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Muquans, la pépite quantique

L’entreprise girondine Muquans, numéro un des capteurs quantiques en France, a été fondée à Talence par trois physiciens avec de grandes ambitions industrielles. Dix ans plus tard, elle change de dimension en s’adossant à la société iXblue, qui vise le rang de leader européen de la photonique et des technologies quantiques. Philippe Bouyer, directeur de recherche au CNRS et cofondateur de Muquans, revient sur le parcours de cette pépite.

Muquans ETNA

Le gravimètre quantique de Muquans, installé sur l’Etna, en Sicile, analyse l’évolution des poches de magma du volcan © D. R.

Le leader français des capteurs quantiques est girondin et il a de grandes ambitions. C’est la raison pour laquelle Muquans vient de s’adosser à la société iXblue, qui l’a rachetée en juin 2021, afin de créer un leader européen de la photonique et des technologies quantiques. Dès sa création, en 2011, ses fondateurs avaient envisagé Muquans comme « une entreprise industrielle compétitive », explique Philippe Bouyer.

Ce directeur de recherche au CNRS, aussi directeur délégué de l’antenne aquitaine de l’Institut d’optique graduate school (IOGS), travaillait sur les capteurs quantiques depuis une dizaine d’années lorsque, avec Arnaud Landragin, également directeur de recherche au CNRS à Paris, ils mettent au point « un produit avec un niveau de complexité, de fiabilité et de prix tout à fait acceptable pour être mis sur le marché », assure-t-il. Ils déposent un brevet puis créent leur start-up. « Emballé par leur invention », Bruno Desruelle, qui comme ses deux collègues a préparé sa thèse dans l’équipe du physicien Alain Aspect, pionnier de la physique quantique appliquée dans les années 1980, les rejoint pour prendre la direction de Muquans. « Grâce à son parcours dans l’industrie, nous formions tous les trois une association extrêmement opérationnelle », note Philippe Bouyer.

Transfert de connaissances vers l’industrie

Lauréate du concours Oseo (aujourd’hui Bpifrance) à la création d’entreprises, équivalent de l’actuel du concours iLab, hébergée au sein de l’incubateur Unitec de Pessac à ses débuts, puis à l’IOGS de Talence, où se trouvent encore ses locaux, la start-up Muquans a pu profiter pour se lancer « du terreau extrêmement favorable existant en Nouvelle-Aquitaine. Il y avait déjà, 10 ans en arrière, un dispositif impliquant tous les acteurs de l’innovation : la Région, Oseo, l’incubateur d’Aquitaine, Unitec… », souligne Philippe Bouyer. Avec Arnaud Landragin, et à la faveur de la loi sur l’innovation, il a de surcroît pu rester fonctionnaire pour la recherche « tout en pilotant le développement de l’entreprise et en assurant le transfert de la connaissance développée vers l’industrie ».

C’est d’ailleurs grâce à ce pied dans leurs laboratoires que les fondateurs ont pu recruter des physiciens qu’ils avaient eux-mêmes formés à travers des thèses. Muquans, qui compte aujourd’hui une trentaine de salariés, réunit des profils variés de physiciens, ingénieurs, techniciens, commerciaux, capables de faire de l’électronique, d’assembler des systèmes photoniques, de construire des systèmes quantiques, mais aussi de les vendre.

Dualité et superposition

Cette fameuse invention à l’origine de Muquans est un capteur extrêmement précis, basé sur deux principes de la physique quantique. Le premier, imaginé par Louis de Broglie et Albert Einstein au début du XXe siècle, correspond à « la dualité onde-corpuscule ». « On refroidit un atome jusqu’à une température très proche du zéro absolu, laquelle il va se comporter comme une onde de matière », explique Philippe Bouyer. Le second est le « principe de superposition » : « en éclairant l’onde de matière avec un laser, on va pouvoir la mettre simultanément dans deux états superposés qui permettront ensuite de mesurer les variations qu’elle subit ».

Le gravimètre quantique de Muquans peut ainsi mesurer le champ de pesanteur de la terre. « Cette attraction de la pesanteur varie à la fois spatialement : elle dépend de ce qu’il y a dans le sous-sol. Mais également dans le temps comme pour le phénomène des marées », note le physicien. De tout petits effets, de l’ordre du millionième, voire moins, qui nécessitent un instrument de mesure ultraprécis. Ce gravimètre quantique donne de précieuses indications sur la composition du sous-sol (l’attraction variant en fonction de la densité du matériau enfoui) et permet également d’étudier l’évolution des ressources telles que l’eau dans les nappes phréatiques ou les poches de magma dans les volcans.

La dynamique commune entre Muquans et iXblue devrait donner un nouvel élan à tout le développement autour des technologies quantiques

Muquans et iXAtom

© D. R.

Muquans en chiffres

Date de création : 2011
Rachat par iXblue : 2021
Effectifs : une trentaine de personnes
Prix d’un gravimètre quantique : environ 500 000 euros
CA 2020 : environ 3 millions d’euros
Croissance : x 3 en 5 ans

500 000 euros pour un gravimètre quantique

« On peut ainsi comprendre les évolutions de la Terre, de ses ressources. Notre premier marché, ce sont donc les laboratoires de géophysique, très friands de ce type d’appareil », assure Philippe Bouyer. Le capteur quantique de Muquans a aussi un potentiel d’application dans le domaine de l’exploration des ressources enfouies, puisqu’il permet de connaître la composition du sous-sol sans avoir à creuser. Ou encore sur le terrain militaire, « la connaissance de la cartographie d’une gravité étant très stratégique, pour pouvoir se positionner et se guider », précise le directeur de recherche au CNRS.

L’objectif de Muquans, depuis ses origines, est de proposer un système le plus simple à utiliser, le plus fiable, le plus résistant et le plus compétitif possible, « afin d’adresser un marché de plus en plus important », assure Philippe Bouyer, qui avait intégré des contraintes de dimension et de poids dans son invention. Vendu au prix d’environ 500 000 euros, le gravimètre quantique de Muquans a déjà été exporté au Japon, en Allemagne, au Mexique et aux États-Unis, et été installé sur l’Etna, en Sicile. Sa quatrième version quant à elle, la plus résistante dans des conditions extrêmes, fonctionnera bientôt en Antarctique.

Le capteur quantique de Muquans permet de connaître la composition du sous-sol sans avoir à creuser

Partenariat stratégique pour l’ordinateur quantique

Fort de cette expertise unique, qui a fait de Muquans le leader français des capteurs quantiques, l’entreprise s’est mise à produire pour d’autres des briques technologiques nécessaires à la construction de systèmes quantiques. Elle a notamment signé un partenariat stratégique avec la société Pasqal, basée en Île-de-France, qui a levé 25 millions d’euros en 2021 pour développer son ordinateur quantique, dont Muquans fabrique à Talence, au sein de l’IOGS, les systèmes optiques. Son savoir-faire l’a également amenée à construire un autre type de capteur : une horloge quantique, également appelée horloge atomique, capable de définir « une seconde avec 18 décimales derrière. Ce qui la rend ultra-précise sur des milliards d’années », assure Philippe Bouyer. Des appareils d’environ un mètre cube, qui permettent une synchronisation parfaite, à n’importe quel endroit du monde, à n’importe quel instant, et qui trouvent des applications dans le domaine des transferts de données ou des transports.

Levier de croissance

Une palette de produits qui a fortement intéressé la société iXblue, un autre spécialiste des systèmes photoniques et quantiques basé en Île-de-France, qui travaillait depuis déjà quelques années avec Muquans sur ses systèmes de navigation inertielle embarqués dans des avions, des bateaux et même dans l’espace. Également mue par une « véritable volonté de venir s’implanter en Nouvelle-Aquitaine », iXblue a ainsi racheté Muquans en juin 2021.

Pour l’entreprise girondine, cela constitue un moyen de monter rapidement en puissance, et de faire grandir un chiffre d’affaires qui plafonne autour de 3 millions d’euros, « limité par la taille de l’entreprise », estime Philippe Bouyer. « S’adosser à une société bien établie comme iXblue », qui compte plus de 700 salariés répartis dans le monde entier, et qui vient également de racheter le spécialiste de la photonique basé à Pessac Kylia, « va nous donner accès à un réseau de distribution commerciale mondial et un fichier client intégré. Et nous permettre de faire de l’intégration verticale, ce qui constitue deux volets importants pour augmenter notre capacité de production et notre croissance », analyse le cofondateur et conseiller scientifique en chef de Muquans.

La source du quantique

« Il y a vraiment une dynamique commune de nos deux entreprises, qui devrait donner un nouvel élan à tout le développement autour des technologies quantiques », assure Philippe Bouyer, qui porte le projet de création d’un centre néo-aquitain des technologies quantiques, le NaQuiDis (voir article suivant), sur le territoire. Muquans va également pouvoir profiter de la dynamique d’innovation constante d’iXblue. « Nous espérons ainsi faire évoluer notre gamme de produits encore plus loin », indique le directeur de recherche au CNRS.

Avec notamment des gravimètres de plus en plus petits, ayant des niveaux de sensibilité variables, adaptés à différentes applications et usages et pouvant être mis en réseau. Ou encore des gradiomètres, qui mesurent directement la variation spatiale de la pesanteur. Et surtout, les dispositifs de navigation inertielle quantiques, dont le guidage repose sur l’analyse du mouvement, de la position, de l’accélération. Muquans a désormais de quoi « rester en tête de la compétition ». Toujours en Nouvelle-Aquitaine, « près des laboratoires académiques, parce que c’est là où se trouve la source de toutes les innovations autour du quantique aujourd’hui », conclut Philippe Bouyer.

C’est dans les laboratoires académiques notamment de Nouvelle Aquitaine que se trouve la source de toutes les innovations autour du quantique

Muquans

© D. R.

Le quantique, c’est fantastique

La physique quantique, qui s’intéresse au comportement à l’échelle de l’infiniment petit, est en train de passer d’une révolution conceptuelle à une révolution technologique. Les premières découvertes ont eu lieu il y a près d’un siècle et ont notamment conduit à l’invention du laser et de l’électronique moderne. La deuxième révolution quantique qui a lieu actuellement repose, elle, sur « la manipulation de ces objets infiniment petits (atomes, photons, ions…) et l’utilisation de leurs propriétés quantiques, à savoir la superposition (qui permet à un atome de se trouver dans deux endroits en même temps ou dans deux états différents) et l’intrication (la mémoire d’une interaction) », explique le physicien Philippe Bouyer. « Cela constitue une rupture fondamentale », assure le directeur de cherche au CNRS, matérialisée par trois piliers : l’ordinateur quantique (aux capacités de calculs phénoménales), la communication ultrasécurisée (basée sur l’intrication quantique) et enfin les capteurs quantiques (d’une précision extrême).

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