« Nous partageons un objectif de souveraineté, via la notion de progrès par l’innovation. Nous devons plus que jamais coopérer et partager nos bonnes pratiques », estime le président du Conseil régional, Alain Rousset. Guidées par la volonté d’innover et de décarboner leur économie, tout en créant des emplois, les Régions espagnoles du Pays basque et de Navarre, et la Nouvelle-Aquitaine, rassemblées sous l’égide de l’Eurorégion, ont décidé de renforcer leur coopération, en favorisant les partenariats économiques et de recherche transfrontaliers.
C’est dans ce cadre qu’une mission organisée par la Région Nouvelle-Aquitaine, coconstruite avec la Team France Export NA (réunissant la CCI International NA, les Conseillers du commerce extérieur et Business France) et le Club des ETI de Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec l’Eurorégion, l’Euskadi et la Navarre, a emmené début novembre une délégation d’une vingtaine de PME et ETI néo-aquitaines, dont plus de la moitié girondines, à Bilbao puis à Madrid. « L’Eurorégion dispose de 246 millions d’euros de fonds européens que l’on peut aller chercher ensemble. Mobiliser ces crédits suppose d’avoir des partenaires dans les trois territoires », rappelle en effet Alain Rousset.
Fleurons industriels
Invitée à visiter les locaux de deux champions industriels basques, la délégation a pu découvrir un secteur qui pèse 24 % du PIB du Pays basque espagnol. « Cette région industrielle a su structurer un écosystème favorable. Ce modèle doit nous inspirer », estime Jean-François Clédel, président de la CCI NA, chambre consulaire « en charge, au niveau national, de la mission de réindustrialisation de la France », rappelle-t-il. Le fabricant d’ascenseurs Orona, entreprise coopérative de 6 000 employés, générant plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires, a ainsi axé sa stratégie sur l’innovation et la décarbonation, avec une approche sociale, dont le centre Orona Ideo, réunissant tout son écosystème innovant (entreprises, universités et centres de recherche), est le symbole.
« Le Pays basque espagnol a su structurer un écosystème industriel favorable. Ce modèle doit nous inspirer. » (Jean-François Clédel)
« Découvrir comment travaillent les fleurons espagnols sur la décarbonation est très intéressant, car nous sommes en plein dans cette démarche avec notre usine de Bordeaux Nord », note Xavier Sourroubille, dirigeant du fabricant girondin de PC Cybertek, qui emploie 250 salariés, dont 170 en Nouvelle-Aquitaine, et envisage de redéployer son activité en Espagne.
Écosystème coopératif
Chez Danobat, leader mondial de la fabrication de machines-outils pour les secteurs de l’aéronautique (dont Safran), de l’automobile, du ferroviaire et de l’énergie, les entreprises néo-aquitaines ont pu se familiariser avec le modèle coopératif à l’espagnole. Membre de la première coopérative industrielle mondiale Mondragon (qui réunit plus de 80 entreprises, une centaine de filiales à l’étranger, 70 000 salariés, pèse plus de 12 milliards d’euros, et dispose de sa propre université, d’écoles et d’une douzaine de centres d’innovation technologiques), Danobat revendique « sa culture coopérative, que nous voulons diffuser en Europe », assurent ses dirigeants.
« Nous avons été invités à participer à cette mission car nous avons un projet de croissance externe en Espagne. Ce que je comprends sur le terrain, c’est que pour venir en Espagne, il faut réussir à s’intégrer dans cet écosystème très coopératif », remarque Cyril Dané, président d’AIO. Sa PME, qui emploie 80 personnes à Pessac et réalise déjà 20 % de son chiffre d’affaires à l’export, propose aux industriels des solutions de robotique frugale appelées Karakuri Kaizen®, permettant de décarboner leur activité.
Corridor
Sa culture de la coopération et sa politique de décarbonation de l’industrie, le Pays basque espagnol l’affiche également à travers « le Corridor basque de l’hydrogène », association qui réunit 74 entités dont Petronor, Repsol et Acciona. Présentées lors d’un atelier dédié, les initiatives de ce Corridor couvrent toute la chaîne de valeur de l’hydrogène, de la production à la distribution et jusqu’aux usages finaux.
L’ETI d’ingénierie mérignacaise Cap Ingelec (550 collaborateurs, 250 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2023, dont 25 % à l’étranger), a pu y présenter son « projet d’unité de production industrielle de gaz de synthèse décarboné par la voie de la valorisation des déchets », détaille Christophe Gilles, directeur de l’activité énergie chez Cap Ingelec. « Nous sommes ici à la recherche d’opportunités business et notamment d’un possible partenariat avec le Corridor basque de l’hydrogène », confie-t-il. Même démarche du côté d’HDF Energy, représenté dans la péninsule ibérique par Juan Bernabeu.
Champions cachés
Porté par ses « champions cachés », des PME ou ETI leaders mondiales sur leur marché de niche et en forte croissance, le Pays basque espagnol a souhaité identifier ses « champions cachés émergents » afin de « leur apporter ce qui leur manque », assurait lors d’un autre atelier le directeur d’Orkestra, l’institut basque de compétitivité. « Ce sont des entreprises enracinées dans les territoires, souvent coopératives, et imbriquées dans l’écosystème local qu’elles font vivre », remarque-t-il.
Invité à témoigner en tant que champion caché émergent de Nouvelle-Aquitaine, Jean-François Létard, fondateur d’Olikrom, deeptech devenue PME industrielle spécialisée dans l’intelligence des couleurs (20 employés, 1,7 million d’euros de chiffre d’affaires en 2022, dont 30 % à l’international), a d’ailleurs rappelé les défis à relever « pour devenir une entreprise pérenne qui crée des emplois lorsqu’on naît dans un labo ».
« Cette démarche d’identification des champions cachés, à l’image de ce que tente de faire le dispositif France 2030, est très intéressante. Nous devons sortir du bois », réalise Christophe Riboulet, président de Proditec, entreprise pessacaise de fabrication de machines industrielles de contrôle automatique, qui réalise 95 % de son chiffre d’affaires à l’export.
Poumon économique
Les champions cachés ou entreprises de tailles intermédiaires « sont le poumon économique européen. Nous avons souhaité profiter de cette mission pour créer des partenariats décentralisés avec les entreprises espagnoles, afin de porter nos intérêts au niveau européen et obtenir un statut reconnu », souligne Marc Prikazsky, président du Club des ETI NA et dirigeant de Ceva Santé Animale (7 000 collaborateurs et 1,6 milliard d’euros de chiffres d’affaires en 2023, dont 90 % à l’international). « Nous avons énormément appris de ces visites au Pays basque espagnol, notamment sur leur modèle solidaire et de proximité. C’est ce que nous essayons de faire à notre niveau avec le Club des ETI », qui réunit 130 entreprises néo-aquitaines pesant 22 milliards d’euros et 100 000 emplois.
S’achevant par la visite du centre technologique Tecnalia à Saint-Sébastien, qui possède une délégation à Bordeaux et travaille sur des solutions sur mesure reposant sur l’innovation technologique née de la recherche, avant de se poursuivre en comité réduit à Madrid, cette mission aura aussi eu le mérite de permettre aux entrepreneurs néo-aquitains de se rencontrer.
Sébastien Roche, dirigeant de la start-up mérignacaise Optim.Aize, implantée à Albacete en Espagne, et qui développe des solutions d’inspection préventive de sites industriels et de matériels de production d’énergie, le confirme. « Participer à ce voyage nous a permis d’avoir des contacts entre entreprises locales. » « En tant que patron, on porte souvent l’innovation. Cela demande de prendre du temps, du recul et d’aller sur le terrain », conclut Marc Prikazsky.