu’il y ait 36 élus, notre territoire réunit 3 anciennes régions avec des spécificités, des disparités économiques et des éloignements géographiques, donc il faut écouter tout le monde pour arriver à fédérer. J’aime ça et la représentation ne doit pas se faire seulement auprès des institutions mais également auprès des confrères pour qu’ils adhèrent à cette nouvelle région. Il faut faire preuve de disponibilité. On s’appuie aussi sur les chambres et associations départementales. »
EJG : Quel est le principal défi de ce nouveau mandat ?
Delphine Sabatey : « Le premier, c’est l’attractivité. C’est un terme transversal. Il y a d’abord l’attractivité de notre métier par rapport à la problématique du recrutement ; notre profession est encore victime d’une image désuète, pas très moderne, alors que c’est tout le contraire. Il faut défendre et valoriser notre métier auprès des jeunes pour en assurer la pérennité. C’est aussi l’attractivité de notre profession, qui est réglementée, ça peut impressionner, mais c’est gage de qualité. On a des contrôles et des services régaliens qui permettent d’assurer une grande qualité. Enfin il y a l’attractivité de notre institution vis-à-vis des autres organisations, des services publics, puisqu’on a une très bonne connaissance du tissu local. On peut être un formidable relais pour les chambres consulaires, les préfectures, les conseils régionaux, pour faire avancer, comprendre l’économie de notre territoire et s’appuyer sur notre connaissance des difficultés des entreprises pour répondre aux problématiques. »
EJG : Vous-même êtes confrontée aux problèmes de recrutement ?
Delphine Sabatey : « Oui, personne n’y échappe. On n’a pas su être modernes dans notre approche, donc la source s’est tarie. Les jeunes ont du mal à embrasser la filière d’expertise-comptable, et ce nom est aussi très réducteur, alors que le métier est extrêmement riche. Il faut communiquer autrement. Le Conseil National a déjà mené une grande campagne pour redynamiser notre image avec des spots publicitaires. Ça ne suffit pas, nous devons également œuvrer en région. C’est ce que l’on a commencé à entreprendre il y a quelques mois. Mais il faut poser le curseur au bon endroit. Changer les idées sans trop les bousculer. On a été dans une grande période de réflexion en 2022. En 2023, on devrait lancer notre propre campagne de communication. »
Nous avons réinvesti les salons d’étudiants
EJG : Avez-vous mis en place une politique d’attractivité auprès des jeunes ?
Delphine Sabatey : « Au niveau du Conseil Régional, on a mis en place une brigade d’ambassadeurs qui se sont portés volontaires pour représenter la profession auprès des jeunes sur l’ensemble du territoire. Ils peuvent aller dans des établissements scolaires pour faire découvrir notre profession. Nous avons réinvesti les salons d’étudiants, et nous faisons 2 grands thématiques d’événements avec le Tournoi de gestion (sur les 3 anciens territoires en 2022) c’est un business game qui rend l’expert-comptable plus accessible, et qui a reçu un très grand succès auprès des écoles. Il y a aussi les Nuits qui comptent : des étudiants rencontrent des experts-comptables, commissaires aux comptes, DAF sous forme de speed dating. Ils peuvent échanger pendant 12 minutes avec eux dans un environnement festif. Tout cela participe à donner une nouvelle image de la profession. »
EJG : L’alternance est également une solution ?
Delphine Sabatey : « Beaucoup y ont recours car c’est une réponse à la problématique de recrutement. Charge à nous ensuite de garder le jeune. C’est un levier pour les cabinets. On sait que tout le monde cherche, mais bizarrement, on n’a pas de statistiques sur ces besoins ! Le métier évolue certes, mais ne risque pas de disparaître ! Et il évolue favorablement. Son existence n’est pas menacée, loin de là ! »
L’ORDRE RÉGIONAL EN CHIFFRES
Le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables de Nouvelle-Aquitaine s’étend sur les 12 départements de la région administrative : Charente, Charente-Maritime, Corrèze, Creuse, Deux-Sèvres, Dordogne, Gironde, Haute-Vienne, Landes, Lot-et- Garonne, Pyrénées-Atlantiques et Vienne. La profession regroupe 1 760 experts-comptables, 400 experts-comptables stagiaires et emploie près de 12 000 salariés au sein de ses cabinets.
EJG : La rémunération reste un argument quoi qu’on en dise ?
Delphine Sabatey : « La convention collective n’était pas très attrayante. Aujourd’hui, en Nouvelle-Aquitaine, les salaires effectifs sont bien au-dessus de la grille de salaires : ils ont bien progressé. Elle est plus importante pour les collaborateurs qui sont en position de force. »
EJG : Quels sont les autres axes forts de votre mandature ?
Delphine Sabatey : « La facture électronique qui sera effective pour l’ensemble des entreprises en juillet 2024. L’expert-comptable a une mission très importante : accompagner son client dans cette révolution, et s’emparer de ce sujet dès maintenant. Notre mission est de faire de la prévention pour anticiper cette problématique. Il faut revoir également l’organisation des cabinets en matière de transition numérique pour ensuite conseiller les entreprises. Nous avons un gros travail pédagogique à faire, c’est un enjeu majeur car l’expert-comptable doit rester le premier conseil des entreprises. Il y a aussi l’axe RSE, qui peut paraître opaque. Il faut s’emparer du sujet en s’appropriant tous les thèmes : qu’est-ce que la RSE ? l’établissement d’un bilan carbone, l’introduction de la RSE au sein des cabinets, la problématique extra-comptable de la RSE. »
La RSE sera bientôt un outil concurrentiel
EJG : Ça se passe comment concrètement ?
Delphine Sabatey : « La Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC) a mis en place des outils dont on va profiter. On a le CEECA, notre centre de formation local, qui propose également des formations. On a identifié aujourd’hui des confrères spécialistes dans la matière. On va donc sensibiliser les confrères sur cette thématique. On ne peut pas la vendre à nos clients sans l’avoir déjà mise en place et expérimentée dans nos cabinets. »
EJG : Toutes ces transitions sont déjà en train de se mettre en place dans les gros cabinets, c’est plus difficile pour les petits ?
Delphine Sabatey : « Pas forcément, parce qu’ils ont plus d’agilité. On ne va pas opposer petits et gros car la typologie des cabinets change : les cabinets dits intermédiaires (jusqu’à 7 millions de CA) prennent une part de plus en plus importante sur le marché. Les petits cabinets ont plus de facilité à mettre en place la transition numérique car il est plus facile de convaincre une petite équipe. Après les gros cabinets disposent de services dédiés qui leur permettent d’aller beaucoup plus vite. Ils sont souvent source d’inspiration. L’écologie a longtemps été un sujet qui était considéré comme une lubie idéologique, ce n’est plus le cas. La RSE suivra le même chemin. Et ce sera bientôt un outil concurrentiel. »
Notre profession est encore victime d’une image désuète, pas très moderne, alors que c’est tout le contraire.
EJG : Le rôle des experts-comptables va-t-il évoluer davantage vers le conseil ?
Delphine Sabatey : « C’est une réalité. On en parle depuis des décennies. Aujourd’hui, la transition numérique qui s’est imposée et accélérée avec la crise sanitaire, qui automatise un maximum de données, fait que la prestation d’un bilan a perdu de sa valeur : l’établissement des comptes annuels coûte moins cher qu’avant. Il faut donc développer la prestation conseil : ça a beaucoup de sens. On trouve également de nouvelles missions telles que la gestion de patrimoine et l’accompagnement des clients dans la recherche de financements. L’an dernier, l’institut Sofos, notre Think Tank, a sorti une étude sur l’attractivité de la profession à l’horizon 2040, et la conclusion identifie ces nouvelles missions. On s’est spécialisés : de plus en plus de confrères passent des diplômes pour la gestion de patrimoine. Même sans ça, on a une vision très globale de l’entreprise. Il y a un autre sujet important, c’est la transmission d’entreprise. Le travail de l’expert-comptable c’est aussi parfois d’accompagner le chef d’entreprise vers certains changements. On a de jeunes dirigeants qui ont envie de céder des entreprises qu’ils ont pris sur des périodes courtes. Il faut arriver à identifier ces besoins-là pour être source de stimulation. Sans compter les dirigeants qui approchent de la retraite, les mettre en condition pour assurer une bonne transition. L’expert-comptable doit s’emparer de ces sujets pour assurer la continuité de tous les bons savoir-faire qui existent sur notre territoire, car nous avons la chance d’avoir un territoire très attractif. On a cette mission auprès de notre Région de s’assurer de la performance économique, et si on accompagne bien nos dirigeants, notre territoire sera encore plus attractif et performant. »
EJG : On entre dans une période assez compliquée, avec le remboursement des PGE et l’inflation. Quels sont les retours des confrères sur la situation économique ?
Delphine Sabatey : « Ils sont moins inquiets par rapport au contexte économique que par la mise en œuvre d’aides pour répondre à la problématique économique. Un grand nombre d’aides ont été annoncées, mais on voit aussi toute la complexité de leur mise en place. La crise sanitaire a été très éprouvante pour l’ensemble des confrères, qui ont passé beaucoup de temps à faire des calculs pour se rendre compte in fine, que l’on ne coche pas la case. Ces effets d’annonces d’aides et de mesures sont très éprouvants. C’est une bonne chose, mais d’un point de vue pratique, c’est plus compliqué. Sinon, nous on est là pour rassurer les entrepreneurs, il faut leur donner de l’énergie positive, pour croire en l’avenir. La santé morale du dirigeant entre aussi en compte. Leur principale problématique est, on y revient, celle du recrutement : aujourd’hui certains cabinets refusent des clients car ils ne sont pas en mesure d’offrir une qualité de services en raison de la pénurie de personnel. »
EJG : Quels sont les moments forts de l’année 2023 ?
Delphine Sabatey : « On va avoir notre Assemblée Générale qui va se dérouler le 7 juillet à Agen : les 1 700 experts-comptables de Nouvelle-Aquitaine sont invités, on a bon espoir de rassembler 600 personnes. C’est le gros rendez-vous de l’institution, qui sera précédé de la prestation de serment des nouveaux jeunes confrères. On a la partie réglementaire : rapports moral, financier qui est intéressante pour comprendre les actions menées par le Conseil Régional, suivie de conférences. On va renouveler l’Université d’Été, mais le nouveau thème n’est pas encore défini. Il y a aussi la Journée numérique et le Tournoi de gestion. Et enfin le Challenge voile les 24-25-26 août. C’est une manifestation qui rassemble des experts-comptables sur des événements sportifs : une régate de 2 voiles dont le but est de rassembler des confrères et de recréer de la cohésion et une grande énergie. La comparaison de la voile avec le cabinet est assez belle : de l’énergie, de la cohésion, vers un même objectif. Réussir, satisfaire les clients, répondre aux échéances fiscales, et au sein du bateau, s’entendre, former une équipe pour franchir la ligne d’arrivée. »
DELPHINE SABATEY : LA PRÉSIDENCE, UNE ÉVIDENCE
Elle a eu le déclic lors d’un stage de 3e dans une agence de pub, lorsqu’elle découvre la comptabilité : « Une évidence ». Dès lors, la carrière de Delphine Sabatey était toute tracée : « La discipline, les matières, c’était fait pour moi. C’est un ressenti très personnel ». Diplômée en 2007, il faudra attendre 2017 pour qu’elle s’installe à son compte, après 16 ans passés dans un cabinet. La naissance de son 4e enfant marque le déclic : « Là encore, une évidence. D’habitude, on cherche plutôt la sécurité, mais pour moi, c’était le moment de me mettre à mon compte ! ». Son cabinet (dont elle est la seule associée) compte désormais 4 salariés. À son démarrage, sur les conseils (insistants) d’une consœur, elle se rend au CJEC (Club des Jeunes Experts-Comptables et Commissaires aux Comptes) ; un an et demi plus tard, elle devient vice-présidente puis présidente en 2019. La représentation lui plaît mais, surtout, son mandat tombe dans les problématiques du la loi Pacte, ces réflexions et débats l’intéressent au plus haut point : « ça a été une formidable aventure ». Dès 2020, elle fait campagne avec Mikaël Hugonnet au sein de l’Ordre des Experts-Comptables. Élue vice-présidente en charge des collectivités territoriales, elle lui succède avec quelques semaines d’avance avant sa réélection pour 2 ans à la tête du nouveau bureau.
LE NOUVEAU BUREAU
Présidente : Delphine Sabatey
Vice-présidents :
- Pôle réglementaire : Delphine Mazat
- Pôle communication : Guillaume Bertrand
- Pôle Services aux confrères : Mathieu Galibert
- Trésorière : Magali Chiffre
Vice-présidente déléguée pour la représentation territoriale de Limoges : Magalie Lavoute
Vice-Président délégué pour la représentation territoriale de Niort : Didier Boye