Une exposition à l’occasion du mois de la photographie à Bordeaux sans photo dans le dossier de presse, ce n’est pas anodin. Et pour cause, avec « Détenues », Bettina Rheims pose un regard sur une soixantaine de femmes en prison. À la demande de Robert Badinter, l’artiste avait réalisé cette série en 2014. « Elles ont été prises il y a 10 ans, beaucoup sont sorties, elles ont le droit à la réinsertion », a déclaré la photographe, demandant aux visiteurs de ne pas diffuser de portraits sur les réseaux sociaux. Cette exposition, hors les murs, a été organisée Cour Mably par le MADD (Musée des Arts Décoratifs et du Design) actuellement fermé pour travaux.
Briser l’uniformité
C’est l’ancien garde des Sceaux qui avait sollicité la photographe pour réaliser cette série lui expliquant l’extrême précarité dans laquelle vivaient la plupart de ces femmes. « Grâce à Bettina Rheims, les détenues sont devenues des femmes », écrivait-il dans la préface de l’ouvrage tiré de l’exposition (Gallimard). « Chacune a retrouvé sa singularité et brisé l’uniformité dans laquelle la vie carcérale les plonge. Sous son regard, ces prisonnières se révèlent comme des êtres singuliers, uniques… ». Lorsque la portraitiste rencontre Isabelle Gorce, qui était alors la présidente de l’administration pénitentiaire (et qui est maintenant présidente de la cour d’appel de Bordeaux), elle lui donne son accord pour le projet. Mais les dossiers sont examinés par le juge d’application des peines et une vingtaine sont refusés : « pour faits de terrorisme ou d’éléments perturbateurs », commente la photographe.
Quatre prisons françaises
Elles sont donc une soixantaine, issues de quatre prisons françaises, à accepter de participer au projet, « Je n’ai jamais eu autant l’impression d’être utile en quarante ans de carrière », a commenté Bettina Rheims. Ces femmes, parfois très jeunes, ou matures, à l’allure punk ou chic, parfois souriantes, méfiantes ou en larmes, prennent la pose.
« Je l’ai vraiment conçu comme un moment qu’on leur consacrait. On les maquillait, les coiffait, les photographiait. C’était un moment pour elle, une journée pour s’évader de leur quotidien. » Car toutes ces femmes purgeaient de longues peines de prison.
Raconter une histoire
Sur fond neutre, leur regard, leurs vêtements et bijoux, leurs mains, et éventuelles cicatrices, semblent nous raconter une histoire. « Beaucoup m’ont spontanément raconté leur passé », continue Bettina Rheims, même s’il a fallu surmonter les réticences de certaines. L’équipe a décidé de conserver des fragments non identifiables mis en exergue dans des citations anonymes. Enfance saccagée, conjoint violent, drogue ou alcool sont autant de thèmes récurrents. L’une d’entre elles précise « Les détenues qui font les photos, c’est toujours pour quelqu’un. Pour leur enfant, pour leur mari, pour leur famille ».
Chacune son espace
La scénographie a été conçue avec un architecte. Dans la salle capitulaire de la cour Mably, avec son classicisme caractéristique, des étagères industrielles en inox, créant des niches, accueillent les portraits en grand format. « Ça marche partout, remarque Bettina Rheims, chacune a son espace. » Pour rester au plus près de la réalité elle a choisi la couleur alors qu’elle leur a envoyé le portrait en noir et blanc : « Je ne voulais pas m’éloigner de la lumière, de la peau qui est tellement importante dans mes sujets. »
Vanessa Feuillatte
Le lancement de l’exposition a été précédé d’une rencontre entre Bettina Rheims, Isabelle Gorce, première présidente de la cour d’appel, Vanessa Feuillatte, première danseuse à l’Opéra national de Bordeaux, et Nancy Traoré, surveillante au quartier réservé aux femmes du centre pénitentiaire de Gradignan autour du thème : « Ce n’est pas la prison qui fait sens, c’est ce qu’on y fait ». « Ces femmes méritent qu’on les découvre et qu’on les oublie », a conclu l’artiste.
Je n’ai jamais eu autant l’impression d’être utile en quarante ans de carrière