Couverture du journal du 02/10/2024 Le nouveau magazine

Vin : Bordeaux casse les codes

Casser les codes, jouer sur les couleurs, oser les sans-soufre, les effervescents, proposer de nouveaux cépages, de nouveaux goûts et de nouveaux packagings. Pour contrer la morosité qui plane sur le vignoble bordelais en crise, une génération de nouveaux vignerons s’affirme. Mission : dépoussiérer l’image des vins de Bordeaux !

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Thomas et Édouard Le Grix de La Salle du château Grand Verdus © Gilbert Bages @drinkinmoderatio

Un souffle de renouveau anime le Bordelais. Le bordeaux rouge, qui a longtemps porté haut ses lettres de noblesse, plaît moins. Le constat est amer mais une nouvelle génération de vignerons sait se renouveler. Blancs, rosés, effervescents, originalité des cépages et des goûts, la créativité est de mise.

MÉDOC BLANC

Si le rouge constitue toujours la plus grosse partie de la production (85 %) beaucoup de propriétés ont diversifié leur offre en proposant d’autres couleurs. 42 millions de bouteilles de blanc sec ont ainsi été commercialisées en 2022 (55 % pour le marché français, 45 % à l’export) et 21 millions de bouteilles de rosé (80 % en France, 20 % à l’export). « Même dans le Médoc de plus en plus de propriétés se mettent à produire une cuvée en blanc », souligne Sara Briot-Lesage du conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB). « Une demande d’AOC a même été faite pour reconnaître le Médoc blanc. » Si les blancs secs enregistrent une hausse de 6 % en 2022, les rosés ont diminué de 11 %. « C’est une production très dépendante des conditions climatiques, explique- t-elle, beaucoup de châteaux privilégient encore les rouges. »

ROSÉ PÂLE

Les rosés de Provence à la robe plus claire et aux cépages originaux remportent tous les suffrages. Fort de cette constatation, le château Trianon, propriété de Dominique Hébrard (ex-Cheval Blanc) commercialise, sous sa marque Pavillon de Trianon, un côtes-de-provence. « Pour toucher un plus large public », expose son fils Timothée Hébrard, « nous avons lancé la gamme Pavillon de Trianon, qui compte un rouge (2019) un blanc (2020) et un rosé (2021). Pour ce dernier, nous avons fait un énorme travail de sourcing avec notre consultant Nicolas Chain, ce qui nous a permis de trouver les meilleurs terroirs, sur le golfe de Saint-Tropez, et les meilleurs assemblages. »

De son côté, lorsque Stéphane Defraine, propriétaire du château de Fontenille dans l’Entre-deux-Mers a lancé Belle Rosée, son rosé à la robe très pâle il y a une dizaine d’années, il a été coincé avec le syndicat des vins de Bordeaux : « ça ne correspondait pas à ce qu’ils attendaient ! ».

Même dans le Médoc de plus en plus de propriétés se mettent à produire une cuvée en blanc

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© STUDIO TONELLI

PRÉCIEUX SÉMILLON

S’adapter aux goûts du consommateur est un défi également du Sauternais, avec une baisse d’intérêt pour les liquoreux. Ainsi, plusieurs propriétés, y compris de grands crus classés, développent depuis plusieurs années une seconde gamme de blancs secs. Pour ces cuvées, les noms se font plus originaux comme Lions de Château Suduiraut, Asphodèle de Château Climens, Opalie du Château Coutet ou encore le G de Guiraud. « On ne casse pas les codes, car nous restons très ancrés dans une histoire familiale », remarque Laurence de Lambert Compeyrot, propriétaire du château Sigalas Rabaud, 1er grand cru classé de Sauternes en 1855, « mais on essaie de nouvelles propositions en adéquation avec notre ADN. »

Ainsi, après sa Demoiselle lancée en 2009, blanc sec en assemblage, elle a ensuite proposé la Sémillante, 100 % sémillon. « C’est un très beau cépage, qui a une identité unique. On travaille sur ses différentes expressions, et là on arrive enfin à maturité. » Dans ce cheminement, est arrivé ensuite le S sans souffre : « Techniquement on pouvait le faire. La dernière étape était le sparkling qui vient d’être mis en bouteille et qui demande un long processus ». Ce dernier né du château est en cours de commercialisation sous le nom de Marquise de Sigalas, un effervescent élevé dans les barriques de Sauternes.

Bordeaux souffre de cette image un peu poussiéreuse

DES CUVÉES ORIGINALES

Pour toucher un public plus large et plus jeune, des propriétés développent une deuxième cuvée, en plus de la traditionnelle ou prestige. « Il faut se renouveler », indique Édouard Le Grix de la Salle, propriétaire avec son frère Thomas du château Le Grand Verdus à Sadirac, dans l’Entre-deux-Mers.

« Bordeaux souffre de cette image un peu poussiéreuse. Personne ne nous attend avec notre appellation contrairement à un Pauillac, il faut innover, proposer des produits originaux. » Ainsi le Grand Verdus a développé plusieurs gammes en plus de leurs cuvées classiques : les originales, les divergentes, les parcellaires, les petites bulles… « C’est une autre approche du vin, on casse les codes », souligne Édouard Le Grix de la Salle.

Une démarche similaire est initiée au château Thieuley, dans l’Entre-deux-Mers, par les sœurs Sylvie et Marie Courselle. « Le château Thieuley est très rattaché à l’image de notre père », souligne Sylvie Courselle. « En développant d’autres produits, comme la cuvée des 2 sœurs, on véhicule une autre marque, celle des vigneronnes épicuriennes ». D’appellation « vin de France » ces vins, souvent rouges mais pas seulement, se démarquent des vins de Bordeaux, par leur goût et le choix des cépages.

Le rouge du futur sera bio, contiendra moins d’alcool, moins d’amertume et il sera fruité et rafraîchissant

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Paul et Marilène Garcin, propriétaires du château Haut-Bergey © Olivier Roux

DES VINS GLOUGLOUS

« On avait ce reproche de faire des vins boisés, très taniques. On a décidé de remettre le fruit au centre de la bouteille », intervient Sylvie Courselle. « Notre première cuvée Les Copains date de 2015, c’est un vin glouglou, un vin de bistrot, à boire dans les 2 ans. Il y a moins de finesse, de complexité et de structure que dans un bordeaux traditionnel. C’est un vin plus facile à boire, qui plaît davantage à un jeune public. »

« Je pense que le rouge du futur reposera sur 4 piliers », renchérit Stéphane Defraine du château de Fontenille. « Il sera bio, contiendra moins d’alcool, moins d’amertume (ce qui veut dire éliminer les pépins) et il sera fruité et rafraîchissant. » Lui-même a lancé Rubis Cub, « un rouge aux accents de blanc ». « Il se boit facilement et est très rafraichissant », continue-t-il. Paul Garcin, propriétaire du château Haut-Bergey à Pessac-Léognan, a fait le choix lui de lancer la cuvée Paul, « loin des standards bordelais », précise-t-il.

« Il y a deux raisons : on voulait retrouver le plaisir qu’on a avec d’autres vins, en lien avec mes origines du Rhône, de boire un vin juteux et plaisant, élégant et fin à la vinification plus douce, élevé en cuve inox. L’autre idée, c’était de réintroduire ce vin de Bordeaux dans la restauration, de convaincre les sommeliers et ça a très bien marché. »

CÉPAGES ORIGINAUX

Le choix de se démarquer des accents bordelais s’exprime souvent par le choix d’autres cépages que les traditionnels bordelais (merlot, cabernet-franc, cabernet-sauvignon, sauvignon, sémillon). Certains cépages oubliés reviennent en force depuis quelques années à l’image du petit verdot, qui bénéficie (paradoxalement) du changement climatique. Dès 2006, les sœurs Courselle ont commencé à planter du syrah et du chardonnay : « on avait beaucoup voyagé et découvert ces autres cépages et puis on pensait déjà au réchauffement climatique », exprime Sylvie Courselle.

C’est par l’intermédiaire de sa fille Macha (la winemakeuse) que Stéphane Defraine s’est intéressé à d’autres cépages : « Elle m’a dit que tant qu’à replanter, autant choisir des vignes plus anciennes de notre terroir telles que le petit verdot, le malbec, le castets. »

Au château Carsin (Cadillac) racheté par la famille finlandaise Berglund, le vigneron cultive lui aussi des cépages historiques bordelais, tels que le sauvignon gris, le malbec et le carménère, qui reviennent en force dans le Bordelais en quête d’autres goûts.

Au Grand Verdus, les frères Le Grix de la Salle ont choisi, eux, de planter du syrah en 2017 « sur un terrain en pente plein sud » et du chenin blanc sur une parcelle à 2 versants. « Côté nord, l’expression très fraîche servira pour les Petites Bulles, et côté sud pour un vin blanc », indique Édouard.

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Marie et Sylvie Courselle © Guillaume Bonnaud

LA VOGUE DES EFFERVESCENTS

Des bulles qui correspondent justement aux envies actuelles des consommateurs. « Les effervescents sont très tendances et rencontrent un vif succès », reconnaît Sara Briot-Lesage du CIVB. Deux sortes sont produites en Gironde : les crémants de Bordeaux qui concernent environ 250 propriétés : « 99 % produisent plusieurs couleurs », remarque-t-elle. Les crémants (blancs et rosés) ont connu une progression de 288 % en 10 ans. Avec 8 millions de bouteilles, l’année 2021 a connu une augmentation de 78 %. L’autre grande tendance des effervescents est celle des pet nat (abréviation de pétillant naturel, NDLR), des vins naturels pétillants hors appellation. « Les Petites Bulles sont très à la mode, notamment à Paris », confirme Édouard Le Grix de la Salle. « On a une petite production qu’on doit augmenter car on en manque ! » Là encore, la créativité est de mise : « Nous lançons un nouveau rouge pétillant », annonce Sylvie Courselle. « Pétille : c’est un véritable ovni ! ».

BEE FRIENDLY

Pet nat ou sans soufre, les châteaux innovants sont aussi très engagés dans l’agriculture responsable ou bio. Le château Le Grand Verdus en cours de conversion sera bientôt certifié bio : « On était convaincus de ce choix à la fois pour les sols, les ouvriers qui travaillent sur nos terres, nos consommateurs. Avant on était déjà en agriculture raison- née », souligne Édouard Le Grix de la Salle.

Le château de Fontenille, également en conversion, propose Contre-Pied, un pet nat sans intrant, selon la méthode ancestrale, ainsi qu’un cabernet franc sans soufre ajouté : « J’ai fait écrire sur la bouteille « Enfin un Bordelais qui ne me fait pas souffrir », s’amuse Stéphane Defraine. « Avec la certification AB et Biodyvin (depuis 2015), le château Haut-Bergey est la 1re propriété de Pessac-Léognan conduite intégralement en biodynamie », rebondit Paul Garcin, « Ce n’est pas du marketing affirmé mais des convictions profondes. » Le château Thieuley a fait le choix de 3 labels dont Terra Vitis et Bee Friendly « avec des jachères fleuries et sans insecticides pour protéger les abeilles », précise Sylvie Courselle.

CRÉATIVITÉ DÉBRIDÉE

Cette recherche de nouvelles propositions s’accompagne souvent d’une plus grande liberté et créativité en termes d’image. On n’hésite pas à choisir des noms décalés pour les cuvées : La Petite Folie, La Petite Fleur ou La Petite Merlotte au Grand Verdus ; Contre-Pied, Je suis gris ou Rubis Cub au château de Fontenille ; Le Bien Élevé, Temps de Lune ou Sauvage (une nouveauté) au château Thieuley. « Au début, ces cuvées étaient très cloisonnées avec celles de Thieuley mais peu à peu les frontières sont moins étanches », indique Sylvie Courselle.

Les cuvées traditionnelles sont souvent plus réservées à l’export, mais elles reviennent (en petite quantité) chez les cavistes par le biais des décalées. L’une bénéficiant de la notoriété de l’autre ! Côté packaging, là encore tout est moins codifié : le recours à l’esthétique des bouteilles bourguignonnes est fréquent (mais pas systématique). À Thieuley le choix a été fait de choisir une graphiste installée à Montpellier pour « casser les codes », tandis que Stéphane Defraine a choisi des dessins de Sempé pour illustrer ses étiquettes. De ce fait, la communication se fait également plus décalée à l’image du château Haut-Bergey : « On voulait désacraliser la vision d’un château », estime Paul Garcin, « proposer une approche plus rigolote. »

C’était compliqué avec le Bordeaux bashing d’aller vers les cavistes. Mais quand on arrive avec un pétillant, un rosé clair et un bio, les portes s’ouvrent !

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© Gilbert Bages @ drinkinmoderatio

ENTRER CHEZ LES CAVISTES

Avec ces nouvelles cuvées, la cible est différente et a permis aux vignerons de conquérir de nouveaux marchés : « Nous nous sommes tournés vers les cavistes et les bars à vins que nous avions un peu délaissés avec Thieuley », raconte Sylvie Courselle, « cela nous permet de toucher de nouveaux publics. Pour autant la concurrence avec les vins du Rhône ou de Loire est toujours importante. » « C’était compliqué avec le Bordeaux bashing d’aller vers les cavistes », confirme Stéphane Defraine, « mais quand on arrive avec un pétillant, un rosé clair et un bio, les portes s’ouvrent ! »

Le Covid et la volonté de reconquérir un marché plus local ont aussi fait leur œuvre : « On retravaille le marché français », assure Édouard Le Grix de la Salle. « On a créé Bordeaux Canon, on s’est associé avec les châteaux Coutet (Saint-Émilion) et Grand Peyruchet (Loupiac). Avec 23 cuvées à nous trois et un système de facturation et de livraison en commun, on a maintenant des agents dans toutes les régions. »

Changer l’image, retrouver de la visibilité, ces nouveaux vignerons ont tout bon : « Grâce aux nouvelles cuvées, les gens s’intéressent à nous », conclut Édouard Le Grix de la Salle.

CUVÉE DES JEUNES VIGNERONS

Ils sont 18 jeunes vignerons, « 18 Bizuts ». Adhérents de la coopérative de Tutiac, qui compte plus de 500 vignerons, ils ont voulu montrer qu’ils ne se limitaient pas à livrer leur raisin et ont décidé de créer leur propre cuvée. Accompagnés des équipes de Tutiac (œnologue, marketing, commercialisation) ils ont validé chaque étape de la culture aux vendanges, la vinification, mise en bouteille et commercialisation. Assemblage de 4 cépages emblématiques bordelais : merlot, cabernet sauvignon, cabernet-franc et malbec, le vin est riche en fruits et à boire dans sa jeunesse. Une cuvée qui illustre bien leur ambition écrite sur l’étiquette : « Un vin de copains, un vin franc, un vin libre ! ».

LA PRODUCTION DU VIGNOBLE EN CHIFFRES

(SOURCE CIVB)

Rouges : 85 %
Blancs secs : 7 %
Rosés : 4 %
Crémants : 2 %
Liquoreux : 2 %

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