MNA ET DÉLINQUANTS
MNA sont ainsi les initiales de mineurs non accompagnés. Ils sont nombreux à gagner la France depuis plusieurs années, fuyant la misère. Mais comme le fait remarquer Emmanuelle Ajon, adjointe au maire de Bordeaux et chargée de la protection de l’enfance au Département, « Il ne faut pas assimiler tous les mineurs non accompagnés, pris en charge par l’ASE et qui cherchent à s’intégrer, aux délinquants ». « On ne voit que la partie immergée de l’iceberg de cette immigration », confirme Patrick Mairesse, directeur de la Sécurité Publique, « nous on ne voit que ceux avec qui ça se passe mal. » Ces derniers, principalement originaires du Maghreb (Maroc et Algérie), sont au centre de toutes les attentions ces derniers mois. Le phénomène date de plusieurs années. Il a, selon Frédérique Porterie, procureur de la République, débuté dans les années 2010, avec les printemps arabes et concernait au début de très jeunes enfants (entre 9 et 13 ans) qui arrivaient à Paris. Depuis une dizaine d’années, ce flot s’est dispersé sur différentes villes, dont Bordeaux. Actuellement, ils constitueraient un groupe d’une centaine de personnes, groupe fluctuant qui a pu aller jusqu’à 120/140. Contrairement à ce qui a pu être écrit, ils ne seraient pas pris dans des réseaux mafieux. Selon la police, comme pour le procureur, au contraire, ils arrivent de manière individuelle, transitant par l’Espagne. Pourquoi les assimiler à des réseaux ?
Bordeaux zone de passage est devenue en quelques sortes une zone de stand by
Une fois sur place, ils se déplacent en bande de 2 à 4 jeunes, mineurs ou jeunes majeurs, et jouent les petites mains pour des dealers ou des receleurs. Souvent dépendants à des médicaments du type Rivotril, ils dorment dans des squats totalement insalubres où ils doivent payer, d’où la nécessité de « gagner » leur nuit. « Ils sont aussi les victimes de vendeurs de sommeil », explique Patrick Mairesse, « on essaie de démanteler ces appuis logistiques, ce qui permettrait l’aide du Conseil Départemental à certains pour sortir de cette spirale. »
L’EFFET LOUPE
Les MNA délinquants se déplaceraient beaucoup. Selon le procureur entre Montpellier, Toulouse et Bordeaux. Selon le directeur de la Sécurité Publique, ils transitent entre Paris, Angoulême, Limoges, Nantes. « Nous avons même été contactés par la Suède au sujet de 3 jeunes qui étaient passés par Bordeaux. » Mais on constate moins de circulation depuis le confinement.
Une compagnie de CRS va arriver à Bordeaux, avec 70 à 80 fonctionnaires supplémentaires sur le terrain
« Bordeaux zone de passage est devenue en quelques sortes une zone de stand by », remarque Frédérique Porterie, « le confinement a cristallisé une situation que le déconfinement a fait totalement émerger. » La ville, en pleine croissance économique, dont on célébrait la douceur de vivre, où l’on était moins qu’ailleurs sur le qui-vive, a attiré ces jeunes en perte de repères, principalement sur les 3 dernières années. Si on reconnaît les problèmes d’insécurité, tant à la police qu’au tribunal, on tente toutefois de relativiser : « Il y a une hausse de la violence médiatisée », précise Patrick Mairesse, « depuis la fin du confinement, on remarque une exaspération, une agressivité ambiante. Mais il y a aussi un retentissement en fonction de la localisation des faits ». Pour le directeur de la Sécurité Publique, « Il y a un paradoxe du retentissement des faits en fonction de leur localisation. Des faits plus graves, qui n’ont pas eu lieu sur le périmètre des quais à Saint-Michel, ont eu moins de retentissement. Il y a un effet loupe étonnant ».
L’ABSENCE DE FICHIER
Si le problème des MNA délinquants est si difficile à contrer, c’est d’abord qu’on se heurte à la difficulté de les identifier formellement. Contrairement à l’Espagne, où il existe un juge des mineurs et un service équivalent à l’ASE qui les prennent en charge, et surtout qui déterminent s’ils sont mineurs ou majeurs grâce à des tests et à un fichier. Selon le procureur de la République, « les Espagnols ont montré que la mise en place du fichier est aussi une manière de les protéger ». Il n’en existe aucun équivalent en France, où la signalisation est interdite. « Nous n’avons pas le droit de prendre leurs empreintes sans leur consentement », ajoute Frédérique Porterie.
En France, contrairement à l’Espagne, la signalisation des mineurs est interdite
Mais lorsqu’il y a interpellation pour des faits plus graves, on peut comparer les photos et les empreintes, « certains ont jusqu’à 8 ou 9 alias » continue Patrick Mairesse. S’ils sont mineurs – ce que l’on estime dans la plupart des cas sans autre élément de preuve contraire – il peut, selon la gravité des faits, être sous l’effet d’une requête en mesure éducative, ou être convoqué en justice. Ils sont alors placés en foyer ou centre fermé. Si un faisceau d’indices permet de démontrer qu’ils sont majeurs, l’incarcération est possible. « C’est comme cela qu’on fait remonter les procédures », remarque le procureur Frédérique Porterie,
« le taux d’incarcération est remonté de 70 % d’occupation pendant le confinement à 168 % en septembre. En cette période de crise sanitaire, les services sont également confrontés à une absence de reconduite aux frontières qui marque une difficulté supplémentaire.
LA CELLULE MNA
Pour faire face à ces difficultés, la police a créé il y a un an à Bordeaux une cellule MNA (délinquants) comptant actuellement 6 fonctionnaires, et qui pourra remonter à 8. Créée dans un premier temps au moment du mouvement des Gilets Jaunes, elle compte des enquêteurs judiciaires, des anciens de la brigade anticriminelle, etc. dédiés pour traiter les cas graves. En lien avec l’Espagne, via le service de liaison d’Hendaye, elle essaie de retracer le parcours des individus pour les identifier et parfois prouver s’ils sont majeurs. Ils travaillent également avec les Consulats. Le chef de brigade est aussi parti avec une magistrate du Parquet effectuer un stage à Paris. « On a diffusé notre savoir-faire à plusieurs collègues de la zone, à Limoges ou à Angoulême », souligne Patrick Mairesse. L’autre activité de la cellule consiste à démanteler les réseaux de revente en remontant aux receleurs, dont ils sont souvent les petites mains. « En février dernier par exemple », cite Patrick Mairesse, « nous avons démantelé une filière algérienne qui rachetait des téléphones et des bijoux. »
« On fait beaucoup d’enquêtes de fond pour remonter les filières, et on est souvent sur le terrain », précise un agent de la cellule. « Les Consulats du Maroc et d’Algérie participent à la politique partenariale », rebondit le procureur, qui, connaissant bien Madrid où elle a été magistrat de liaison, voudrait mettre en place un groupe de travail réunissant Paris, Bordeaux et Madrid pour mettre en place des échanges d’information.
LA GUERRE DES POLICES (N’AURA PAS LIEU)
« La situation se dégrade », a reconnu Pierre Hurmic lors de sa conférence de presse de rentrée. Le maire de Bordeaux avait alors déclaré : « nous ne sommes pas là pour pallier les carences de la police nationale ».
La police municipale (165 agents selon Bordeaux Mag) sera désormais directement rattachée au maire pour plus d’efficacité. « Nous allons recruter des policiers municipaux », a par ailleurs déclaré Amine Smihi, maire adjoint qui pilote ce dossier, « et mettre en place une brigade canine, une brigade VTT et mieux exploiter la brigade équestre ».
« Je ne savais pas qu’ils palliaient nos manques, si tant est qu’on ait des manques ! », ironise Patrick Mairesse qui précise ensuite : « il y a de la coordination et de la coopération entre les différents services sur le terrain ». Peut-être faisait-il référence à l’usage des caméras que l’on assimile parfois au manque d’effectifs alors que leurs rôles sont complémentaires. En tout cas, les pouvoirs publics viennent d’annoncer l’arrivée d’une compagnie de CRS, ce qui représentera 70 à 80 fonctionnaires supplémentaires sur le terrain. Police, justice et mairie ont œuvré conjointement à la mise en place d’un Groupe Local de Traitement de la Délinquance (GLTD) sur le quartier de Saint-Michel. Cette action ciblée, en partie secrète, avec tout un travail de terrain, est lancée pour une période de 3 mois et pourrait être reconduite une fois. Mais également d’un Conseil Local de Sécurité et de Prévention de la Délinquance (CLSPD) avec différentes entités dont l’éducation nationale, les associations, etc. pour créer un comité de prévention de la délinquance. « Pour une politique efficace, il faut de la prévention et de la médiation sociale », ont insisté les équipes de Pierre Hurmic lors de la conférence de presse de rentrée. « Les solutions ne peuvent pas être que policières », insiste Patrick Mairesse, « elle ne peuvent venir que dans la coopération avec les consulats, la justice, les élus et les associations. »
En cette période de crise sanitaire, les services sont également confrontés à une absence de reconduite aux frontières
LES DÉLITS DE L’ANNÉE 2020
Sur les 8 premiers mois de 2020, les MNA délinquants sont surtout impliqués dans des faits de cambriolages (160), vols à la tire (56), recels de vols (68), violation de domicile (66), vols roulotte (44), vols (54), vols avec violences (56) et coups et blessures volontaires (30), viols (2) ainsi que d’autres faits moins graves et pas comptabilisés : outrages, dégradations, escroqueries…
Photo de Borja Lopez provenant de Pexels