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Procédures collectives et sauvegarde des entreprises

La vague annoncée de défaillances d’entreprises n’a pas à ce jour encore eu lieu. Les statistiques des ouvertures de procédure enregistrées par les tribunaux de commerce sont même largement en baisse.1

Entrepreneurs, dirigeants de sociétés, vous êtes de toute part sommés de vous présenter au Tribunal de commerce si vous rencontrez des difficultés. Mais que se cache-t-il derrière l’expression « dépôt de bilan » ? Qu’est-ce qu’une procédure collective ? Comment les procédures collectives peuvent-elles permettre la sauvegarde de votre entreprise ?

Les procédures collectives désignent trois types de procédures prévues par le livre XI du code de commerce : la sauvegarde, le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire. Seules les deux premières ont pour but la sauvegarde de l’entreprise. Ces procédures sont dites collectives car elles neutralisent le droit individuel d’agir de tous les créanciers. On les oppose aux procédures amiables (mandat ad hoc et conciliation) qui ont pour objectif, dans un cadre confidentiel, de permettre la négociation d’un accord avec quelques partenaires choisis. Lorsque les difficultés sont nombreuses, il est illusoire de croire que l’on va pouvoir les résoudre seul.

Il est nécessaire de mettre en place une solution globale qui tiendra compte de l’ensemble des créanciers mais aussi des actionnaires, des salariés, des fournisseurs, des clients, de l’environnement économique, de la conjoncture… Les procédures collectives ont un effet radical en ce qu’elles gèlent l’intégralité du passif antérieur. Les créanciers ne peuvent plus mettre en œuvre de mesures de poursuite. Les procès en cours sont poursuivis uniquement pour fixer la créance. Elles permettent au dirigeant de souffler en stoppant le harcèlement des créanciers. Si l’entreprise n’est pas encore en état de cessation de paiements et qu’elle justifie de difficultés qu’elle n’est pas en mesure de surmonter, elle pourra opter pour une procédure de sauvegarde. Si elle est en état de cessation de paiements, elle devra se diriger vers une procédure de redressement judiciaire.

La procédure de sauvegarde, grande innovation de la loi n° 2005- 845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, présente de nombreux avantages pour le dirigeant tout en bénéficiant des mêmes effets que le redressement judiciaire. L’état de cessation de paiements est une notion de trésorerie. Sa définition juridique est l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Il convient de rappeler que la loi impose au dirigeant de solliciter l’ouverture d’une procédure dans le délai de quarante-cinq jours suivant la constatation de l’état de cessation des paiements. À défaut, il encourt des sanctions.

L’OUVERTURE D’UNE PROCÉDURE DOIT ÊTRE VUE COMME UN OUTIL DE GESTION POUR RELANCER L’ACTIVITÉ

Le dirigeant de bonne foi sera accueilli avec bienveillance au Tribunal de commerce par les juges-consulaires. Ces derniers sont ou ont eux-mêmes été dirigeants, parfois même d’une entreprise qui a connu des difficultés. Bien évidemment, l ’ouverture d’une procédure s’accompagne de nombreuses contraintes tant administratives que financières. Le dirigeant se doit de coopérer avec les organes de la procédure, c’est- à-dire le mandataire et/ou l’administrateur éventuellement désigné,2 en fournissant toutes les informations et documents demandés. Sa gestion sera sous surveillance. Si un administrateur judiciaire est désigné avec une mission d’assistance, l’ensemble des paiements devront être cosignés. Les actes ne rentrant pas dans l’activité courante de l’entreprise devront être autorisés par le Juge-commissaire. Ce dernier veille notamment au bon déroulement de la procédure. La procédure aura aussi un coût puisque le mandataire judiciaire, l’administrateur judiciaire et le commissaire-priseur désignés par le tribunal sont rémunérés selon un barème légalement arrêté.

Mais ces contraintes sont sans commune mesure avec le préjudice subi par l’entreprise en cas d’inaction du dirigeant. La procédure de sauvegarde et la procédure de redressement judiciaire s’ouvrent sur une période d’observation de six mois au cours de laquelle le dirigeant sera invité à faire le point sur son entreprise, ses atouts et ses points faibles, sa stratégie, les mesures de restructuration à mettre en œuvre… Le dirigeant bénéficiera de conseils avisés de spécialistes des entreprises en difficulté. S’agissant des salariés, leur représentant élu en début de procédure participera à la vérification des créances salariales et à toutes les grandes étapes de la procédure. En procédure de redressement judiciaire, les salaires impayés et le coût des licenciements pourront être avancés par l’AGS (Association pour la Gestion du régime d’assurance des créances des Salaires). Côté dirigeant, ses cautions ne pourront être appelés pendant la période d’observation.

Il est nécessaire de mettre en place une solution globale qui tiendra compte de l’ensemble des créanciers

À l’inverse du plan de sauvegarde, le plan de redressement ne permet pas au dirigeant de bénéficier des délais accordés à l’entreprise dans le cadre du plan ce qui est une incitation forte à se placer très vite sous la protection du tribunal et à bénéficier d’une procédure de sauvegarde. S’agissant du passif, sa vérification permettra de faire le ménage parmi les créances. Parfois, certaines erreurs des créanciers dans l’établissement de leur déclaration de créances permettront de faire baisser substantiellement le passif à apurer. Les créanciers en question ne pourront faire valoir leur créance que si le plan arrêté par le Tribunal n’est pas respecté. Sous conditions, les créanciers peuvent demander au Juge-commissaire de se faire désigner contrôleur pour suivre la procédure.

En ce qui concerne les fournisseurs, si un contrat a été conclu, ces derniers pourront se voir contraints de continuer à travailler avec l’entreprise malgré les dettes impayées. La mise en place de garantie pourra permettre de rétablir le crédit fournisseur. Pour les clients, si l’entreprise offre des services B to C, il est fort probable que l’impact de la procédure sera neutre. Face à un portefeuille clients composé d’entreprises, de clients institutionnels ou de service public, un travail de pédagogie sera nécessaire pour les rassurer. Les acomptes versés devront être isolés et bénéficieront en tout état de cause d’un privilège. Rappelons que les entreprises en redressement judiciaire ont désormais la possibilité de soumissionner à un marché public si elles démontrent qu’elles ont été habilitées à poursuivre leur activité pendant la durée prévisible d’exécution du marché public. La période d’observation peut être renouvelée pour atteindre une durée maximale de 12 mois. Sur autorisation du Ministère Public, elle pourra exceptionnellement atteindre 18 mois. Ce renouvellement est généralement mis à profit pour préparer la sortie de la procédure. La trésorerie dégagée par l’entreprise pendant la période d’observation permettra de dessiner la solution. Aucune nouvelle dette ne devra avoir été créée.

En sauvegarde, trois issues sont possibles :

  • Adoption d’un plan de sauvegarde prévoyant généralement le remboursement des dettes sur maximum 10 ans, pouvant s’accompagner d’une cession partielle d’actifs ou d’activité,
  • Conversion en redressement judiciaire,
  • Conversion en liquidation

Le plan de redressement ne permet pas au dirigeant de bénéficier des délais accordés à l’entreprise

En redressement judiciaire, trois issues sont également possibles :

  • Adoption d’un plan de redressement prévoyant généralement le remboursement des dettes sur maximum 10 ans ou 15 si l’entreprise exerce une activité agricole,
  • Adoption d’un plan de cession permettant la reprise de l’entreprise, ses actifs et ses salariés sans reprise du passif,
  • Conversion en liquidation judiciaire.

En pratique, le contenu des plans adoptés est très variable (remboursement linéaire ou progressif avec ou sans franchise, remise de dettes, conversion de créances en titres, apport des actionnaires, cession de titres…). Les statistiques démontrent que la moitié des procédures de sauvegarde se solde par l’adoption d’un plan permettant la poursuite de l’activité contre seulement un quart des redressements judiciaires.

Le droit des procédures collectif est un droit complexe et très évolutif. Seules la conscience précoce et l’acceptation des difficultés permettent d’optimiser les chances de redressement. C’est malheureusement encore le frein psychologique de cette prise de conscience qui obère trop souvent la réussite que la loi de sauvegarde permet.

 

 


1. – 35,4 % selon le cabinet Altares sur le 3e trimestre 2020 par rapport à la même période en 2019.
2. Un administrateur judiciaire est désigné si le tribunal l’estime nécessaire ou si l’entreprise dépasse certains seuils (20 salariés au moins et 3 000 000 € de chiffre d’affaires).

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