Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Le nouveau visage des vins Corse

CHRONIQUE : Il y a encore peu, j’écrivais que le vignoble corse opérait sa mutation vers une qualité en nette progression. Depuis et rapidement, cette mutation a trouvé sa traduction sous trois aspects : la multiplication de cuvées aux tarifs élevés, surprenant le dégustateur, un accessit de la Corse parmi les grandes régions vinicoles et une certitude ! Cette révolution s’appuie largement sur la révélation de nombreux cépages autochtones, qui rend la Corse si affriolante aujourd’hui.

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Comme beaucoup de régions touristiques, la Corse s’est longtemps reposée sur une production « facile », avec des vins plutôt rustiques, vendus à des touristes peu exigeants. Mais depuis la fin des années 70, l’arrachage des vignes les moins bonnes, l’arrivée d’une nouvelle génération dans les domaines, l’usage de meilleures pratiques dans la conduite de la vigne et dans les méthodes de vinification, ont permis d’aborder un virage qualitatif. Le vignoble se situe principalement le long des côtes, le relief accentué limitant souvent la progression du vignoble à l’intérieur des terres, surtout à l’ouest de l’île. Le climat est idéal avec un fort ensoleillement, des gelées rares et une faible pluviométrie, cependant avec une relative humidité du fait de l’influence maritime.

On y trouve de nombreux microclimats, liés essentiellement à un « mix », entre niveau d’escarpements, influence plus ou moins marquée des entrées maritimes, nature du sol, du sous-sol, et type de végétation à proximité. Après le phylloxera et autres maladies de la vigne, les cépages autochtones avaient presque disparus au profit de cépages rhodaniens plus productifs.

LE CHARNU DU NIELLUCCIU

Une poignée de vignerons résistants vont, par diverses actions, rediversifier l’image du vin corse. Christian Imbert du domaine Torraccia, en favorisant la création de l’Union des Vins Corses, puis celle du centre de recherche viti-vinicole insulaire, va beaucoup faire pour remettre en avant les premiers « autochtones » : nielluciu, scaciarellu et le blanc vermentino (à eux trois, ils forment aujourd’hui les trois quarts du vignoble corse). Il sera accompagné dans cette transformation par d’autres visionnaires comme Antoine Arena ou Antoine Abbatucci. Parlons du niellucciu, cépage apparenté au sangiovese, cépage majeur des vins rouges italiens notamment toscans. En Corse, il a fait de Patrimonio, l’appellation la plus cotée de l’île. Par sa puissance tannique, son charnu, ses notes boisées et épicées, il correspond aux attentes de beaucoup d’amateurs.

LE CROQUANT DU SCIACCARELLU

Bien mieux que l’autre cépage établi de Corse, le sciaccarellu, historiquement basé dans le sud de l’île, autour de Sartène et Ajaccio, appréciant là, le support granitique qui lui convient parfaitement. Le réchauffement climatique et surtout le retour en grâce de vins au caractère juteux, fruité, un peu plus marqué par l’acidité lui bénéficie. Sa traduction en français « croquant » décrit bien la sensation laissée en bouche par ce cépage peu tannique.

ÉLÉGANT

Ces deux cépages furent complétés par le cépage dominant des climats méditerranéens, le grenache, dont le nom local est « élégant ». Je vous incite vivement à goûter la version pure du cépage au domaine Sant’Armettu (au-dessus du golfe de Propriano). La famille Seroin délivre un vin d’une finesse inégalée. On est plus sur l’infusion que sur la « chaleur » classique du cépage. Un esprit bourguignon ou « Rayas » (du célèbre domaine de Châteauneuf-du-Pape) règne sur ce vin. Aujourd’hui ce sont des cépages répondant au nom d’aleaticu, carcajolu, riminese, morescola, moresconu… qui progressent et construisent la nouvelle Corse.

Ces cépages tardifs sont bien adaptés aux enjeux du réchauffement climatique. Encore très peu présents, ils sont pour l’instant souvent assemblés. La cuvée Ecce Fructus du Clos Culombu (proche de Calvi) assemble aleaticu, carcajolu et minustellu. Ce vin, uniquement travaillé en cuves béton et en biodynamie, offre un toucher de bouche très voluptueux. L’aromatique est complexe entre fruité et épices, les tannins soyeux dans une matière ample mais fine. C’est diablement séducteur, un verre en appelle un autre ! À deux de ces cépages, Jean-Charles Abbatucci ajoute, dans la vallée de Taravo au sud d’Ajaccio, les premiers « historiques » nielluciu et scaciarellu, ainsi que morescola, morescono et montanaccia. Jean-Charles a tiré profit du conservatoire des cépages endémiques plantés par son père dans les années soixante. En travaillant Les vignes et les vins dans un esprit naturel, dans un environnement pastoral conservé, le domaine du comte Abbatucci fut le premier et longtemps le seul à proposer des cuvées dépassant la soixantaine d’euros. Les trois cuvées « Collection » sont au sommet. Dans cette cuvée « Ministre Imperial », nous retrouvons les caractéristiques d’Ecce Fructus (ci-dessus décrites) dans une version plus corsée, plus structurée. Le vin a connu un élevage en foudre et demi-muid (600 l) pendant 12 mois, parfaitement intégré car la maturité et la qualité des raisins autorisaient cet élevage, complexifiant encore le vin.

LA FRAÎCHEUR DU VERMENTINO

Coté blanc, le vermentino tient la vedette, et de nombreux vignerons insulaires le magnifie. Les Corses le disent différent du cépage provençal, le rolle, et moi, je n’ai pas envie de contredire un corse, alors… Ce cépage apporte une belle fraîcheur et complexité aromatique. J’apprécie particulièrement la cuvée « Clos blanc » du Clos Venturi en biodynamie. Issue des meilleures parcelles du terroir particulier de Ponte Leccia, village d’altitude situé au carrefour des routes menant à Bastia, Ajaccio et Calvi.

C’est un vrai vin de garde, superbe de complexité après quelques années, souvent marqué d’un minéral « pétrolé ». L’élevage sur lie fine lui apporte une vraie trame fraîche et tendue, de beaux amers en finale et le passage en barrique lui donne une jolie rondeur.

L’AROMATIQUE DU GENOVESE

Parmi les cépages renaissants, nous trouvons le genovese, cépage très aromatique qui, selon les domaines est travaillé sur sa finesse, où la tonicité domine, et tantôt sur son gras avec une volupté abondante. Son potentiel de progression dans l’encépagement corse est prometteur. Nous trouvons aussi le bianco gentile, cépage lui aussi très aromatique (fruits exotiques, agrumes et abricot), qui requière toute l’attention du vigneron pour ne pas basculer dans une richesse trop prononcée. Une belle interprétation est celle d’Antoine-Marie Arena, entre Patrimonio et le Cap Corse. Son père Antoine fut le premier, à partir de bois prélevé à la station expérimentale de l’île, à replanter et œuvrer pour le redéploiement du cépage. Ce vin offre des notes de fruits blancs mûrs, de miel et de viennoiseries avec une touche d’oxydation ménagée qui lui donne un caractère unique. L’équilibre est sur le fil du rasoir, avec une bouche marquée par le gras, et une finale longue et soyeuse marquée d’une pointe d’amertume.

Ainsi, dans un mouvement imprimé depuis la fin des années 70, ce sont une vingtaine de cépages indigènes et quasi exclusifs à la Corse qui apportent une nouvelle personnalité aux vins de l’île et lui permettent de se distinguer. La chance veut aussi que ces cépages soient souvent magnifiés par les vignerons les plus talentueux de l’île. L’Île de Beauté n’a donc pas fini de nous faire voyager.

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