Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Vignes de plaine ou d’altitude ?

CHRONIQUE - Nous sommes entrés dans l’ère de qui aura l’idée la plus originale de vieillissement des vins. On stocke au fond des océans, aux sommets des montagnes, même en orbite autour de la terre pour Château Petrus. À chaque fois, l’objectif est clair : observer si les vins évolueront favorablement sous ces conditions particulières. On parle ici de vieillissement, mais qu’en est-il des vins élaborés à partir de vignes plantées en altitude ? Nous avons organisé récemment une dégustation qui mettait face à face un même vin issu de vignes plantées en plaine et un vin issu de vignes à un minimum de 400 mètres d’altitude. Voici nos observations.

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En altitude, les raisins sont plus exposés aux rayons ultraviolets, modifiant leur photosynthèse. Le résultat est la production de raisins plus riches en polyphénols et en sucre, donc potentiellement plus riches en alcool et en couleur.

En montagne, la température baisse de 0,6 °C tous les 100 mètres. Et l’amplitude quotidienne de températures, avec des nuits fraîches, favorise une maturation lente des raisins et des acidités préservées.

Les grands malbecs argentins

Sur ce point précis, il est intéressant de s’arrêter sur le cas du domaine Catena Zapata en Argentine. Ce domaine, largement reconnu à travers le monde pour ses vins d’exception, a propulsé la réputation et la qualité des malbecs argentins dans les années quatre-vingt, grâce à la finesse et l’équilibre de ses vins d’altitude. Nicolas fut pris au départ pour un fou : « Jamais le raisin atteindra sa maturité à une telle altitude », lui avait-on prédit. Aujourd’hui les plus grands malbecs argentins sont tous issus de vignes plantées au-delà de 1 200 mètres d’altitude.

À cette hauteur, la pression atmosphérique est aussi moindre. Le taux d’humidité est aussi plus faible, or la vigne déteste l’excès d’eau, si le but est de produire des raisins de qualité supérieure.

Un vieillissement plus rapide

« Si aucun résultat scientifique n’a pour le moment prouvé cette affirmation, beaucoup d’œnologues s’accordent à dire que cet environnement géothermique particulier a un impact positif sur la production viticole. Les vins d’altitude vieilliraient mieux et (évolueraient) plus rapidement que les vins de plaine et seraient plus denses et plus équilibrés… En deux ou trois ans de maturation, un vin d’attitude peut ainsi acquérir une famille aromatique, qu’un vin de plaine n’aurait pu atteindre qu’en vieillissant plus d’une dizaine d’années en bouteilles » (source : agence bolivienne du vin).

Les vins d’altitude seraient plus denses et plus équilibrés

La Revue du Vin de France enfonce le clou : « C’est connu : les vins de montagne sont plus frais, digestes, avec des tanins plus souples ».

Un dernier aspect joue aussi. À une telle hauteur, la vigne est souvent la seule forme de culture. Elle est de fait moins soumise aux pollutions en provenance d’autres cultures intensives. Les maladies de la vigne se font donc plus rares, nécessitant de fait moins de traitements.

Des gelées redoutées

Mais la médaille a son revers : des gelées redoutées, certaines maturités tardives qui imposent d’aller chercher la matière en repoussant les dates de récolte. « Sur les hauteurs, la fraîcheur est naturelle, mais c’est une viticulture sur le fil où l’on peut vite basculer en sous-maturité avec des vins à 12 degrés », admet Julien Zernott (au domaine du Pas de l’Escalette dans l’Hérault).

Si l’altitude est un avantage dans le contexte du changement climatique, elle ne fait donc pas tout : « Il y a des dizaines de paramètres à maîtriser, insiste Olivier Jullien (du domaine éponyme en Languedoc). Sur un terroir calcaire à Jonquières, à 100 mètres, j’aurai des acidités plus hautes qu’à 300 mètres sur un schiste. En bas, je cherche les fraîcheurs de profondeur, la complexité des vins qui puisent leur densité et leur matière fluide dans les grands terroirs. Sur les hauteurs, pour ma cuvée Les Rougeos, avec des raisins récoltés entre 350 et 420 mètres, je cherche les fraîcheurs d’altitude, un vin d’un accès plus immédiat. Dans les deux cas, la grande quête vigneronne, c’est l’équilibre » (Extrait RVF – cahier spécial : les vins d’altitude du Languedoc mêlent sud et fraîcheur).

Des pinots noirs languedociens

Nous commençons notre dégustation comparative autour de deux pinots noirs languedociens. La confrontation risque d’être intéressante car le pinot noir craint les chaleurs excessives, faisant « pommader » son aromatique et déséquilibrant le vin. Il sera donc mis à rude épreuve sous le soleil méditerranéen. La cuvée « Vol au-dessus d’un Nid de Pinot noir » 2021 de la cave Saint-Maurice est une microproduction de 2 000 bouteilles, issues de vignes en plaine. Le vin offre une légère acidité, le cœur de bouche est plein, sur des arômes légèrement confiturés. La longueur est modérée, délivrant un vin plutôt « démonstratif ».

En face, le pinot noir 2021 du domaine Mouscaillo provient du terroir de Limoux, à une altitude de 420 mètres. L’appellation est connue pour produire des vins de qualité issus des cépages bourguignons, à la fraîcheur prononcée. Le vin offre un profil moins accessible que le premier vin avec des tanins plus durs, une acidité plus marquée et une aromatique moins prononcée. Pour cette première confrontation, la règle se discute : le vin d’altitude offre une fraîcheur supérieure, garant d’un meilleur potentiel de garde mais ses tanins sont plus saillants, requérant quelques années avant d’apprécier la bouteille.

Des assemblages rhodaniens

Deuxième comparatif avec deux assemblages rhodaniens. Nous dégustons d’abord la cuvée « Galets rouges » 2022 du Château Mourgues du Grès en Costières de Nîmes. Le vin offre des tanins bien intégrés, une belle pureté de fruits avec de légères notes d’épices. Le vin se livre facilement avec une acidité modérée qui annonce une garde de trois ou quatre ans. L’ensemble est logique, la bouteille ayant été vinifiée dans le but d’être accessible dès l’origine. Il séduit les participants.

En face, la cuvée rouge du Mas Lasta, aux confins de l’appellation Terrasse du Larzac, à 400 mètres d’altitude. Bénéficiant en plus des courants froids qui descendent des Cévennes, le vin d’Anne-Laure Sicard offre un cœur de bouche d’une belle richesse et d’un bel équilibre entre alcool, acidité et tanins. Moins « primesautier » que « Galets rouges », cette cuvée montre une plus grande fraîcheur et « buvabilité ».

Des vins siciliens

Pour le dernier match s’alignent face à face deux vins siciliens issus majoritairement du cépage nerello mascalese. La cuvée Il Passo 2020 de chez Vigneti Zabu surprend par sa fraîcheur finale pour un vin gorgé du soleil sicilien. C’est aussi une véritable « bombe fruitée » sur des notes de gelée de cassis.

C’est aussi une véritable « bombe fruitée » sur des notes de gelée de cassis

Pour « expérimenter » un nerello mascalese d’altitude, nous dégustons la cuvée I Vigneri de chez Salvo Foti, issue de vignes plantées sur les flancs de l’Etna entre 400 et 1 000 mètres d’altitude. Le vin délivre des tanins de grande qualité, plus incisifs que pour le premier vin mais d’une finesse supérieure. L’acidité est encore plus forte sans être désagréable. Du coup la sensation d’alcool est mieux contrôlée. Le vin est déjà agréable à déguster mais offre un beau potentiel de garde.

Match nul

Si l’on devait dégager quelques conclusions de cette dégustation, c’est en premier lieu que les dégustateurs n’ont pas d’avis tranchés en faveur d’un camp ou l’autre. En général, les vins issus de plaine s’offraient plus facilement, de par leur richesse aromatique, leurs sensations acides plus modérées. Ils s’offrent vite avec pour contrepartie un potentiel de garde moins favorable que pour les vins d’altitude.

Ces derniers délivrent des aromatiques plus fines et des équilibres supérieurs mais qui requièrent un peu plus de patience. Il n’a pas été relevé en revanche que les vins d’altitude offraient des tanins plus souples et une accélération de l’évolution aromatique.

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