Couverture du journal du 07/05/2024 Le nouveau magazine

Libourne : le tribunal change de tête

Rencontre : Deux nouveaux magistrats arrivent à la tête du tribunal judiciaire de Libourne : Laetitia Dautel a remplacé Stéphanie Forax en tant que présidente, et Loïs Raschel prend la suite d’Olivier Kern en tant que procureur.

tribunal de Libourne, Laetitia Dautel, Loïs Raschel

Laetitia Dautel et Loïs Raschel © Nathalie VALLEZ

Si le tribunal de Libourne reste à taille humaine avec un stock maîtrisé, son activité est tout de même en constante augmentation. Et les deux nouveaux magistrats ont établi leurs priorités. « Ici les gens sont plutôt heureux, même si ce sont des métiers éprouvants. Il y a une bonne ambiance et une grande solidarité », se satisfait Laetitia Dautel. Depuis son arrivée, la présidente a reçu tous les magistrats du Siège. Pour l’instant, l’organisation reste inchangée. Le Siège compte 13 juges, dont 3 nouvelles recrues : la présidente, le juge d’instruction et la juge d’application des peines. Certains sont spécialisés (2 juges des enfants, 1 juge des libertés et de la détention) et les fonctions non spécialisées font du civil ou du pénal. Au Parquet, 4 magistrats sont affectés alors qu’ils devraient être 5, avec un magistrat placé qui vient prêter main forte. « C’est forcément précaire », remarque le procureur Loïs Raschel. Au niveau du stock, la situation est globalement maîtrisée, et les délais plutôt satisfaisants : 3 mois et demi à 4 mois pour une date d’audience.

UNE JURIDICTION EN CONSTANTE AUGMENTATION

Au sein de sa juridiction, les magistrats entretiennent les contacts avec les partenaires, les magistrats qui en dépendent, et les fonctionnaires : « on est une communauté de travail », remarque Laetitia Dautel. Les deux nouveaux magistrats ont envie de projets ambitieux pour cette juridiction de proximité, située sur un département très étendu et dynamique. Libourne a une activité forte, « avec l’assistance éducative et l’activité pénale », précise Laetitia Dautel, qui va continuer d’augmenter. De plus, elle a absorbé le canton de Saint-André-de-Cubzac le 1er janvier 2022.

DEMANDES EN COURS D’ARBITRAGE

Avec l’augmentation du nombre de magistrats et de greffiers, mais aussi l’intégration des juristes assistants, le tribunal devrait recevoir des renforts, mais ceux-ci ne seront connus que pour la prochaine saison et échelonnés dans le temps : « Il y a un véritable enjeu de recrutements : on a formulé des demandes qui sont en cours d’arbitrage », soutient la présidente. Elle et le procureur travaillent à « une logique globale » pour que les effectifs du Siège, du Parquet et du Greffe progressent ensemble.

ACTIVITÉ DENSE

« Libourne n’est pas si petite », intervient le procureur. « La juridiction couvre un ressort important : 250 000 personnes, soit 200 communes, avec une activité très dense et très importante. C’est aussi une juridiction très dynamique, avec beaucoup de choses mises en place par nos prédécesseurs, des partenariats, des bonnes pratiques sur un suivi familial renforcé. » C’est une juridiction où il se passe des choses : une envie d’innover, de créer de bonnes pratiques, des circuits. « Il y a une attente – légitime – des élus sur un certain nombre de sujets », continue-t-il. « Je souhaite les rencontrer, ainsi que les habitants, pour leur expliquer le rôle d’un procureur de la République. »

LIBOURNE

13 magistrats au Siège

45 fonctionnaires

2 juristes assistants et

des contractuels

5 magistrats au Parquet dont 1 magistrat placé en renfort

DES PRIORITÉS

Elles sont multiples, mais le procureur de préciser : « il ne faut pas que tout soit prioritaire puisqu’à la fin plus rien ne l’est ! ». Pour le magistrat, elles concernent tout d’abord les violences faites aux personnes et notamment intra-familiales. Elles restent à un niveau très élevé dans le ressort, et ça continue à augmenter. Si Laetitia Dautel note la libération de la parole des victimes, pour Loïs Raschel, il y a aussi un problème de fond : « La justice fait de plus en plus, pourtant le niveau des violences intra-familiales reste élevé. C’est un sujet de société. On a des comités de pilotage, on a un référent sur le sujet, et on continue ». Il y a aussi les violences contre les mineurs qui incluent le harcèlement, les violences en milieu scolaire. Enfin la traite des êtres humains qui concerne les travailleurs qui viennent dans les propriétés viticoles : « On a remarqué un certain nombre de situations problématiques d’exploitation », insiste-t-il. Il y a enfin les violences contre les élus, le trafic de stupéfiants, et la délinquance routière.

On marche ensemble. On a à cœur de montrer un visage uni pour la diarchie

DES PRINCIPES ESSENTIELS

La présidente s’est également exprimée sur ses priorités d’action articulées autour de 3 principes essentiels. Tout d’abord, elle évoque la qualité de la justice rendue : l’engagement et le souci des décisions rendues, le respect des délais, les relations avec la cour d’appel, le travail sur les pratiques professionnelles, les rapports avec le barreau et avec les autres partenaires de justice, et enfin le développement de la justice amiable. Elle souligne ensuite les renforts importants en effectifs qu’il faut répartir, piloter les services et les organisations qui doivent améliorer la performance de la justice. « Il faut accompagner la juridiction dans ces transformations-là », insiste-t-elle, « ainsi que la transformation numérique. La préparation de la procédure pénale numérique est un chantier qui se déploie dans les juridictions. » Enfin dernier principe : l’ouverture du tribunal sur la cité. Et de citer la reconduction de la Journée du Patrimoine avec l’ouverture au public, la Nuit du Droit. Ce qui permet de voir la justice sous un autre angle. Tous deux veulent s’inscrire dans la continuité de leurs prédécesseurs qui ont su communiquer sur leur action. « On aura aussi nos propres ambitions », ajoute la présidente. « On marche ensemble. On a à cœur de montrer un visage uni pour la diarchie. Ce n’est pas difficile, on a les mêmes méthodes de travail. »

Laetitia Dautel : Management et activité juridictionnelle 

Entre l’exercice juridictionnel et son passage aux ressources humaines de la magistrature, la présidente du tribunal de Libourne a découvert les différentes facettes du métier de magistrate.

Elle n’est pas arrivée à la magistrature par une voie classique mais par Sciences Po et la filière service public. Elle aime autant le raisonnement juridique que participer à la vie de la cité, être au cœur de l’état de droit. « Ce qui me plaît, c’est l’engagement pour les autres et je mets un sens très fort dans ces missions », souligne Laetitia Dautel, nouvelle présidente du tribunal de Libourne.

RESSOURCES HUMAINES

Originaire du Sud-Est et après avoir grandi en Normandie, elle a découvert Bordeaux lors de son passage à l’École de la magistrature en 2003. Elle est d’ailleurs nommée magistrate cette même année et après 2 ans d’audition, elle prend ses premières fonctions en tant que substitut du procureur au tribunal de Meaux. Elle y découvre les Assises : « C’est aussi impressionnant qu’enrichissant », note-t-elle. Au tribunal de Bobigny, elle fait du correctionnel, puis en 2010, devient juge aux affaires familiales au tribunal de Paris : « On reste tout de même polyvalent », précise-t-elle. En 2013, elle rejoint le ministère de la Justice à la Chancellerie, et plus précisément à la direction des services judiciaires. Elle y occupe plusieurs postes et responsabilités aux ressources humaines de la magistrature pendant 7 ans : « On est manager d’une équipe quand on est à l’administration centrale. C’est une dimension très différente de l’exercice juridictionnel. C’était une très belle expérience ».

PREMIER RANG

Mais en 2020, le moment est venu de bouger, elle a envie de revenir en juridiction, et devient ainsi secrétaire générale de la Cour d’Appel de Bordeaux. Elle y gère le quotidien du service, pour les 40 magistrats du Siège, avec la première présidente Isabelle Gorce : « J’ai adoré travailler avec elle. Quand on est secrétaire d’un chef de cour, c’est une relation particulière », continue-t-elle, « il faut une très grande confiance, on l’assiste dans le pilotage et la gestion de la cour d’appel ». Elle a alors envie d’être en position de responsabilité de premier rang, ce qui lui permet de mettre à profit toute son expérience et de reprendre son activité juridictionnelle qui représente 50 % de son temps : « Tout est dans la gestion du temps », précise-t-elle, «les fonctions d’animation et de direction demandent beaucoup de disponibilité. Ce sont des temporalités différentes, mais je l’ai déjà fait ».

Loïs Raschel : De l’université au Parquet

Ancien maître de conférence en droit privé, Loïs Raschel est arrivé au Parquet en tant que détaché judiciaire.

Des salles d’amphi au prétoire, il n’y a qu’un pas ! Loïs Raschel a commencé sa carrière en tant que maître de conférence en droit privé, d’abord à l’université de Caen puis à celle de Nanterre. « Le choix d’enseigner était un vrai choix qui a duré 6 ans », insiste-t-il. Pour lui qui enseignait la procédure, il lui vient avec le temps l’envie de passer de l’autre côté, de travailler en juridiction. Le fait de collaborer avec des magistrats l’a aussi incité à franchir le pas. « Avec mon centre de recherche, j’ai travaillé sur les questions d’administration de la justice. Et puis j’ai eu envie de pratiquer. » En 2015, il sollicite un détachement judiciaire et le voilà rattaché au Parquet de Paris, d’abord dans une section généraliste d’action publique en charge du contentieux routier : « On avait beaucoup de procédures », se souvient-il. L’ancien universitaire civiliste est emballé par la découverte du Parquet.

DÉTACHÉ JUDICIAIRE

Il demande ensuite son intégration et se retrouve vice-procureur au Parquet de Paris en 2019. Il devient alors chef de section aux accidents collectifs : « C’étaient des dossiers très techniques ». Il s’est formé avec ses pairs : « on apprend sur le terrain », commente-t-il. « Il y a très peu de détachés judiciaires », précise Loïs Raschel, qui, grâce à ce parcours riche, a pu s’investir, même si les métiers restent éloignés : « Je ne connaissais pas la pratique d’un Parquet, ni ses circuits. Cela suppose de beaucoup travailler ». En 2020, il est nommé secrétaire général du Parquet général à Angers pour 3 ans. « On assiste le procureur général dans ses fonctions administratives », explique-t-il. Le souhait de devenir procureur est apparu lorsqu’il a été nommé chef de section à Paris : « ça s’est construit peu à peu », dévoile-t-il, et l’envie a grandi lorsqu’il est devenu secrétaire général. Un parcours atypique pour un procureur très motivé à s’investir dans son ressort.