Couverture du journal du 01/10/2025 Le nouveau magazine

Entreprises : bienvenue en incertitude

Le prospectiviste et philosophe des sciences Jean Staune ouvrira la 17e Journée de l’Économie Nouvelle-Aquitaine, le 21 septembre prochain à Bordeaux, sur le thème « Comment réinventer l’entreprise dans un monde instable ». Il nous décrit le changement de civilisation en cours, évoqué dans son essai La Grande Mutation, et ses conséquences sur l’avenir du travail. Pour lui, l’une des clés de l’adaptation à ce nouveau monde est la formation tout au long de la vie et « la curiosité intellectuelle ». Entretien.

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Échos Judiciaires Girondins : Dans votre dernier essai, vous évoquez La Grande Mutation, de quoi s’agit-il ?

Jean Staune : « Lorsqu’on regarde les choses sur le temps long, on se rend compte que l’on vit la troisième grande mutation de l’histoire humaine. La première, ce fut l’invention de l’écriture, il y a 8 000 ans, qui a permis d’avoir une société structurée. Puis il y a 500 ans, on invente l’imprimerie, qui multiplie par 1 000 le pouvoir de l’écriture et permet un siècle plus tard la révolution industrielle. Car après les livres religieux, on a imprimé les savoir-faire, notices d’utilisation, encyclopédies… Nous en sommes maintenant à la troisième étape, celle d’internet et des réseaux sociaux qui multiplient les échanges de façon exponentielle : des millions de gens parlent à des millions de gens. Chaque fois que vous envoyez un e-mail, un SMS, que vous postez sur Twitter ou Facebook, vous contribuez à changer de civilisation ! »

 

EJG : Comment ?

Jean Staune : « Il y a Prigogine, prix Nobel de chimie en 1977 pour ses découvertes de la théorie du chaos et de la complexité, expliquait que plus il y a d’interactions entre les membres d’un système, plus ce système est chaotique et instable. Cela va changer la civilisation en rendant le monde imprédictible. Ces interactions, ce sont les milliards de messages que s’échangent les gens, à l’origine de l’effet papillon : un battement d’aile de papillon qui déclenche une tempête à l’autre bout du monde. Ces événements imprévisibles et extrêmes, c’est le 11 septembre 2001 ; la crise financière de 2007-2008 ; les révolutions arabes de 2011 ; le Covid-19 et le confinement de 2020 ; ou encore la guerre en Ukraine… Dans le monde de demain, l’extraordinaire va devenir ordinaire ! »

Dans le monde de demain, l’extraordinaire va devenir ordinaire

EJG : L’effet papillon, ce n’est pas nouveau…

Jean Staune : « Cela existait avant, avec les journaux d’époque. Par exemple, en 1914, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg à Sarajevo déclenche une guerre mondiale. Mais aujourd’hui, il y a 1 000 fois plus d’effets papillon, parce qu’il y a 1 000 fois plus d’interactions. Un inconnu se suicide dans une ville complètement inconnue de Tunisie, et cela fait tomber un sixième des régimes de la planète. Plus récemment, la vidéo d’une ménagère de 50 ans en Bretagne met la France à feu et à sang pendant un an et demi avec les Gilets jaunes. Ce sont des choses qui n’existaient pas avant et qui sont impensables sans les médias sociaux. Michael Crichton l’avait déjà compris en 1990 dans Jurassic Park. Les dinosaures ne sont qu’un prétexte pour vulgariser la théorie du chaos, à travers l’effondrement d’un système trop complexe, dans lequel il se passe forcément des choses imprédictibles. L’idée profonde du livre est que si vous faites partie des gens qui ne comprennent pas cette révolution qui arrive : vous serez bouffé ! »

 

EJG : C’est ce que vous expliquez aux dirigeants et chefs d’entreprise ?

Jean Staune : « Beaucoup de gens, dont des dirigeants de cette planète, n’ont pas encore compris que nous sommes dans une nouvelle civilisat…