Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Vins de Bordeaux : des défis à relever

2020 aura été une « annus horribilis » pour les Vins de Bordeaux avec un recul de 5 % en volume et une baisse de 12 % du chiffre d’affaires. Avec la suspension de la taxe Trump par l’administration Biden, il y a des raisons d’espérer mais aussi des défis à relever pour la filière.

grappes vin sulfite Bordeaux

© D. R.

Jamais 2 sans 3. 2020 devait être l’année du renouveau pour le vignoble bordelais après deux piètres campagnes de ventes en 2018 et 2019. Mais les chiffres publiés par le CIVB et la FEVS nous indiquent que 2020 aura été une « annus horribilis ». Sur les 5 millions d’hectolitres produits, seuls 3,9 ont trouvé preneurs en France et à l’étranger, contraignant les producteurs à distiller 10 % environ de leur production pour réduire les stocks. Au total, les ventes reculent de 5 % en volume et le chiffre d’affaires de la filière, qui compte plus de 55 000 emplois directs en Gironde, chute de 12 % par rapport à 2019. Début 2020, le prix du Bordeaux générique vendu en vrac est passé sous la barre d’un euro le litre. Et les statistiques de la SAFER soulignent le grand écart entre l’évolution du prix à l’hectare des appellations les plus prestigieuses et celle d’appellations plus modestes. Si je voulais voir le verre à moitié plein, je pourrais signaler que les vins de Bordeaux s’en sortent quand même mieux que le champagne et le cognac dont les ventes à l’export ont chuté en valeur de plus de 20 %. Je pourrais avancer que le contexte a été extrêmement défavorable. La crise sanitaire a détourné les Français des supermarchés. Or, c’est dans le réseau de la grande distribution que les vins de Bordeaux se vendent le plus. Les confinements, ici et ailleurs, se sont notamment traduits par la fermeture des bars et des restaurants privant la filière d’une autre source importante de revenus. Les avions sont restés cloués au sol et les touristes étrangers ont déserté l’hexagone privant les producteurs d’une source de revenus. Je pourrais également arguer que la guerre commerciale enclenchée par Donald Trump, avec l’imposition de la taxe « Airbus », a eu pour effet de réduire mécaniquement les ventes en valeur sur le premier marché d’exportations.

Aujourd’hui, environ 25 % des viticulteurs ont plus de 65 ans et l’opportunité de produire moins est à saisir

Je pourrais également invoquer la crise politique à Hong Kong, plaque tournante des grands crus en Asie, comme facteur explicatif. Je pourrais encore signaler que le Mouton Rotschild 2018 est le meilleur vin du monde pour Fine Wine Magazine et Tasting Book en 2020. Si je voulais voir le verre à moitié plein, je pourrais donc conclure que la crise des vins de Bordeaux est simplement conjoncturelle. Pour preuve, les sorties de bouteilles des châteaux ont repris au cours du dernier trimestre 2020. Et 2021 ouvre de nouvelles perspectives. La campagne de vaccination achevée, la vie va reprendre son cours. Les bars et les restaurants vont rouvrir, les gens vont voyager. L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche a entraîné la suspension temporaire de la taxe Trump pour 4 mois comme un prélude à sa suppression. La rébellion hongkongaise s’essouffle. Et le Brexit sans droit de douane laisse le marché historique britannique ouvert. Autant de signaux positifs devraient favoriser la dynamique tant sur le marché local que sur le marché mondial. Pourtant, cette conclusion ne peut pas totalement étancher ma soif.

Essayons, à présent, de voir le verre à moitié vide et d’envisager des causes plus structurelles à la crise actuelle. Au vu des résultats de la filière ces 3 dernières années, on peut s’interroger sur l’intérêt de produire autant de vins en Gironde. L’offre excédentaire pèse sur les prix des vins d’entrée de gamme dont une partie finit à la distillation, grâce aux aides de l’UE, pour devenir du gel hydro alcoolique. Il serait peut-être souhaitable, pour l’ensemble de la filière, de réduire la production par l’arrachage. Aujourd’hui, environ 25 % des viticulteurs ont plus de 65 ans et l’opportunité de produire moins est à saisir.

En France, nous buvons de moins en moins de vins. Or, le marché intérieur représente 50 % des débouchés des vins de Bordeaux. Selon l’OIV, cette baisse séculaire de la consommation est de l’ordre de 30 % depuis 2000. S’ils boivent moins, les Français boivent différemment. Le vin rosé a ainsi fait une percée spectaculaire ces dernières années. Mais la production bordelaise de rosé reste, pour l’instant, confidentielle ne représentant que 4 % de la production totale. La consommation de vins en dehors des repas se développe. Les Français privilégient alors des vins légers, simples à déguster alors que les vins de Bordeaux sont considérés comme lourds, boisés et complexes à boire (un vestige de l’ère Parker ?). Et, depuis le premier confinement, la consommation de vins en bib augmente alors que la production bordelaise est majoritairement en bouteilles.

Seuls 10 % du vignoble bordelais est bio contre 30 % pour les vins du Languedoc

La consommation de vins bio est devenue une tendance forte du marché. Or, seuls 10 % du vignoble bordelais est bio contre 20 % pour les vins de Loire et près de 30 % pour les vins du Languedoc. Les Français sont de moins en moins enclins à boire des vins produits à l’aide de pesticides et contenant des sulfites ajoutés. La conversion du vignoble bordelais semble plus lente que dans les autres vignobles français et étrangers. Un signe d’immobilisme ? Pourtant, une note de l’INSEE conclut que l’excédent brut d’exploitation à l’hectare d’un viticulteur bio est supérieur de 72 % à celui d’un viticulteur conventionnel, du fait d’un prix de vente à la bouteille plus élevé qui compense largement le surcoût de la main d’œuvre. La conversion au bio doit donc être accélérée pour répondre à la demande du marché. Elle bouscule les pratiques culturales et repose fondamentalement sur le consentement et l’adhésion des viticulteurs. Produire mieux. Cette conversion bouscule également les circuits de distribution puisque les vins bio s’écoulent principalement dans des circuits courts et de proximité qui ne sont pas la tradition de la place bordelaise. Si Bordeaux semble en retard sur le bio, le vin végan, notamment caractérisé par l’absence de colle animale pour clarifier, est une tendance émergente avec le développement de certifications qui constituent des signaux pour les végétariens et les végétaliens dont la proportion augmente.

De façon générale, auprès de nombreux consommateurs, notamment des plus jeunes, les vins de Bordeaux jouissent d’une image vieillissante, voire négative. Outre leur complexité sensorielle, olfactive et gustative, ce seraient des vins chers. Certes, la caisse de 6 bouteilles du fameux Mouton-Rothschild 2018 est actuellement vendue 4 185 € sur le  site de Millésima. Mais cette offre ne concerne qu’une infime partie du vignoble et de la clientèle. Rappelons que le prix de vente moyen d’une bouteille de Bordeaux dans la grande distribution est inférieur à 6 €.

Lutter contre le « Bordeaux bashing » ambiant doit être une priorité pour réhabiliter la qualité de la production

Lutter contre le « Bordeaux bashing » ambiant doit être une priorité pour réhabiliter la qualité de la production. Elle passe certes par un renouvellement de l’offre, mais aussi par sa simplification. Les vins IGP, souvent avec des étiquettes seyantes, ont le vent en poupe, mais Bordeaux n’en produit pas. L’existence de 65 AOC dans le vignoble et de plus de 10 000 étiquettes différentes rendent l’offre peu lisible pour le consommateur lambda. Et rares sont les vins de marque (Mouton-Cadet, Caves de Tutiac, Baron de Lestac…) facilement repérables pour l’acheteur.

Au niveau international, où s’écoulent 50 % de la production, la concurrence fait rage. L’Australie, le Chili, l’Espagne ou l’Italie sont des concurrents de taille pour les vins de Bordeaux. La Chine, qui a été l’un des principaux moteurs de la dynamique des ventes depuis 2 000, devient progressivement un marché mature. Il est vraisemblable que les taux de croissance à 2 chiffres seront difficiles à atteindre. Et les gains sur les principaux autres marchés d’exportation (le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Allemagne) semblent désormais restreints. L’économie mondiale post-Covid est une économie d’incertitudes. La croissance y sera inégale : le FMI prévoit une forte reprise en Asie, mais une reprise plus molle dans les économies développées du Nord. Et, nul ne sait si les économies resteront ouvertes comme avant la pandémie ou si des barrières aux échanges seront érigées pour les protéger. Le défi pour les vins de Bordeaux sera de s’adapter à ce contexte et de ne pas considérer qu’une position de marché est définitivement acquise. Mais, depuis sa création par les Bituriges vivisques au 1er siècle de notre ère, le vignoble bordelais n’a cessé d’innover, de se renouveler et de surmonter les crises. Parions sur le dynamisme et l’inventivité de nos viticulteurs pour relever le challenge et remplir nos verres d’un vin inégalable !

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