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[ Vin ] Pascal Chatonnet : « On part de loin mais on avance ! »

Pascal Chatonnet, emblématique œnologue conseil, cofondateur du Laboratoire Excell, vigneron et gérant des vignobles Chatonnet, a lui aussi entrepris une conversion vers le bio. Résolument engagé dans la réflexion sur la transition environnementale, il nous donne son avis sur l’évolution du vignoble bordelais.

Pascal Chatonnet photographié au Château Haut Chaigneau-Lalande de Pomerol - Gironde © D. R.

Échos Judiciaires Girondins : Y a-t-il une réelle amélioration du vignoble bordelais dans l’utilisation des pesticides ?

Pascal Chatonnet : « Oui elle est réelle, on a bien évolué en 10 ans. Mais Bordeaux est une cible facile, fortement attaquée, et elle se défend mal. Ça a fait les choux gras de la presse non spécialiste. Il y a différentes initiatives : l’interprofession (le CIVB ndlr) a essayé d’initier un système d’amélioration de l’impact environnemental, le HVE, avec à la clé une certification HVE qui s’est attirée les foudres des bio qui estiment que c’est une tentative d’usurpation de leur démarche. Et il y a un peu de vrai… moi je suis pro HVE, car j’estime que c’est une étape dans l’évolution de la viticulture vers le bio en général, et à Bordeaux en particulier. Ce n’est pas antagoniste, c’est vraiment une étape. Et même ceux qui sont qui sont passés en bio peuvent rester adhérents au HVE parce que dans ce système de gestion, il y a des choses qui vont au-delà des exigences du bio. Ce n’est pas antagoniste, mais complémentaire. Le problème c’est que l’interprofession l’a mis en compétition avec le bio en laissant penser qu’on pouvait faire aussi bien en étant HVE sans être bio. »

 

EJG : Et ça, vous considérez que c’est faux…

Pascal Chatonnet : « C’est faux. La HVE autorise des pratiques qui ne sont pas durables. Chacun campe sur ses positions, ce qui crée de la polémique, et c’est néfaste. En HVE, il y a un autre problème, il y a ceux qui sont sérieux, qui font vraiment leur démarche très stricte, et parallèlement, il y a un circuit parallèle qui crée une confusion. Ils se revendiquent alors d’une certification HVE alors qu’ils n’ont pas fait le dixième du travail. C’est très dangereux pour la certification HVE et pour le Bordelais. »

 

EJG : C’est quoi, ce circuit parallèle ?

Pascal Chatonnet : « Il y a plusieurs niveaux dans la HVE, ce qui est idiot. Certains sont très faciles à atteindre, et cela permet à certains de se revendiquer de cette certification, ce qui est une usurpation. La HVE est une démarche qui doit être certifiée par des tiers et non engagée par des gens qui sont payés pour vous certifier. Ça doit servir, pas forcément à la conversion bio, personne n’est engagé à ça, mais ça doit permettre au viticulteur d’apprécier son système de gestion, de voir s’il est durable ou pas, et certaines pratiques autorisées dans le HVE ne sont pas durables. Je ne vois pas pourquoi on continue à les autoriser. »

Pascal Chatonnet - Chateau Haut-Chaigneau-Lalande de Pomerol

Pascal Chatonnet – Château Haut-Chaigneau-Lalande de Pomerol © D. R.

 

EJG : Vous dites que le vignoble bordelais se défend mal…

Pascal Chatonnet : « Il a tous les éléments pour se défendre mais ne choisit pas les bons arguments. Le 1er c’est on peut faire aussi bien en faisant du non-bio. C’est une très mauvaise approche, ça remet en cause le bio, ce qui n’a pas lieu d’être, même si ça ne veut pas dire que tout le monde doit être bio. Ensuite, il y a des chiffres publiés dans le milieu interprofessionnel qui ne sont pas correctement utilisés : parler de tonnage de pesticide à l’hectare ça ne veut strictement rien dire. La communication avec les journalistes est aussi désastreuse, quand on les amène dans un vignoble certifié HVE qui utilise du Roundup, c’est nul ! ce n’est qu’alimenter le Bordeaux bashing. Pendant ce temps, les viticulteurs se bougent. Le nombre de conversion au bio, c’est la région qui se bouge le plus, qui cumule le plus d’hectares. On part de loin mais on avance ! »

 

EJG : Le conversion au bio est plus difficile dans notre région ?

Pascal Chatonnet : « C’est évident, avec la façade atlantique, c’est plus difficile que dans la vallée du Rhône, en Alsace ou en Bourgogne. Le climat est plus humide, notamment au printemps, et donc plus favorable à des attaques de parasites. Ce qui explique que ce n’est pas la région la plus avancée, mais pourtant celle qui a la dynamique la plus forte. Même si c’est plus compliqué d’un point de vue climatique, il y a des moyens de s’adapter et d’adapter les pratiques de gestion du vignoble. »

 

EJG : Quels sont ces moyens ?

Pascal Chatonnet : « C’est une gestion très prophylactique. Jusqu’à présent le système non bio, c’est surtout une couverture à moyen et long terme avec peu de passages et des produits qui ont une action curative ou semi-curative. Avec l’approche bio, on n’a pas de produits systémiques, mais non permanents, à appliquer de manière préventive. Avec une gestion non bio, on va faire 8 à 10 passages par an, avec une approche bio, on en fait le double. Il faut être beaucoup plus présent dans son vignoble, avec tous les inconvénients que cela induit ; on utilise des produits plus facilement lessivables par les pluies. Cela demande plus de travail, plus de présence et plus de pertinence dans l’application. En bio, on utilise le souffre et le cuivre pour combattre l’oïdium et surtout le mildiou. On dit que le cuivre est limité par hectare et par an, et que ces doses ne sont pas capables de protéger le vignoble, c’est faux. L’efficacité du cuivre n’est pas apportée par la dose mais par la fréquence. Le mildiou est un champignon, évolution d’une algue qui a besoin d’eau. Il faut donc gérer les pulvérisations en fonction des précipitations. On peut se protéger efficacement avec 1,5 à 2 kg de cuivre par hectare et par an. »

HVE ou bio, ce n’est pas antagoniste, mais complémentaire

Le Château Dubraud

Le Château Dubraud © D. R.

 

EJG : Toutes les exploitations sont-elles concernées par le passage au bio ?

Pascal Chatonnet : « Oui toutes, même si les Premiers Crus communiquent davantage. Ils n’ont pas été moteurs, plutôt suiveurs. Mais quand vous avez des Premiers Crus qui font la promotion de leur conversion, ça tire des wagons. Mais aucun d’entre eux n’a été précurseur. Ça dynamise juste le mouvement ! »

La conversion au bio dans notre région est plus difficile que dans la vallée du Rhône, en Alsace ou en Bourgogne car notre climat est plus humide

LES BIENFAITS DE L’AGROFORESTERIE

Et de 1 000 ! Objectif crowdfunding atteint pour le Château Dubraud qui a lancé une campagne de financement participatif pour la plantation de 1 000 arbres et arbustes. 18 essences différentes ont ainsi été plantées, et une mare a été créée. Ce projet ambitieux s’inscrit dans une démarche globale initiée dès 2014, au sein de ce vignoble qui a obtenu la certification HVE.

Au milieu des rangs de vigne, peupliers et saules apportent de l’ombre en été et de l’humus fertilisant des sols en hiver. Une manière de rendre les sols perméables et de stocker l’eau. Des haies d’arbres champêtres redynamisent la biodiversité, régularisent les flux d’eau et de vent, et offrent refuge aux oiseaux comme aux chauve-souris, régulant ainsi les parasites. Enfin la mare devient lieu de ressource pour les oiseaux et accueille une vie aquatique, dont des rainettes. « Vivifier le sol, le rendre plus vivant est essentiel. C’est notre terroir, notre capital », remarque Alain Vidal, propriétaire du Château Dubraud, qui précise par ailleurs : « Nous allons nous inspirer du modèle vertueux de la forêt et l’appliquer à la vigne, pour produire des vins encore plus aromatiques, obtenir une vigne en meilleure santé sans intrant, et être en harmonie avec la nature ». Aujourd’hui, l’agroforesterie permet de repenser les pratiques agronomiques : planter des arbres pour multiplier l’activité biologique du sol, la maîtrise des parasites, la ressource en eau, le confort climatique, le stockage du carbone, tout en valorisant le paysage.

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