Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Jeux vidéo : la success story bordelaise

Stéphane Bonazza, business developer pour le studio bordelais Shiro Games, est le nouveau président de l’association Bordeaux Games, qui représente l’écosystème du jeu vidéo dans la région. Il nous explique d’où viennent le succès et l’attractivité de Bordeaux dans cette industrie si particulière. Et nous dévoile ses projets à venir. Entretien.

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Échos Judiciaires Girondins : Quelles sont les missions de Bordeaux Games et qui sont ses membres ?

Stéphane Bonazza, business developer chez Shiro Games, est président de Bordeaux Games depuis septembre. ©D.R.

Stéphane Bonazza : « Bordeaux Games représente les studios de développement, les free-lance et les entreprises de 3 à 250 salariés qui travaillent autour du jeu vidéo en Nouvelle-Aquitaine. Mais aussi des écoles et des programmes académiques, comme l’École des métiers de la création, Brassart, 3iS, ICV, e-artsup, etc. L’association a été créée en 2007 avec la mission de « favoriser la compétitivité et la visibilité des entreprises locales de la filière jeu vidéo ». Sa raison d’être est donc de structurer et de fédérer les adhérents. Nous animons la communauté et favorisons l’échange de connaissances, en organisant notamment des keynotes et des after works, où les sociétés se retrouvent pour échanger. Cela permet de créer un système de mutualisation et d’accélération, où chacun va partager son expérience en termes de gestion (finance, juridique…), de création ou même d’organisation. Nous travaillons également avec le CNC, qui est notre organisme de tutelle, pour aider nos studios à demander des subventions. »

 

EJG : Vous avez également un rôle de représentation de l’écosystème…

B. : « Nous avons le désir d’expliquer ce qu’est notre industrie, ce que sont nos métiers, donc nous organisons des manifestations start pour accompagner les jeunes écoliers de 3e à découvrir les métiers du jeu vidéo. Par ailleurs, le SNJV crée chaque année un référentiel métier auquel nous participons. Il est important de renvoyer un maximum d’informations pour structurer la filière et connaître les enjeux, les évolutions, les types de métiers requis.

Nous représentons également les adhérents sur tous les salons du jeu vidéo. On coordonne ces manifestations avec leur calendrier, avec les produits qu’ils proposent. Sur ces événements-là, on travaille avec Business France, en France et partout dans le monde. On est aussi partie prenante, de façon directe ou indirecte, dans tous les événements organisés en Nouvelle-Aquitaine. Nous sommes d’ailleurs en train de multiplier les événements en ligne pour retrouver la dynamique cassée par le Covid. »

 

EJG : Quel a été l’impact de la crise et du confinement sur le secteur du jeu vidéo ?

B. : « Le Covid est un passage difficile pour l’ensemble des acteurs, mais nous avons la chance d’avoir pris le virage numérique, notamment au niveau des canaux de distribution. Donc nous n’avons pas été très impactés par la pandémie. Il y a même une tendance à la hausse pour certains, qui se poursuit aujourd’hui. En revanche, nous avons habituellement des rendez-vous internationaux du jeu vidéo très forts, aux États-Unis, au Japon, en Europe, en France. La période est difficile, de nombreuses manifestations sont annulées, nous avons hâte que ça reprenne. En attendant, nous participons à des événements en ligne : l’Indie Game Factory (le 9 octobre 2020) ; Jeux made in France (le 23 octobre), organisé par Capitale Games, la branche parisienne. À Bordeaux, nous allons participer à l’anniversaire d’Aquinum, l’association des professionnels du numérique. »

Nous multiplions les événements en ligne pour retrouver la dynamique des salons cassée par le Covid

EJG : Quelles évolutions a connu la filière ces dernières années ?

S. B. : « Notre industrie est à la fois très technologique et très créative, à la convergence des technologies et des contenus. Elle a beaucoup évolué ces dernières années. Il y a de nouveaux métiers, autour du marketing et du big data, par exemple : nous devons désormais avoir des départements de business intelligence, avec des gens formés à l’analyse de données, à l’aspect juridique (RGPD)… Il y a aussi de nouveaux types de jeux : sur téléphone mobile, multijoueurs sur Internet, en streaming. On a des opérations d’abonnement, des modèles gratuits, freemium… C’est un secteur où il y a une véritable capacité à s’adapter à des environnements technologiques et à des modèles économiques qui changent. »

 

EJG : Comment a évolué la taille de l’écosystème ?

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S. B. : « L’industrie du jeu vidéo a une capacité d’essaimage importante. Nous avons la chance, au niveau national, d’avoir d’importants acteurs qui ont un vrai poids économique et social désormais reconnu. À l’échelle de Bordeaux également, il y a un essaimage qui se crée, la filière se structure. On a de très belles réussites, mais aussi une vraie représentativité des petites structures, qui peuvent bénéficier très rapidement d’une accélération. Le studio Asobo, par exemple, travaille de façon très étroite avec Microsoft et peut enrichir l’expertise d’une autre entreprise qui demain serait susceptible de travailler avec les gros opérateurs du secteur que sont Google, Apple, Amazon, Microsoft et bientôt Netflix. »

 

EJG : Comment expliquer le succès et l’attractivité de Bordeaux dans l’industrie du jeu vidéo ?

B. : « Toutes les régions se développent. Si les projecteurs sont braqués sur Bordeaux, c’est parce qu’il y a de véritables success stories et qu’elles sont créatrices d’emplois. Il y a une vraie dynamique économique et créative, avec des pépites dont certaines parmi les plus gros studios indépendants en France : Asobo, Motion Twin ou Shiro Games. Et bien sûr Ubisoft. Bordeaux est une sorte de Silicon Valley à la française, avec son climat, son vin et ses nombreuses sociétés très dynamiques. La création, c’est avant tout un état d’esprit qui nécessite une qualité de vie, des conditions de travail, des conditions d’émulation entre sociétés, entre collègues. Nous avons tout cela en Nouvelle-Aquitaine. »

 

EJG : Vous avez pris en septembre la tête de l’association pour 2 ans. Quels sont vos projets pour l’écosystème ?

B. : « J’ai voulu reprendre la présidence de Bordeaux Games, à la suite de Fabrice Carré, pour préserver ce qui a fait la force de l’association. Je souhaite rendre la filière visible et lisible pour les pouvoirs publics, afin qu’elle puisse contribuer au développement économique de la région. Nous souhaitons par exemple travailler avec Invest in Bordeaux pour faciliter l’installation de nouvelles sociétés en Nouvelle-Aquitaine.

Nous voulons créer, en Nouvelle-Aquitaine, un vrai salon du recrutement et de la formation dédié aux jeux vidéo

Nous voulons également ouvrir le dialogue avec tous les acteurs et institutions en périphérie de ce qu’on représente : French Tech, Aquinum… Et donner tous les moyens possibles à l’industrie du jeu vidéo pour rayonner, se développer. Pour cela on a besoin du soutien des pouvoirs publics, donc on veut se rapprocher de Bordeaux Métropole, de la Région Nouvelle-Aquitaine, du CNC afin d’organiser tous les soutiens possibles à nos adhérents et à la filière. »

 

EJG : Et vos projets à long terme ?

B. : « Nous allons essayer de nous projeter dans l’avenir, en étant pilotes sur certains sujets. L’un des axes de travail les plus importants de Bordeaux Games va être d’essayer de répondre de manière plus pragmatique aux besoins de formation et de recrutement de nos adhérents. Nous réfléchissons donc à créer, en Nouvelle-Aquitaine, un vrai salon du recrutement et de la formation dédié aux jeux vidéo, une fois la crise sanitaire passée. Je discute également avec des acteurs de l’industrie concernant la formation de nos adhérents sur les outils technologiques, comme les moteurs graphiques. Nous aimerions avoir un centre d’excellence pour la formation et l’accélération des compétences auquel participeraient les grands industriels américains qui développent ces outils.

Nous travaillons aussi, avec Invest in Bordeaux, sur une feuille de route numérique dont une branche est la sobriété numérique. Le SNJV va ainsi montrer aux pouvoirs publics ce que fait le secteur des jeux vidéo pour être écoresponsable. »

 

EJG : Quelles sont vos ambitions pour Bordeaux Games, et pour le secteur du jeu vidéo dans son ensemble ?

B. : « Nous travaillons sur la pérennisation de Bordeaux Games, au niveau financier et sur notre façon de communiquer. Pour cela, nous allons nous associer à des manifestations qui nous permettront de prendre notre autonomie et de nous développer.

Le jeu vidéo est le plus gros contributeur du secteur de l’économie culturelle en France. Nous voulons dépoussiérer son image. Le travail fait par les associations a permis à la France de devenir un territoire reconnu mondialement. Le fait que Microsoft ait voulu travailler avec Asobo en est un exemple. Les clignotants sont au vert pour avancer, créer plus d’emplois, développer la filière. Aujourd’hui, notre poids économique est reconnu par les pouvoirs publics, c’est un tissu économique incroyable. Le Français Ubisoft figure dans le top 5 des éditeurs mondiaux. Nous avons aussi Big-ben Interactive, Microids, Focus Home Interactive, Voodoo… La France a toujours été très bonne en software ingeniering, mais sur cette convergence de la technologie et de la création, nous sommes les meilleurs au monde. »

BORDEAUX GAMES EN CHIFFRES (2019)

2007 : création de l’association

Nombre d’adhérents ! environ 70 sociétés

Poids en emplois directs : + de 500 salariés

Poids en CA : 70 millions d’euros environ

 


LA NOUVELLE-AQUITAINE, TERRE DE CRÉATION

Il existe une association représentant l’écosystème du jeu vidéo dans chaque région. « Elles ont vocation à mettre en place des réflexions et des actions qui vont nourrir une réflexion plus globale, représentée par le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV), lui-même en lien avec les pouvoirs publics », explique Stéphane Bonazza. « C’est très important, car faire reconnaître le jeu vidéo a été un long combat », rappelle-t-il. Le cas de la région Nouvelle-Aquitaine est particulier car elle compte deux associations : Bordeaux Games et Angoulême Jeux vidéo, qui gère le très particulier écosystème angoumoisin, en lien avec le pôle d’animation Image Magélis. « On a la chance, en Nouvelle-Aquitaine, d’avoir un historique très fort avec la création, donc le terreau est très favorable à l’évolution de ces métiers », note le président de Bordeaux Games.