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Télétravail : Des contentieux inédits en vue ?

Encore une fois il est demandé à toutes les entreprises sur le territoire national de généraliser le recours au télétravail. Ce recours massif au télétravail, qui est assorti cette fois-ci de plus de contrôles de la part de l’Administration, s’impose aux entreprises comme aux salariés et risque de susciter un certain nombre de nouveaux contentieux relatifs aux relations de travail qui souvent n’ont pas été tranchées pour l’instant compte tenu d’un recours bien plus ponctuel au télétravail en temps normal.

Télétravail

© atelier Gallien - Echos Judiciaires Girondins

Voici quelques questions susceptibles de générer des actions en justice et qui exigent la vigilance des employeurs.

Le lieu de travail

Le Code du Travail ne prévoit rien concernant le lieu de travail utilisé dans le cadre du télétravail. Il s’agit uniquement d’un lieu qui n’est pas le lieu habituel de travail dans l’entreprise. Il peut s’agir du domicile mais également d’un autre lieu. Lors de chaque confinement, de nombreux salariés ont quitté leur domicile habituel pour « se mettre au vert » rejoignant leur résidence secondaire ou de la famille ou des amis pour télétravailler dans des conditions plus agréables. Cependant, dans le cadre de l’obligation de sécurité et de protection de la santé du salarié prévue par l’article L4121-1 et suivants du Code du travail, l’employeur doit s’assurer préalablement à la mise en place du télétravail de la conformité du lieu de travail et notamment de ses installations électriques ce qui suppose qu’il ait connaissance de ce lieu.

© Shutterstock – Girts Ragelis

Ainsi, tout salarié qui exercerait en télétravail en dehors de son domicile devrait en informer au préalable l’employeur et obtenir son autorisation. S’il a omis de le faire, pourrait-il être sanctionné ? La position des juges dépendra sûrement du cas par cas (qualité de la connexion, assurance du lieu, conditions propices à la concentration). Par ailleurs l’employeur est censé contrôler la conformité des installations électriques et techniques de ce lieu et qu’il ne présente pas de risques pour la santé du salarié. Evidemment ce contrôle sera impossible dans un certain nombre de cas. Il peut donc être conseillé à l’employeur pour éviter cette difficulté de demander au salarié de lui fournir une attestation sur l’honneur de conformité des installations électriques et techniques après l’avoir informé sur les risques encourus en cas d’installation non conforme. Attention à la responsabilité de l’employeur en cas d’incident électrique dans le lieu de travail occupé par le salarié et alors qu’il ne serait pas assuré par un quelconque moyen de la conformité des installations électriques !

Pendant cette exécution du travail en télétravail, en dehors de son domicile, le salarié est néanmoins tenu de garantir des conditions d’exécution normale du contrat de travail comme une connexion Internet qui fonctionne. Comment serait considérée une situation où le salarié ne peut plus exécuter ses tâches en raison d’une coupure électrique ou d’une panne de matériel ?

Le salarié est tenu de garantir des conditions d’exécution normale du contrat de travail

Il sera nécessaire de trouver un arrangement entre l’employeur et le salarié sur le traitement de cette période de non-exécution du télétravail en raison d’une cause accidentelle qui ne relève pas du fait de l’employeur. Enfin, le salarié devra en informer l’employeur de manière précise.

La santé et la sécurité du télétravailleur

Il est nécessaire de rappeler qu’est considéré comme un accident du travail tout accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit pour un employeur. (Article L411-1 du Code de la Sécu- rité Sociale). Ainsi, l’accident survenu sur le lieu où s’exerce le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle (que ce soit le domicile où un autre lieu quelconque) est présumé être un accident du travail. Cette définition n’est pas sans poser problème concernant les accidents du travail dont la reconnaissance va la plupart du temps reposer sur la seule version et le seul témoignage du salarié ou éventuellement quelques autres membres de sa famille. En effet, dans un certain nombre de circonstances, il sera possible de supposer que si l’accident s’est produit, c’est que le salarié a interrompu sa mission et qu’il prenait une pause (chute dans l’escalier, glissade, brulure lors d’un repas, etc …).

L’employeur a l’obligation de prendre toutes les mesures de prévention adaptées pour rompre l’isolement du télétravailleur

Il est certain également que le télétravailleur se trouve en situation d’isolement et que l’employeur a l’obligation au titre de son obligation de sécurité de prendre toutes les mesures de prévention adaptées pour rompre cet isolement en maintenant au maximum le lien avec l’équipe en l’autorisant éventuellement à revenir ponctuellement sur le lieu de travail, en prenant régulièrement de ses nouvelles, etc. Au vu de la durée des périodes imposées en télétravail depuis un an, de l’improvisation initiale de ce mode d’exercice et du travail qui s’est en plus accompagné de mesures de confinement et de couvre-feu complémentaires limitant les contacts sociaux, même en dehors des plages de travail, de nombreux salariés risquent de développer des dépressions ou des risques psychosociaux dus à cette situation.

© Shutterstock – Dragana Gordic

L’employeur subit également cette situation, il n’en reste pas moins qu’il lui appartiendra d’imaginer des mesures pour améliorer la situation psychologique de ses salariés. Il sera notamment obligatoire de retranscrire le risque d’isolement lié au télétravail dans le document d’évaluation des risques obligatoire pour toute entreprise quelle que soit sa taille. Il est nécessaire de rappeler que l’absence de mise à jour de ce document peut caractériser une faute inexcusable de l’employeur en cas d’accident du travail.

Efficience et contrôle de la qualité du travail du salarié :

Dans certains cas, le télétravail implique une efficacité moindre en raison du travail à distance ou de l’absence d’utilisation de certains équipements que le salarié n’aurait pas à son domicile. En cas de non-atteinte d’objectifs formalisés ou même sans que le salarié ne soit soumis à des objectifs, si l’employeur souhaite lui reprocher une insuffisance de travail, voire le licencier pour ce motif, il s’expose à des risques de remise en cause du bien-fondé du licenciement.

Par ailleurs, en ce qui concerne le premier confinement pendant lequel les salariés étaient censés télétravailler en gardant leurs enfants y compris en bas âge et même s’ils devaient être moins efficaces, il est certain que ces périodes pourront être difficilement prises en compte par l’employeur pour démontrer l’inefficacité du salarié. D’autant plus que la doctrine de l’Administration a changé lors du troisième confinement. Désormais il est officiellement reconnu que les parents ayant des enfants en bas âge peuvent bénéficier de l’activité partielle s’ils le demandent, car ils ne pourraient pas télétravailler en raison de l’âge de leurs enfants et pas simplement en raison des tâches qu’ils auraient à accomplir.

Comment l’employeur peut-il contrôler le travail du salarié à distance ?

Au titre de son pouvoir de direction, l’employeur peut donner des instructions au salarié en télétravail et en surveiller l’exécution. Par ailleurs, la CNIL, dans une circulaire en date du 12 novembre 2020, a précisé qu’aucun dispositif de contrôle ne doit conduire à une surveillance constante et permanente de l’activité du salarié. Elle a ainsi retenu qu’il est impossible d’imposer :

  • La surveillance constante aux moyens de dispositifs vidéo tel qu’une webcam ou audio ;
  • Le partage permanent de l’écran ;
  • Ou l’utilisation de keyloggers qui permettent d’enregistrer à distance toutes les actions accomplies sur l’ordinateur ;
  • L’obligation pour le salarié d’effectuer très régulièrement des actions comme démontrer sa présence derrière son écran, comme cliquer toutes les « X » minutes sur une application ou prendre des photos à intervalle régulier.

Les solutions qui sont recommandées par la CNIL pour contrôler le travail du salarié sont en revanche la fixation d’objectifs selon une période donnée et le contrôle de leur réalisation ainsi que le compte rendu régulier du salarié sur les actions mises en place. Par ailleurs, l’employeur qui aurait imposé à un salarié d’activer sa caméra pendant une réunion en visioconférence peut se voir reprocher une atteinte au respect et aux droits de la vie privée du salarié ainsi que des autres personnes présentes à son domicile à ce moment-là. Des actions totalement inédites pourraient donc arriver devant la CNIL ou devant les juridictions contentieuses.

Confidentialité et RGPD

Le salarié en télétravail reste assujetti le cas échéant, selon ses fonctions à une obligation de confidentialité qu’il se doit de respecter vis-à-vis des membres de sa famille. Comment les obligations de l’entreprise sur le traitement des données personnelles issues du RGPD pourront-elles être respectées dans ces conditions ? Il serait plus opportun dans ce cadre-là que le salarié utilise uniquement des équipements professionnels, dont l’employeur pourra garantir la protection informatique. Le plus prudent est aussi de limiter la sortie de dossiers papier de l’entreprise dont la conservation au domicile du salarié ne pourra sûrement pas respecter les contraintes du RGPD.

Les solutions recommandées par la CNIL pour contrôler le travail du salarié sont la fixation d’objectifs sur une période donnée

Temps de travail et droit à déconnexion

L’employeur reste responsable du contrôle de la durée du travail des salariés en télétravail, ce qui sera toujours plus délicat à distance. L’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 invite d’ailleurs l’employeur à former salariés et managers sur les questions relatives au temps de travail, à la régulation de la charge de travail, à l’organisation et au séquençage des journées (prise de pause, planning, etc) et au droit à la déconnexion.

La prise en charge des frais liés au télétravail :

De nombreux salariés ont et exercent aujourd’hui en télétravail sans qu’ils fassent l’objet d’un quelconque remboursement de frais liés à l’exercice du télétravail notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et maintenance de ceux-ci. L’article 3.1.5 de l’accord national interprofessionnel sur le télétravail du 26 novembre 2020 s’appliquant également en situation de télétravail, en cas de circonstances exceptionnelles ou en cas de force majeure précise le principe selon lesquels les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur et que ce principe s’applique à l’ensemble des situations de travail. L’entreprise doit donc prendre en charge ces dépenses après validation de l’employeur. Cette prise en charge peut être effectuée au réel et justifiée par des documents et des factures ou consister à une allocation forfaitaire qui sera présumée avoir été utilisée de manière conforme si elle ne dépasse pas le plafond fixé par l’URSSAF. Depuis le 1er avril 2021, lorsque l’employeur ne peut pas justifier la réalité des dépenses professionnelles supportées par le télétravailleur et que les frais engagés sont justifiés par une raison professionnelle, ceux-ci peuvent être remboursés sur la base d’une allocation forfaitaire ne pouvant excéder 50 euros par mois (bulletin officiel de sécurité sociale).

Les contentieux liés à l’égalité de traitement :

L’Administration a clairement considéré que les salariés en télétravail doivent bénéficier de tickets restaurants de la même manière que les salariés présents sur leur lieu de travail. (Questions/réponses ministérielles du 25 mars 2021). Cette position reprend elle-même la position exprimée par les URSSAF sur le site Internet du 8 septembre 2015. Cependant, il existe un débat devant les juridictions à ce sujet. En effet, par un jugement, le 10 mars 2021, le Tribunal Judiciaire de Nanterre a jugé que les travailleurs à domicile ne sont pas dans une situation comparable à celle des travailleurs sur site et qu’ils n’ont pas droit, comme ces derniers, aux titres restaurants (Trib. Jud. Nanterre – 10 Mars 2021 – n° 20/09616).

En revanche, le Tribunal Judiciaire de Paris vient de juger lui que les télétravailleurs ont bien droit aux tickets restaurants pour chaque jour travaillé durant lequel le repas est compris dans l’horaire de travail journalier (Trib. Judiciaire de Paris – 30 Mars 2021 – n° 20/09805).

Dans l’attente que ces contentieux soient jugés par les Cours d’Appels et surtout par la Cour de Cassation et au vu des positions de l’URSSAF et de l’Administration, il est plus prudent d’accorder les tickets restaurants aux salariés à domicile et évidemment de les faire bénéficier également de tous les autres avantages dont bénéficient les salariés présents sur le lieu de travail dès lors que leurs situations peuvent être considérées comme comparables à celles des télétravailleurs.

Au vu du recours massif du télétravail parfois mal vécu par des salariés à bout psychologiquement, il est probable que dans les futurs contentieux sur la rupture ou l’exécution du contrat de travail, les salariés ne manqueront pas de demander des compensations liées aux modalités d’exécution du télétravail.

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