Couverture du journal du 29/11/2025 Le nouveau magazine

Drones : la nouvelle guerre

GIRONDE. Le foisonnement des drones sur les théâtres d’opérations militaires en fait aujourd’hui la quatrième armée. Et qui dit prolifération, dit développement de la lutte anti-drones. Nécessairement protéiforme, cette dernière s’incarne en Gironde à travers deux sociétés : Azur Drones, spécialisée dans la surveillance, et Aerix Systems, dans l’interception.

Azur Drones

Marine Le Liepvre, responsable communication d'Azur Drones, sur le site d'essai Cesa Drones de Sainte-Hélène, en Gironde. © Azur Drones

C’est l’une des conséquences de la guerre en Ukraine, que l’on n’avait pas forcément vu venir. La prolifération et l’utilisation massive des drones sur les théâtres d’opérations militaires en font aujourd’hui une arme de combat à part entière, stimulant une course à l’innovation sans précédent. Et cela s’est fortement ressenti lors de la dernière édition du salon européen du drone, UAV Show, qui s’est tenu à Bordeaux et Mérignac mi-octobre, pour la première fois tourné vers le civil ET la défense.

Avec une fréquentation en hausse de 50 % et 60 % d’exposants orientés défense, « on constate une forte demande qui a poussé beaucoup d’entreprises à pivoter du civil vers la défense », remarque François Baffou, président de Bordeaux Technowest et commissaire du salon. Près de trois quarts des exposants du salon travaillent désormais avec le ministère des Armées, la Direction générale de l’armement (DGA), l’Agence de l’innovation de défense (AID) et les industriels du secteur, annonce François Baffou. « Cette édition fut extraordinaire du point de vue business, avec beaucoup de clients qui étaient venus pour signer des contrats », ajoute-t-il, constatant que « tous les pays s’équipent », en raison de la guerre en Ukraine mais aussi des intrusions de drones sur des sites sensibles en Europe (aéroports, centrales nucléaires…).

« Cette édition fut extraordinaire du point de vue business »

Quatrième armée

Ce pivot de la filière drone vers le secteur défense, François Baffou le constate également au niveau du centre d’essais unique en Europe Cesa Drones, filiale de Bordeaux Technowest, où les drones défense représentaient 10 % des essais en 2024, et plus de 95 % en 2025, avec une activité multipliée par cinq ! « Le marché de la défense tire fortement la filière drone. Le contexte international a montré que les drones sont aujourd’hui la quatrième armée. De plus, ils ont une activité transverse qui sert aux trois autres armées : terrestre, mer et air », assure-t-il.

« Afin de s’adapter à la vitesse d’innovation du marché et aux attentes croissantes des industriels et institutionnels », selon les mots du président de Technowest dans le communiqué de fin de salon, Bordeaux Technowest et Beam, coorganisateurs de l’UAV Show, envisagent une évolution du rythme du salon, qui pourrait devenir annuel.

Différents systèmes

Car en matière de défense, « qui dit prolifération des drones, dit lutte anti-drones », souligne François Baffou, qui en avait fait l’un des sujets d’une table ronde. « Les drones ont une signature sonore et thermique très faible, ce qui les rend difficiles à détecter. D’autre part, il n’existe pas une lutte anti-drone, mais des systèmes de lutte correspondant aux différents types de drones, et à différentes actions : surveillance ou attaque », énumère le président de Bordeaux Technowest, acteur majeur de la filière drone en France depuis près de 19 ans.

Ces systèmes vont ainsi du canon traditionnel, qui tire sur les drones, aux filets anti-drones, en passant par les systèmes de brouillage, les systèmes lasers ou encore des applications de détection qui donnent la vitesse et la direction du drone intrus pour faciliter son interception.

Surveillance

En Gironde, deux sociétés se distinguent dans la lutte anti-drones. Azur Drones, créée en 2012, est spécialisée dans les solutions drone-in-a-box. Son système Skeyetech comprend ainsi une station fixe et son drone autonome équipé d’une caméra. « La force de notre système, qui ne nécessite qu’une demi-journée de formation, est que tout est opéré sans intervention humaine, depuis le PC sécurité, sur site ou à distance », explique Marine Le Liepvre, responsable communication d’Azur Drones, société dirigée par Viviane Bretagne.

En Gironde, deux sociétés se distinguent dans la lutte anti-drones.

Pouvant remplir différents types de missions, régulières ou ponctuelles, telles que de la surveillance périmétrique de sites industriels ou sensibles, ou des départs sur alerte (en cas d’intrusion ou de détection de fumée…), Skeyetech est utilisé dans la lutte anti-drones pour détecter un drone intrus et faire de la levée de doute. « Nous travaillons sur la sûreté et la sécurité des sites, sur la détection des intrusions. Nous sécurisons la zone grâce à une vue aérienne d’ensemble. La défense représente aujourd’hui 5 % de notre chiffre d’affaires (NC), via la sécurisation de zones militaires », poursuit Marine Le Liepvre, dont la société compte une soixantaine de drones actifs dans 11 pays.

Azur Drones

La solution d’Azur Drones participe notamment au projet de sécurisation des aéroports et sites sensibles Pandrone. © Azur Drones

Souveraineté

« La défense est un sujet porteur, avec une armée française qui montre une volonté d’engager des budgets conséquents dans le drone, nous y sommes très attentifs », poursuit-elle. Membre de l’association du drone de l’industrie française (Adif), qui réunit près de 40 industriels, Azur Drones veut participer « à créer une industrie forte et souveraine. C’est un enjeu primordial de notre sécurité. Et une exigence de nos clients, dans la défense ou l’énergie, qui exigent de connaître l’origine de nos pièces », assure Marine Le Liepvre.

« La défense est un sujet porteur, avec une armée française qui montre une volonté d’engager des budgets conséquents dans le drone »

Sa société dispose de son usine à Mérignac, et elle intervient sur toute la chaîne de valeur : conception, assemblage, pré-études réglementaires, formations des opérateurs, SAV et maintenance. « C’est l’un de nos atouts par rapport à nos concurrents », considère-t-elle.

Après avoir sorti en 2025 sa propre interface homme/machine (IHM), « qui offre à nos clients plus d’autonomie et de personnalisation sur les missions », Azur Drones espère en 2026 avancer sur le projet de sécurisation des zones aéroportuaires et sites sensibles Pandrone, auquel participent 17 acteurs girondins. « Nous intervenons avec notre drone volant sur trois volets : l’effarouchage d’oiseaux, le tracking d’objets et le suivi d’intrus », précise-t-elle.

Interception et destruction

Avec une tout autre approche, la société Aerix Systems, créée à Mérignac en 2020, a développé « une nouvelle technologie de propulsion 100 % omnidirectionnelle avec une performance de vol inédite. C’est unique au monde et nous le protégeons de plusieurs brevets internationaux », se félicite Clément Picaud, directeur général et cofondateur, avec Hugo Mayounove, d’Aerix Systems.

Aerix Systems

Le drone omnidirectionnel d’Aerix Systems a nécessité cinq ans de R&D. © Aerix Systems

Concrètement, les capacités du drone d’Aerix lui permettent, côté civil, de faire de l’inspection de grands ouvrages comme des pipelines ou des éoliennes. Et côté défense et sécurité civile, « nous faisons du brouillage directionnel, afin d’orienter un appareil pour l’intercepter et le cas échéant, le détruire. Nous faisons des interceptions avec ou sans destruction, pour des drones volants de toute taille, mais aussi des robots au sol et des robots flottants », détaille Clément Picaud.

Aerix Systems

Le drone omnidirectionnel d’Aerix Systems a nécessité cinq ans de R&D. © Aerix Systems

Proposant une « plateforme » libre d’intégration et assemblée en France, la solution d’Aerix Systems peut être adaptée à tous les besoins et missions. « Nous sommes sous-traitants de rang un de grands groupes, de la défense ou d’intégrateurs, qui adaptent notre plateforme à leurs besoins », assure le directeur général.

« Aerix prépare une belle levée de fonds qui doit nous permettre de livrer nos premières séries »

Pré-industrialisation

Selon lui, la lutte anti-drone a été remise au goût du jour par la guerre dans le Haut-Karabakh, puis en Ukraine. « L’Ukraine est un champ de bataille extrêmement dangereux, puisque transparent, en raison de toutes les technologies disponibles. L’usage des drones a été massifié, et ils tiennent une place stratégique dans cette guerre d’attrition. La lutte anti-drones est ainsi devenue, elle aussi, stratégique », analyse Clément Picaud.

Aerix Systems

Clément Picaud et Hugo Myounove, cofondateurs d’Aerix Systems © Aerix Systems

Après cinq ans de R&D, Aerix Systems dispose en 2025 d’un produit prêt à être lancé et industrialisé. En 2026, la société espère passer en phase de pré-industrialisation. Pour cela, Aerix prépare « une belle levée de fonds, qui doit nous permettre de recruter et de livrer nos premières séries. Notre carnet de commandes est déjà bien rempli pour 2026. Tout cela doit permettre à la société de passer à l’échelle », espère-t-il. L’économie de guerre semble fonctionner à plein régime, tirant dans son sillage la filière girondine du drone.