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Enseignement supérieur : Les 7 capitaux d’un établissement

La qualité et la valeur des établissements d’enseignement supérieur représentent aujourd’hui un enjeu majeur. Il en va de la construction du capital intellectuel des jeunes générations de tout pays.

Christian PRAT DIT HAURET

Christian PRAT DIT HAURET, professeur à l’IAE – Université de Bordeaux © Louis Piquemil - Les Échos Judiciaires Girondins

Selon les chiffres publiés par le ministère de l’Enseignement supérieur, plus d’un quart des étudiants suivent aujourd’hui leurs études dans un établissement privé. Ainsi, la part du secteur privé est passée de 15-20 % dans les années 1990-2000 à plus de plus de 25 % en 2024. Et comme le précise le rapport parlementaire d’information en date du 10 avril 2024, l’enseignement supérieur privé englobe des réalités très diverses : aux établissements traditionnels – facultés libres, instituts catholiques, établissements consulaires – s’ajoutent désormais de nouveaux acteurs, appartenant au secteur lucratif. De manière plus précise, fin 2021, près de 3 millions d’étudiants sont inscrits dans un établissement supérieur, et plus précisément, 2,2 millions sont inscrits dans le public et près de 800 000 dans le privé. Quel que soit le type d’établissement, c’est la question de la qualité et donc la valeur de l’enseignement et de la formation qui est en jeu.

Liberté de choisir

De fait, tout étudiant a, après l’obtention de son baccalauréat, la liberté de choisir telle ou telle formation. Un subtil équilibre doit être trouvé de sa part entre le type d’études qu’il souhaite suivre, sa capacité à remplir les critères de sélection et le choix de la structure d’accueil qui lui correspond le mieux. Or, il existe une réelle asymétrie d’informations entre les étudiants/apprenants et les établissements qui les accueillent ; les premiers nommés ne pouvant pas mesurer la qualité d’un enseignement qu’ils n’ont pas encore reçu et dont ils n’apprécieront les bienfaits que quelques mois après la sortie de la formation ; voire quelques années plus tard au cours de l’évolution de leurs carrières professionnelles.

Il est donc légitime que tout postulant s’interroge sur la valeur de l’établissement d’enseignement supérieur qu’il envisage de rejoindre pour, tout d’abord, l’obtention d’un Bac +3, puis ensuite, l’obtention d’un Bac +5, soit dans le même établissement, soit dans un autre. La valeur de l’établissement et plus précisément de la formation reçue dépend de 7 capitaux qui peuvent être mobilisés par les structures éducatives.

Capital enseignant

Le premier capital d’un établissement d’enseignement supérieur est le capital enseignant. Ainsi, ce qui fait la valeur des cours est le niveau des professeurs en charge de leur animation. Le niveau des professeurs dépend de plusieurs facteurs : les diplômes obtenus, leurs qualités pédagogiques, leur niveau d’empathie pour les étudiants et leur capacité à être au goût du jour, compte tenu de l’évolution des métiers et des innovations pédagogiques. Les enseignants ont des choix à faire sur une pédagogie ascendante ou descendante, l’arbitrage théorie-pratique, le choix entre former le jugement ou apprendre des techniques, sans oublier l’intégration de l’intelligence artificielle durant les cours.

Capital étudiant

Le deuxième capital d’un établissement d’enseignement supérieur est le capital étudiant. Pour bien former, il faut être deux : un bon étudiant et un bon enseignant. Le capital étudiant présente plusieurs facettes : le niveau académique et de culture générale à l’arrivée dans le supérieur, le niveau de motivation, la capacité à effectuer un travail personnel et à participer activement aux cours. Si je devais me risquer à un chiffre, sur les trois premières années d’études, il convient de passer deux heures de travail personnel pour une heure de cours : à savoir, une heure pour comprendre et apprendre le cours et une heure pour faire des exercices d’application et d’entraînement. Au niveau master, on change de dimension : quatre heures de travail personnel pour une heure de cours : deux heures pour comprendre (les notions sont plus complexes) et apprendre, une heure pour faire des exercices d’application sur les points complexes, et une heure pour prendre du recul et réfléchir, de façon à transcender les concepts et les remettre en question.

Capital réputationnel

Le troisième capital d’un établissement d’enseignement supérieur est le capital réputationnel du diplôme. En effet, lorsqu’un jeune diplômé se présente sur le marché de l’emploi, il a en poche un diplôme qui a une « valeur » sur le marché. Cette valeur du diplôme dépend de plusieurs facteurs : l’ancienneté de la formation qui l’a rendu connu, sa reconnaissance par les entreprises et les organisations, la sélection des étudiants à l’entrée, durant et à la sortie du cycle de formation et la force du réseau des anciens diplômés qui sont capables de se soutenir, de s’entraider voire de se coopter au cours de leur vie professionnelle. La construction du capital réputationnel est un travail de longue haleine qui exige une attention particulière des trois parties prenantes concernées : les structures d’enseignement qui doivent améliorer sans cesse le service éducatif ; les jeunes diplômés qui doivent être « au niveau » lors de leur entrée sur le marché du travail, et les anciens diplômés qui doivent animer le réseau et faire vivre la communauté dans l’espace et dans le temps.

Capital employabilité

Le quatrième capital, et non des moindres, est le capital employabilité. Suivre un cycle d’enseignement pendant trois ou cinq ans est un investissement financier, et ceci sans oublier l’investissement temps : implication qui est demandée aux étudiants au niveau du suivi des cours, de l’acquisition des connaissances et de la réussite attendue aux examens. L’investissement financier comprend le coût de la scolarité et le coût de la « vie » estudiantine (logement, transport, nourriture, déplacement, loisirs). On peut néanmoins souligner que le boom de l’apprentissage a, pour certaines formations, considérablement réduit l’investissement financier à réaliser dans la mesure où tout ou partie du coût de la scolarité est en pris en charge par les OPCO.

Mais, toutes les formations ne sont pas concernées par le financement par apprentissage. Donc, de ce fait, comment apprécier le retour sur investissement pour l’étudiant/apprenant ? À mon avis, il se fait à trois niveaux. Premier niveau, et sûrement le plus immatériel, le plaisir de faire des études qui se traduit par l’acquisition de connaissances, la possibilité de belles rencontres, l’ouverture de nouveaux champs de réflexion et donc la possibilité de se construire « intellectuellement ». Pour certains, les années d’études sont les plus belles de leur vie. Deuxième niveau, l’accès à des métiers rendu possible par la formation reçue. Troisième niveau, le plus matériel, le différentiel de rémunération obtenu tout au long de la vie professionnelle entre la rémunération qui aurait été obtenue sans la formation et celle qui est obtenue grâce à la formation.

Pour certains, les années d’études sont les plus belles de leur vie

Capital entreprises/organisations

Le cinquième capital d’un établissement d’enseignement supérieur est le capital entreprises/organisations. Il appartient aux établissements d’être le plus « encastré » possible dans le monde professionnel. La qualité des relations nouées avec le monde professionnel a de nombreuses retombées. La première est d’augmenter le niveau d’employabilité des étudiants grâce à la construction d’un programme d’enseignement le plus proche des besoins du terrain. La seconde est la possibilité de proposer aux étudiants des contrats d’apprentissage et des stages de longue durée qui facilitent l’insertion dans le monde professionnel des étudiants qui n’ont pas de réseaux familiaux. La troisième est le nombre d’offres d’emploi qui sont proposées aux jeunes diplômés qui peuvent avoir une sensation « de vide » à la fin de leurs études.

Capital dirigeant

Le sixième capital d’un établissement est le capital dirigeant et structure organisationnelle. En effet, les établissements d’enseignement supérieur sont des organisations complexes à diriger, en raison des multiples parties prenantes concernées (étudiants, familles, enseignants, personnel administratif, secrétariat pédagogique, équipes au service des étudiants). Le dirigeant est donc l’homme-orchestre de la structure en charge de construire un système de valeurs, de manager et de mobiliser les outils de l’analyse stratégique pour prendre les meilleures décisions possibles pour l’institution et les étudiants : matrice Swot, modèle Pestel, recherche d’alliances stratégiques, opérations de développement et de croissance externe, stratégie d’internationalisation, innovation ou démarche RSE, système de valeurs, bien-être et épanouissement des étudiants. Ensuite, la qualité de la structure organisationnelle de l’établissement est primordiale. Au sein de tout établissement, il existe une partie immergée de l’iceberg, à savoir les fonctions supports qui n’en sont pas moins essentielles. Les secrétariats pédagogiques sont extrêmement importants dans la mesure où ils sont en interface permanente avec les étudiants, les enseignants et les employeurs. D’autres services sont également et absolument essentiels comme le service stage et emplois.

Capital innovation

Le septième capital, gage d’un futur radieux, est celui du capital innovation. L’établissement est-il engagé dans une démarche innovationnelle permanente ? Innovation au niveau du type et du contenu des cours. Innovation au niveau des techniques pédagogiques : appropriation de l’intelligence artificielle, supports de cours à distance, mise en place de coaching personnalisé. Innovation au niveau des techniques de management.

« Il y a un art de savoir et un art d’enseigner », Cicéron

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