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[ Interview Olivier Ly ] Bordeaux, capitale du robot

INTERVIEW. Enseignant-chercheur à l'université de Bordeaux, Olivier Ly a cofondé en 2010 l'équipe Rhoban, quatre fois championne du monde à la Robocup. Treize ans plus tard, l'écosystème local s'est fédéré et s'apprête à accueillir du 4 au 10 juillet la compétition internationale à Bordeaux, devenue une place forte de la robotique en France.

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Olivier Ly, cofondateur de Rhoban © Louis Piquemil / EJG

Échos Judiciaires Girondins : Vous êtes à l’origine du projet de recherche scientifique Rhoban, à partir duquel s’est fortement développée la filière robotique à Bordeaux. De quoi s’agit-il ?

Olivier Ly : « Hugo Gimbert (CNRS) et moi avons monté l’équipe Rhoban au sein du LaBRI (Laboratoire bordelais de recherche en informatique) en 2010, avec l’objectif de participer à la RoboCup. Il y avait à l’époque très peu d’activités robotiques sur le campus bordelais, elles étaient éparses et relevaient plutôt de l’automatique au laboratoire de l’Intégration du matériau au système (IMS). Avec Rhoban, nous avons commencé à développer des robots de farming (robotique agricole), des robots footballeurs pour la RoboCup et des robots éducatifs. La robotique étant une recherche très appliquée, nous avons toujours eu des projets avec des entreprises. C’est ainsi que nous nous sommes liés avec Marco Calcamuggi, qui a cofondé, avec Denis Lapoire, le cluster Aquitaine Robotics, pour fédérer la filière. Nous avons aussi beaucoup travaillé avec l’entreprise bordelaise Génération Robots, créée par Jérôme Laplace, qui vendait notamment des robots éducatifs. L’équipe Rhoban sert souvent de porte-drapeau, parce que nous sommes visibles. Mais il y a beaucoup d’autres initiatives dans la robotique sur le territoire. »

La robotique étant une recherche très appliquée, nous avons toujours eu des projets avec des entreprises

 

EJG : Quatre fois championne du monde à la Robocup, l’équipe Rhoban a essaimé, ses membres étant impliqués dans d’autres équipes à Bordeaux, comme celle du Catie ou des étudiants de l’INP. Les équipes juniors se sont également fortement développées…

O. L. : « Le pan éducatif a énormément contribué au rayonnement de la robotique à Bordeaux. Lorsqu’on a voulu se présenter pour accueillir la Robocup il y a un peu plus de 6 ans, l’obstacle principal était qu’il n’y avait pas d’équipe junior. Or la Robocup junior, qui prévoit des épreuves dédiées aux collégiens et lycéens, est un volet très important, c’était donc rédhibitoire pour la Fédération internationale. Alors avec le rectorat de Bordeaux et la Ligue de l’enseignement, nous avons mené un très important travail de développement et aujourd’hui, il y a environ 400 équipes juniors en France, dans 8 académies. Tout cela a nécessité le recrutement de professeurs, leur formation, l’organisation à Bordeaux de compétitions locales académiques (les « Robots Makers day ») et d’une Coupe de France. Nous y avons contribué car nous fabriquons des robots éducatifs. Et c’est l’un des membres de Rhoban, Julien Allali, qui est à l’initiative de la FFROB (Fédération française de robotique), qui pilote la Robocup Junior. »

 

LA ROBOCUP, ÉVÉNEMENT MONDIAL

La 26e édition de la plus grande compétition de robotique et d’intelligence artificielle au monde aura lieu cette année à Bordeaux. Du 4 au 10 juillet, elle accueillera plus de 2 500 compétiteurs venus de 45 pays, 3 000 robots, et plus de 40 000 visiteurs sont attendus au Parc des expositions. Coorganisé par l’université de Bordeaux, la Région Nouvelle Aquitaine et Bordeaux Métropole, l’événement, qui a lieu pour la 2e fois de son histoire en France, proposera des compétitions de robots footballeurs, sauveteurs, industriels ou encore domestiques. Mais aussi des conférences thématiques, des animations et ateliers pédagogiques. Objectif de la compétition, qui a eu lieu en 2022 en Thaïlande : partager les connaissances et faire avancer la science.

 

EJG : Pourquoi cet engouement autour de la robotique éducative ?

O. L. : « Les élèves font des robots à l’école dans le monde entier. Les robots éducatifs permettent de se familiariser à la fois avec la mécatronique (mécanique, électronique…) en manipulant des moteurs, en faisant les structures. Et puis bien sûr, ils permettent d’apprendre à écrire du code. C’est un objet concret qui incarne plusieurs disciplines : les maths, la physique, la programmation. L’idée n’est pas de former des milliers de roboticiens, mais de sensibiliser avec un caractère motivant les élèves, filles et garçons, à la technologie. Nous menons d’ailleurs actuellement une étude sur dix classes avec le rectorat pour mesurer l’efficacité de la robotique éducative. »

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Match de football à la Robocup 2019 © Robocup Fédération

 

EJG : Pourquoi avoir voulu créer une équipe de robots footballeurs ?

O. L. : « Le football est l’épreuve historique de la RoboCup. Il y a 25 ans, les chercheurs en IA s’intéressaient plutôt aux jeux symboliques que sont les échecs ou le jeu de go, dans lesquels il n’existe aucune incertitude. L’ordinateur voit le plateau, sait où sont les pions et lesquels sont ses adversaires, il ne peut pas être entre deux cases et décide de son action tour à tour. La voie ouverte avec la Robocup est celle de l’intelligence artificielle incarnée dans un robot, qui vit dans la réalité physique. Les choses sont très différentes de ce point de vue : il y a de l’approximation, de l’incertitude et éventuellement de la méconnaissance. »

Le football est l’épreuve historique de la RoboCup

EJG : C’est-à-dire ?

O. L. : « On résume souvent le paradigme du robot par une boucle « perception, décision, action ». La perception, ce sont les sens, en l’occurrence les capteurs du robot : caméra, IMU (une sorte d’oreille interne), position des moteurs… La difficulté étant qu’il y a des zones d’ombre sur le terrain. Ensuite, il y a la décision haut-niveau : avancer, tirer ou faire une passe, ce qui va par exemple impliquer de se synchroniser avec son partenaire. Puis la décision un peu plus bas niveau : si j’ai décidé d’avancer, je dois déci- der où poser le pied. Cela nécessite une trajectoire pour tous mes moteurs. Là intervient la « robotique à pattes ». Si je décide de tirer, cela se traduit par d’autres mouvements. Toutes ces trajectoires imaginées par l’organe de décision vont ensuite être transmises au moteur par une chaîne qui est elle-même imprécise dans la commande électrique et dans la mécanique, qui a du jeu… Le monde de la robotique est le monde réel de la physique et il est imprécis. Enfin, dans un match de football, tout se passe en même temps, et ça aussi c’est un changement important. Même si ce n’est pas forcément plus difficile, c’est différent. »

 

EJG : Finalement c’est une manière de faire de la recherche de façon ludique…

O. L. : « La perception, la décision, l’action, la mécatronique, la mécanique sont en effet des disciplines qui ont des réminiscences en recherche robotique et en R&D en général. En choisissant le football, au moins, les règles sont claires. Et puis il y a une popularité de ce sport qui permet d’attirer les spectateurs à la Robocup. Mais cet événement est avant tout une communauté de recherche mondiale. Nous travaillons ensemble, faisons des échanges d’étudiants, d’enseignants, des workshops. Rhoban a même fourni des robots à d’autres équipes… »

 

EJG : Les robots de farming sont aussi l’une de vos spécialités, de quoi s’agit-il ?

O. L. : « La robotique agricole est un sujet sur lequel Rhoban travaille et que nous aimons beaucoup. Nous avons même gagné une com- pétition de l’Agence nationale de la recherche sur le thème du désherbage intra-rang. Le farming est un moyen d’avoir une intervention mécanique pilotée, donc sans intrants. Cette intervention est précise et permet de ne pas labourer le sol en profondeur, et puis les robots sont légers et ne tassent pas le sol. Ces avantages font que la robotique est tout à fait intéressante dans le cadre d’une transition agroécologique à grande échelle. »

La robotique agricole est un sujet sur lequel Rhoban travaille et que nous aimons beaucoup.

EJG : Vous fédérez également les chercheurs en robotique de Nouvelle-Aquitaine autour du réseau R4…

O. L. : « Je pilote en effet depuis 2 ans R4, le réseau de recherche régional en robotique, qui regroupe treize équipes, de Poitiers jusqu’à Bidart. Il sert à la fois à fédérer les chercheurs de Nouvelle-Aquitaine, qui sont environ 120 (en comptant les étudiants en thèse), à échanger et à mener des actions et des projets. Nous organisons des réunions hebdomadaires et des workshops réguliers auxquels on invite des chercheurs d’autres villes. C’est une opération financée par la Région qui nous tient à cœur. »

 

EJG : L’équipe Rhoban semble véritablement avoir pesé dans le développement et le rayonnement de la robotique bordelaise…

O. L. : « Nous avons lancé beaucoup de choses et c’est vrai qu’aujourd’hui, Bordeaux est reconnue comme une place assez forte de la robotique. Ce qui n’était pas du tout le cas avant. Notre décision de recevoir la Robocup a joué, c’est un point de départ qui a permis de fédérer des forces qui existaient déjà au travers de structures comme Aquitaine Robotics ou R4. Mais c’est toute la communauté robotique qui a permis ce développement. Les nombreux joint events prévus lors de la Robocup23 à Bordeaux montrent d’ailleurs tout le côté business associé à cette édition. Il y a Farming, avec des démonstrations de robotique agricole, le workshop R4 sur les réseaux de recherche en robotique, en IA et sur les transports intelligents, les JNRH (Journées nationales de la robotique humanoïde), les conférences ROS (Robot Operating System) qui regroupent 200 industriels et chercheurs en Europe. Il y a aussi la conférence NAIA.R et le premier événement Robot4Industry associé, piloté par Aquitaine Robotics, qui organise des rendez-vous d’affaires ouverts aux entreprises locales, nationales, européennes, internationales. C’est prometteur ! »

 

OLIVIER LY : PARCOURS

Après avoir fait une thèse à Bordeaux sur les méthodes formelles, visant « l’implémentation de logique formelle dans les ordinateurs pour faire des preuves mathématiques mécanisées », Olivier Ly a fait une incursion dans le secteur privé, au sein de l’entreprise Schlumberger. « Je travaillais sur des preuves formelles de robustesse de cartes à puce contre des attaques », précise-t-il. Il est enseignant-chercheur à l’université de Bordeaux depuis 2003.

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