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Les pratiques restrictives de concurrence : l’avantage sans contrepartie (partie 1)

Nombre de contentieux en matière de droit des affaires concernent des acteurs économiques dont l’activité solide et rentable est mise en péril par une mauvaise utilisation des outils juridiques. Le Cabinet DNS Avocats vous propose donc un focus en 3 numéros sur les pratiques restrictives de concurrence, dispositions du Code de Commerce qu’il est fondamental de maîtriser en tant que professionnel du service, de la production ou du commerce.

Olivier NICOLAS, avocat spécialiste en droit commercial, des affaires et de la concurrence

Olivier NICOLAS, avocat spécialiste en droit commercial, des affaires et de la concurrence © Atelier Gallien - Echos Judiciaires Girondins

Les pratiques restrictives de concurrence sont des comportements d’acteurs économiques qui, par leur nature, entravent la concurrence. Ils sont sanctionnés peu importe leur impact réel sur le marché. Avant la réforme opérée par l’ordonnance du 24 avril 2019, ces pratiques restrictives de concurrence étaient peu lisibles et dispersées dans le Code de Commerce. Cette modification d’ampleur a permis de clarifier et de simplifier le régime des pratiques restrictives de concurrence.

Un fournisseur d’article de sport avait conclu un accord commercial avec un groupe distribuant ses produits dans l’ensemble de ses enseignes (supermarchés, hypermarchés, commerces de proximité). L’objectif pour le fournisseur était d’obtenir des informations permettant d’adapter sa politique commerciale dans chacun des points de vente. En contrepartie il consentait des avantages tarifaires et ristournes au profit de son distributeur.

Les factures du distributeur faisaient état de prestations douteuses : optimisation marketing, optimisation de diffusion, optimisation administrative…

Le fournisseur a alors imaginé de contester, sur le terrain de l’avantage sans contrepartie, les sommes dues au titre de ses prestations en dénonçant le fait qu’elles n’avaient pas été effectives. Les juges de première instance et d’appel ont validé ce raisonnement, précisément en ce que les prestations n’avaient pas été réalisées, que les factures n’étaient pas précises et concluaient que le distributeur avait perçu un avantage sans contrepartie (CA Paris, arrêt du 9 janvier 2019).

DES TECHNIQUES CONTRACTUELLES AMENÉES À ÉVOLUER

Pour les acteurs économiques, les contrats conclus sont le ciment de tous les partenariats commerciaux et l’essence même de leurs activités. L’enjeu juridique devient alors de taille puisque de multiples facteurs interviennent, l’évolution de la sphère économique, de la concurrence, de la société, de la politique, l’apparition de secteurs nouveaux… Avec ces changements, les techniques contractuelles sont, elles aussi, amenées à évoluer.

Alors, dans une recherche délicate d’équilibre entre la liberté des parties au contrat, la morale des affaires, les intérêts des contractants et la sécurité juridique, le législateur a entendu encadrer toute l’existence du contrat, en sanctionnant l’avantage sans contrepartie qu’il naisse lors de la négociation, de la conclusion, ou de l’exécution du contrat. En conséquence, l’article L. 442-1, I, 1° du Code de Commerce sanctionne le fait « d’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » engage la responsabilité de son auteur.

La première condition est évidente et tient logiquement aux personnes concernées par le texte, à savoir « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services ». Le texte s’appliquera à l’auteur, à condition qu’il exerce ces activités de production, distribution et services. C’est une innovation issue de l’ordonnance du 24 avril 2019 (n° 2019-359), puisque les dispositions précédentes étaient plus restrictives, l’auteur de l’avantage sans contrepartie était entendu comme « tout producteur, commerçant, industriel ». Pour la victime de l’avantage sans contrepartie, le texte est protecteur en ce qu’il n’a pas entendu restreindre la qualité de victime : est donc visée « l’autre partie ». Cette modification intervenue là encore par l’ordonnance du 24 avril 2019 revêt une importance particulière : chaque fois que le législateur étend le champ d’application d’un texte, c’est un risque pour tous les acteurs économiques qui deviennent subitement concernés.

La deuxième condition, tient à l’obtention de l’avantage ou à la tentative d’obtention de l’avantage. Bien souvent l’avantage est compris dans sa dimension économique, par exemple la ristourne accordée sous forme de remises entre un fournisseur et un distributeur. Cette hypothèse est appréhendée facilement par les juges tant elle est aisément quantifiable.

L’avantage peut aussi prendre la forme d’un avantage en nature et permettre la réalisation d’une économie

Mais l’avantage peut prendre aussi la forme d’un avantage en nature et indirectement permettre la réalisation d’une économie. Par exemple, un fournisseur qui va mettre à disposition de son distributeur des intérimaires pour effectuer un inventaire des produits vendus : le distributeur va réaliser une économie sur les frais d’inventaires (Cour de Cassation, Chambre commerciale, arrêt du 18 oct. 2001, n° 10-15.296). En cas de contentieux, la question de l’avantage pourra justement être discutée, au regard de la jurisprudence établie mais aussi des usages du secteur concerné (par exemple en matière de droit des transports ou de droit du vin et de la vigne). Attention, la tentative d’obtention d’un avantage sans contrepartie est aussi sanctionnée au titre des pratiques restrictives de concurrence. Sur ce point, la question de la preuve s’avèrera plus délicate.

COMMENT PROUVER QUE L’AUTEUR A TENTÉ D’OBTENIR DE LA VICTIME UN AVANTAGE SANS CONTREPARTIE ?

On pourrait illustrer cette hypothèse dans le cas où un service illusoire aurait été facturé par l’auteur, à une victime qui n’aurait pas procédé au paiement de ladite facture. La troisième condition, tient enfin à l’absence de contrepartie. On l’a compris, ce que le législateur a entendu sanctionner ici c’est le déséquilibre entre les parties, l’une obtenant de l’autre un avantage injustifié. Cette absence de contrepartie peut s’appréhender de deux manières. D’abord on peut conclure à l’absence de contrepartie lorsqu’aucun service n’a été effectivement rendu, ce qui en pratique s’avère plutôt aisé.

Aussi, on peut qualifier l’absence de contrepartie dès lors que le service rendu s’avère en réalité être dérisoire. Par exemple, dans le cadre d’une relation commerciale dans laquelle une des parties s’engagerait à fournir un « suivi qualité » dérisoire, ou des données statistiques de vente qui sont lacunaires, elle pourrait être sanctionnée au titre de l’avantage sans contrepartie. (Cour de cassation, Chambre commerciale, Arrêt n° 167 du 4 mars 2020, Pourvoi n° 17-17.148). En cas de litige, il faudra donc apprécier l’avantage à l’aune de la contre-partie et discuter de la disproportion qui peut exister entre l’un et l’autre.

L’ÉPINEUSE QUESTION DE LA PREUVE

Pour terminer se pose l’épineuse question de la preuve : Comment prouver que l’avantage existait et qu’il était bel et bien sans contrepartie ? Et a contrario, comment s’en défendre ?

Du point de vue probatoire, l’adage « actori incumbit probatio » (la preuve incombe au demandeur) est normalement de principe en matière de droit privé. En matière d’avantage sans contrepartie la charge de la preuve est inversée : il n’appartient pas à la victime de prouver qu’elle a été lésée ! La charge de la preuve pèse sur celui qui a perçu l’avantage, il doit démontrer qu’il a bien fourni une contrepartie.

Pour illustrer, un contrat conclu entre deux parties prévoit parmi d’autres obligations, un paiement en échange de prestations de suivi qualité, de statistiques clients. Ces prestations s’avèrent être particulièrement lacunaires.

La partie lésée assigne donc au Tribunal son partenaire débiteur de ces prestations sur le fondement de l’avantage sans contrepartie. Il appartiendra alors à ce der- nier de rapporter la preuve qu’il a effectivement fourni les dites prestations. Ces règles probatoires ont une importance notable pour les acteurs économiques à qui on ne peut que conseiller de conserver une trace des prestations fournies. Il est capital de détailler le contenu des prestations, les dates, les lieux, afin de se prémunir en cas de litige et de démontrer qu’elles constituent une contrepartie à l’avantage perçu.

UN OUTIL PUISSANT

L’avantage sans contrepartie constitue donc un outil puissant, qui peut permettre d’engager la responsabilité de celui qui a rompu ou tenté de rompre l’équilibre contractuel. Dans le prochain numéro sera d’ailleurs abordée une pratique restrictive de concurrence qui se rapproche de l’avantage sans contrepartie : le déséquilibre significatif. Pour les acteurs économiques, cerner les pratiques restrictives de concurrence s’avère précieux, cela permet d’avoir une lecture différente de la relation commerciale, de penser le contrat comme un partenariat, et de tendre à l’équilibre contractuel. Ce point d’équilibre ne cesse cependant de changer, sous impulsion nationale ou européenne, au gré des modifications législatives qui se suivent, d’où l’importance d’avoir recours à des professionnels de la technique contractuelle.

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