Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Nouvelle-Aquitaine : Business Angels au féminin

Le réseau Femmes Business Angels (FBA) organisait son premier forum dédié à l’entrepreneuriat et à l’investissement féminins à Bordeaux le 10 mai. Pour la déléguée régionale Nouvelle-Aquitaine FBA, Marie-Christine Jaulmes, valoriser ces secteurs sous l’angle du genre est une nécessité pour favoriser une mixité équilibrée.

Marie-Christine Jaulmes, Femmes Business Angels Nouvelle-Aquitaine

Marie-Christine Jaulmes, responsable régionale des Femmes Business Angels Nouvelle-Aquitaine © Atelier Gallien / EJG

Échos Judiciaires Girondins : Le réseau Femmes Business Angels (FBA) vient d’organiser à Bordeaux son premier forum WinDay. Quel est l’objectif de cet événement ?

Marie-Christine Jaulmes : « Le réseau Femmes Business Angels (FBA), qui fête cette année ses 20 ans, réunit 180 investisseuses en France, dont 8 en Nouvelle-Aquitaine (à Pau, au Pays basque et 6 à Bordeaux). Après la crise sanitaire, nous avons souhaité rayonner en région. Nous voulions à la fois aller chercher de nouvelles investisseuses, et nous rapprocher des organisations au cœur des écosystèmes, de façon à trouver de beaux projets dans lesquels investir. Nous nous sommes donc implantées à Lyon, Marseille, Bordeaux et Caen. Et après avoir organisé quatre éditions du forum WinDay à Paris, nous l’avons lancé pour la première fois en région cette année, en partenariat avec la French Tech et l’association d’assurés Agipi, engagée pour promouvoir la place de la femme dans l’économie. L’objet de ces WinDay est donc de faire connaître FBA, de faire la promotion de nos livres blancs et d’œuvrer pour une mixité équilibrée. À Bordeaux, environ 180 personnes, dont 65 % de femmes, ont répondu présentes pour faire de cet événement un véritable succès et démontrer que le rôle de la femme dans le monde des start-ups, pour investir et entreprendre, est un sujet qui passionne. »

 

EJG : Pourquoi jugez-vous nécessaire de valoriser l’investissement et l’entrepreneuriat sous l’angle du genre ?

M.-C.J. : «Il y a une réelle sous-représentation des femmes parmi les entrepreneurs et investisseurs. On ne représente par exemple que 15 % des 10 000 business angels en France. Or nous considérons qu’étant donné la proportion de femmes dans la société, proche de 50 % dans la population active, il n’y a pas de raison pour qu’elles n’aient pas accès à l’entrepreneuriat d’une part, et à l’investissement d’autre part, dans des sociétés innovantes. Cela fait partie des opportunités pour valoriser son patrimoine, qui sont autant dues à une femme, dans la mesure où elle en a la possibilité, qu’à un homme. »

 

Les femmes ne représentent que 15 % des 10 000 business angels en France

 

EJG : Quel est l’objet des livres blancs de FBA ?

M.-C. J. : « Le premier, sorti en 2020, ciblait la place des femmes dans l’investissement et l’actionnariat. Et le deuxième, publié fin 2022, s’intéressait à l’impact. À chaque fois, nous partons de statistiques et d’études faites avec des cabinets, pour montrer qu’il reste du chemin à parcourir et livrer nos recommandations sur comment le faire. À travers ces statistiques justement, on s’est aperçu que le type de projets soutenus par les femmes était souvent des projets à impact, sociétal, environnemental… Chez FBA, par exemple, cela concerne au moins 50 % des projets financés ces dernières années. Cette réalité traduit une certaine sensibilité, une appétence des femmes pour ce secteur. Notre vision, en raison de l’évolution du climat et de la place de la femme qui devient plus importante surtout avec les nouvelles générations, est que les projets à impact vont motiver énormément de start-uppeurs et surtout de start-uppeuses. Et qu’en face, il y aura de plus en plus de femmes qui vont investir pour y répondre. »

 

FAIRE GARDER SES ENFANTS OU INVESTIR DANS LE BUSINESS ?

Publiant régulièrement des livres blancs pour favoriser l’entrepreneuriat et l’investissement féminins, FBA livre à cette occasion des listes de recommandations pour faire évoluer les choses. « Il faut savoir par exemple que lorsque des business angels investissent dans des entreprises – et cela ne concerne pas que les femmes –, selon certains critères, ils peuvent bénéficier d’une défiscalisation correspondant à une déduction de 25 % du montant investi. Or cette déduction figure dans l’assiette des 10 000 euros qui comprend également les frais de garde à domicile, de ménage, etc. C’est ridicule. Ils doivent donc choisir entre faire garder leurs enfants et investir dans le business ? », pointe Marie-Christine Jaulmes, responsable du réseau FBA NA. C’est pourquoi FBA milite, aux côtés de France Angels, pour que la déduction associée à l’investissement soit mise dans une autre catégorie.

 

EJG : Les investisseurs sont moins intéressés par ces sujets ?

M.-C. J. : « Nous avons constaté que les entrepreneuses avaient beaucoup de mal à lever des fonds auprès des réseaux qui étaient essentiellement masculins. Le fait d’avoir des femmes en face d’elles les met plus à l’aise. Il y a une compréhension mutuelle des sujets qui est réelle. Et une convergence vers ces sujets à impact. D’où le thème du WinDay de cette année : « Investir et entreprendre au féminin : leviers pour un monde plus durable ». Cependant, on ne peut pas dire que les hommes ferment la porte aux projets portés par des femmes, mais ils sont clairement habitués à dialoguer de ces sujets-là avec d’autres hommes. Quand le réseau FBA a été créé en 2003, c’est par des femmes qui étaient encore actives et qui, voulant se lancer dans l’investissement dans des start-ups, ne trouvaient que des réseaux masculins dont les membres étaient retraités, il y avait un décalage énorme. La moyenne d’âge chez FBA est d’ailleurs plus faible que dans d’autres réseaux de business angels (BA). »

 

Nous avons constaté que les entrepreneuses avaient beaucoup de mal à lever des fonds auprès des réseaux essentiellement masculins

 

EJG : Au-delà de la nature des projets, en majorité à impact donc, quelles sont les particularités de l’investissement au féminin ?

M.-C. J. : « En termes d’investissement, on dit souvent que les femmes ont une aversion au risque, qu’elles sont prudentes et ne vont donc pas forcément mettre d’argent dans des start-ups, investissement risqué par nature. Or, c’est en train d’évoluer. D’une part les femmes se rapprochent des hommes en termes de pouvoir d’achat. Et d’autre part, elles ont la capacité d’utiliser leur argent en propre, pour des choses peut-être moins classiques qu’autrefois. Mais elles exigent que les analyses des dossiers soient bien faites. Chez FBA, nous avons donc mis en place toute une méthodologie et des outils d’analyse de risques pour bien sélectionner et instruire les dossiers. Nous avons également développé des programmes de formation pour que les nouvelles membres du réseau puissent s’acclimater à ces méthodes et outils. Et lorsqu’on présente des dossiers à nos BA une fois par mois, les femmes qui n’ont pas participé à l’instruction et qui vont investir se sentent parfaitement informées. C’est une condition nécessaire. »

 

En termes d’investissement, on dit souvent que les femmes ont une aversion au risque mais c’est en train d’évoluer

 

EJG : Y a-t-il d’autres particularités ?

M.-C. J. : « Lorsque nous investissons dans un projet, ce qui nous intéresse est d’avoir un vrai rôle de conseil auprès de l’entrepreneur, de lui faire bénéficier de notre expérience. C’est en partie pour cette raison que nous avons créé le fonds d’investissements Win Equity et que nous investissons généralement à plusieurs, afin que le montant global investi soit suffisamment significatif pour qu’un comité stratégique se forme et que la start-up nous y donne un rôle. Lors de nos comités, les projets doivent donc obtenir au minimum 50 % des votes des personnes présentes, sinon on ne les retient pas. Enfin, ce n’est pas typiquement féminin, mais depuis quelques années on s’aperçoit que, de façon globale, les BA, qui par nature investissent en amorçage, sont de plus en plus exigeants sur la maturité des projets. On les choisit un peu moins précoces pour limiter le risque : l’entreprise doit avoir fait un petit chiffre d’affaires, une preuve de concept, avoir une traction commerciale avérée… C’est une évolution notable chez FBA. »

 

EJG : Et qu’est-ce qui caractérise l’entrepreneuriat au féminin ?

M.-C. J. : « Aujourd’hui, seulement une entreprise sur quatre est créée par une femme. Mais leur nombre augmente significativement, c’est une bonne chose. Et justement, nous sommes là pour œuvrer dans ce sens. Parce que quand ces entrepreneuses lèvent des fonds et qu’elles ont des femmes en face d’elles, la motivation, d’un côté comme de l’autre, est plus forte. Il existe une volonté de faire changer les pratiques anciennes de la société. Ensuite, quand des entrepreneuses pitchent devant nous, on constate qu’elles ont plus de frilosité à parler d’économie, de chiffres, de business plan, etc. Ce n’est pas au cœur de leur dialectique. Il y a un langage féminin assez caractéristique et commun. »

 

FBA, UN RÉSEAU CONNECTÉ À L’ÉCOSYSTÈME

Afin de sélectionner des dossiers intéressants à financer dans toute la région Nouvelle-Aquitaine, FBA NA s’appuie sur les incubateurs et les autres réseaux de business angels du territoire. « Je me coordonne de façon très régulière avec les représentants du réseau Arts et Métiers Business Angels (AMBA) et du réseau BADGE (Business Angels des Grandes Écoles) en Nouvelle-Aquitaine, parfois avec Bordeaux Angels. Il y a également Synergence dans le Poitou-Charentes, le réseau Adour BA sur la partie Sud-Pays basque et le réseau Limousin Angels. Lorsque nous nous réunissons, nous faisons généralement pitcher quelques start-ups. Nous faisons aussi partie de France Angels, association de réseaux de BA qui nous permet de partager quelques outils méthodologiques et de sentir le pouls du secteur des BA », détaille Marie-Christine Jaulmes, responsable FBA NA. Elle travaille également avec la pépinière Les Premières et les incubateurs/accélérateurs de start-ups Bordeaux Technowest et Unitec pour identifier des projets dans lesquels investir.

 

EJG : Les Femmes Business Angels financent-elles aussi des projets portés par des hommes ?

M.-C. J. : « Oui, notre réseau n’a pas de critères sur le sexe des fondateurs. En revanche, le fonds d’investissements Win Equity, lui, possède une contrainte imposant la présence d’au moins une femme dans l’équipe des fondateurs. Il n’est pas sélectif en termes de secteur d’activité, mais là aussi on constate que les sociétés à impact sont très présentes. Et puis comme c’est un fonds, Win Equity impose des critères en termes de maturité de société plus forts, puisqu’il doit apporter de la rémunération aux sommes investies. »

 

MARIE-CHRISTINE JAULMES : PARCOURS

Ingénieure de formation, Marie-Christine Jaulmes a fait toute sa carrière dans l’industrie de l’énergie, chez Technip, EDF puis Eramet. « J’ai travaillé sur de grands projets de construction, géré de très grosses équipes avec tous les problèmes techniques, RH, etc., que cela peut poser », explique-t-elle. Investisseuse et membre des Femmes Business Angels par intermittence depuis 2006, elle est responsable de l’antenne néo-aquitaine du réseau depuis 2019. « Au moment où j’ai pris ma retraite, j’ai souhaité animer le réseau sur le territoire, où j’ai déjà investi dans différentes sociétés telles que la fintech Obvy, la start-up d’IA CogEngines ou encore Ouidrop. »

EN CHIFFRES : LES FEMMES ET L’ENTREPRENEURIAT EN GIRONDE

Ÿ 1 chef d’entreprise sur 4 est une femme

Ÿ En 2014, sur 31 368 dirigeants actifs, 22,6 % étaient des femmes

Ÿ En 2021, sur 47 463 dirigeants actifs, 25,4 % étaient des femmes

Ÿ En 2021, la moyenne d’âge des femmes cheffes d’entreprise est de 44 ans (contre 45 ans tous sexes confondus)

Ÿ Part des femmes cheffes d’entreprise dans le secteur des services : 47,3 %

Ÿ Part des femmes cheffes d’entreprise dans le secteur du bâtiment : 4,6 %

Ÿ Un tiers des femmes cheffes d’entreprise exercent dans le secteur des soins à la personne

Ÿ Les femmes cadres (professions intellectuelles supérieures et cheffes d’entreprise salariées) sont payées en moyenne 18,5 % moins que leurs homologues masculins

Sources : données économiques CMA NA au 01/01/2021 et 01/01/2016 / Insee 2018-2019 / GSO