[ La Relève ] Les premiers pas de Jeanneret à Bordeaux

Une intuition et une expérience qui « restera comme un premier pas », reconnaît Elena Sarrazin. C’est à l’occasion d’un stage dans la gestion de projet autour de la chaussure, en fin de licence d’économie-gestion, qu’elle découvre le cuir dont elle se prend de passion. « La matière est belle et se travaille avec le temps. On peut la patiner, la nourrir », s’enthousiasme la jeune femme qui s’installe alors en Italie avant de poursuivre ses études. Elle y prend des cours de dessin, de peinture et apprend à coudre. En rentrant en France, Elena Sarrazin est décidée : elle travaillera avec des créatifs.

Formation de stylisme modélisme

Alors qu’elle a toujours trouvé que la chaussure était « un bel objet qui signe une démarche », elle se lance dans une formation de stylisme modélisme chaussure à Cholet et fait ses armes chez un fabricant de chaussures dont l’activité consiste à présenter, chaque saison, des prototypes que les marques choisissent pour apposer leur logo.

Au fil de ses expériences, elle développe une marque écoresponsable de chaussures de ville haut de gamme puis cherche des partenaires européens pour pouvoir la lancer. Mais le groupe pour lequel elle travaille ne la suit dans ce projet. C’est le moment qu’elle choisit pour se lancer.

La commercialisation du premier modèle a été lancée en septembre 2024. © Léo Fievet

Un master à l’IAE

Elena Sarrazin revient à Bordeaux, suit un master entrepreneuriat à l’IAE et crée sa propre marque : Jeanneret. Un clin d’œil à Le Corbusier dont le « vrai » nom est Charles-Édouard Jeanneret-Gris. Plus généralement, ce sont les codes du brutalisme qu’elle explore avec ses formes graphiques, asymétriques et anguleuses.

Son ambition ? Proposer une chaussure singulière dans une démarche d’écoconception. « Les trois postes les plus gourmands en émissions de CO₂ dans la fabrication d’une chaussure sont l’approvisionnement matière, la fabrication et la distribution. » À partir de là, Elena Sarrazin fait ses choix.

Les stocks du luxe

En matière d’approvisionnement, elle se tourne vers les stocks dormants de cuir de maisons de luxe. Quant à la fabrication, elle sera française, réalisée près de Cholet dans une entreprise familiale. Elena Sarrazin assume de se lancer dans le haut de gamme avec de petites quantités et un premier modèle à 500 euros. Ses clients sont dramaturges, photographes ou encore stylistes.

Une fabrication française, réalisée près de Cholet, dans une entreprise familiale

Un deuxième modèle est annoncé pour septembre : ce sera une derby chasse, avant des bottines à la fin de l’année. « Du classique revisité », précise-t-elle. Pour la distribution, elle a opté pour un système de précommande, en direct avec les consommateurs.

© D. R.

Vers la réparation

Cette envie d’entreprendre ne lui vient ni de sa famille, ni de son entourage. « J’ai toujours eu envie de prendre part à des projets avec une vision à 360°. Je m’ennuie très vite donc j’aime apprendre », confie Elena Sarrazin. Avec ce projet, « je me sens vivante, et quoi qu’il arrive, cela va me servir ». Avec Jeanneret, elle prend aussi le contrepied de ce qu’elle a vécu dans le monde de la mode, très hiérarchisé. « Il était très mal vu que j’aille tous les matins discuter avec les salariés de l’usine alors qu’ils disposent d’un savoir-faire énorme. » En créant son entreprise, elle savait donc ce qu’elle ne voulait pas reproduire dans la relation avec ses partenaires. Ce projet lui permet enfin, à son échelle, de contribuer au maintien d’un savoir-faire en France.

Reste à réussir le pari d’en vivre. En attendant, Elena Sarrazin travaille pour la marque de chaussures Veja dans les locaux de Darwin à Bordeaux où elle occupe un poste de cordonnière. L’occasion de se former à la réparation qu’elle envisage, par la suite, de proposer pour aller vers un modèle toujours plus vertueux.