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Saint-Émilion : entre terre et pierre

La cité médiévale et son prestigieux vignoble ont subi de plein fouet la crise sanitaire, qui les a privés de centaines de milliers de touristes. Poussée à se réinventer, Saint-Émilion veut passer d’un tourisme de masse à la journée à des séjours plus familiaux en mettant en avant ses atouts : son vignoble, ses paysages, mais aussi son patrimoine et ses manifestations culturelles. L’édile de la ville, Bernard Lauret, fait le point sur la saison touristique 2021.

vue de saint emilion

© Ville St-Émilion

Échos Judiciaires Girondins : Quelles conséquences la pandémie a-t-elle eu sur la fréquentation touristique à Saint-Émilion ?

Bernard Lauret : « Si l’on regarde les chiffres, nous accueillions jusqu’en 2019 un à un million et demi de touristes par an, entre Pâques et la Toussaint, avec des pics en juillet-août. En 2019, nous avons reçu la visite de plus de 2 500 bus. En 2020, seulement 108. Les horodateurs ont rapporté 660 000 euros en 2019 et en 2020, 280 000 euros. La taxe de séjour, qui était de 250 euros en 2019, est tombée à 140 euros l’année suivante. Nous avons un ensemble d’indicateurs qui montrent que la ville a subi plus de 50 % de perte avec la crise sanitaire. Jusqu’ici, les visiteurs arrivaient le matin et repartaient le soir, c’était un tourisme de masse, principalement à la journée. Ce modèle a été remis en cause par la crise, et puis les gens ont envie d’autre chose. Ce qu’on souhaiterait développer maintenant, c’est donc un tourisme de séjour. Nous voulons essayer de capter un tourisme familial, d’amateurs de vins et de patrimoine. »

Échos Judiciaires Girondins : C’est ce que viennent chercher les touristes à Saint-Émilion : du vin et du patrimoine ?

Bernard Lauret : « Nous avons la particularité, par rapport aux autres grandes appellations comme Margaux, Pauillac, Sauternes, Saint-Estèphe ou Pomerol, qui ne sont que des villes-appellations, d’avoir du patrimoine et du patrimoine bâti. Saint-Émilion est une cité médiévale qui a beaucoup souffert au fil des guerres de religion et de la Révolution, mais nous avons encore une quinzaine de monuments classés ou inscrits. Et surtout la plus grande église d’Europe creusée dans le rocher : la Monolithe de Saint-Émilion, avec ses catacombes (voir encadré). Il y a du bâti religieux, comme l’ancien Couvent des Cordeliers, qui appartenait à la commune et a été restauré par un investisseur, qui a refait le cloître et la toiture des bâtiments conventuels et de la chapelle. Nous faisons revivre les ruines avec des matériaux contemporains, nous devons entretenir ce patrimoine, le rénover. C’est un puits sans fond ! Mais notre volonté est de transmettre en bon état aux générations futures ce que les anciens nous ont transmis. Et puis il y a également le tourisme viticole. La notoriété du vin de Saint-Émilion n’est plus à faire : il est mondialement connu. J’ai eu la chance de voyager en Chine, au Japon, aux États-Unis… Dans le monde entier, tout le monde connaît Saint-Émilion. »

Échos Judiciaires Girondins : Quels sont vos leviers pour passer d’un tourisme de masse à la journée à un tourisme de séjour ?

Bernard Lauret : « Nous avons un peu plus de 300 lieux d’hébergement sur les 22 communes de la communauté de communes du Grand Saint-Émilionnais. Les propriétés s’ouvrent pour accueillir du public dans le cadre de l’œnotourisme. On essaye de faire comprendre aux gens qu’il n’y a pas que les monuments, qu’il y a aussi un paysage, des points de vue, des coins magnifiques à voir. On veut diffuser l’idée que le séjour de deux ou trois jours peut se faire au milieu des terres saint-émilionnaises. »

vignoble St-Émilion

© Ville St-Émilion

Échos Judiciaires Girondins : Vous favorisez donc l’ouverture de lieux d’hébergement, de restaurants… ?

Bernard Lauret : « Nous avons la chance, à Saint-Émilion, d’avoir déjà trois restaurants étoilés : La Table de Pavie (deux macarons Michelin), Les Belles Perdrix (un macaron) et Le Logis de la Cadène (un macaron), ainsi que plusieurs restaurants gastronomiques. D’autre part, à la demande des viticulteurs et en accord avec la Chambre d’Agriculture, nous sommes en train de réviser les documents d ’urbanisme à la Communauté de communes afin de donner la possibilité, dans les bâtiments agricoles, de lancer une activité qui mette en valeur son produit dans le cadre de l’œnotourisme. Les exploitations peuvent donc créer des restaurants, des hôtels… Nous en avons déjà plusieurs sur le territoire comme par exemple le château La Dominique avec La Terrasse rouge ou Troplong Mondot (Les Belles Perdrix). Je viens également d’inaugurer un nouveau restaurant au château Petit Faurie de Soutard. »

Échos Judiciaires Girondins : La ville parvient-elle également à loger ceux qui y travaillent ?

Bernard Lauret : « C’est la rançon de la gloire et c’est mon gros souci : il y a de plus en plus de lieux d’hébergement dans Saint Émilion, les maisons se transforment en meublés ou en gîtes, au détriment d’une population annuelle. En 1983, quand j’ai été élu
pour la première fois comme conseiller, il y avait 3 300 habitants à Saint-Émilion. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 1860 . En revanche il y a 48 boutiques et plus de 30 restaurants. Dans le bourg historique, l’intégralité du rez-de-chaussée est occupée par des commerces tandis que les étages sont vides. C’est pourquoi, lors de tout changement de destination d’une maison, il est désormais obligatoire de créer un accès à l’extérieur avec un escalier pour permettre de monter aux étages. Entre les commerces, l’Office du tourisme, le Relais Châteaux, les banques et les restaurants, il y a un peu plus de 500 personnes qui viennent travailler chaque jour en haute saison à Saint-Émilion. Ils arrivent tous d’ailleurs, ils ne vivent pas là. Alors qu’il y a des bâtiments vides et que les gens voudraient vivre dans Saint-Émilion. »

Saint-Émilion a subi plus de 50 % de perte avec la crise

Benard Lauret

Parcours

BERNARD LAURET

© Ville de Saint-Émilion

Bernard Lauret a débuté sa carrière chez France Télécom dans un bureau d’études. Après avoir épousé une viticultrice, il travaille comme cadre agricole sur la propriété pendant son temps libre puis dirige un négoce de vin. Élu conseiller de Saint-Émilion en 1983, il en est maire depuis 2007 et a été réélu pour un quatrième mandat en 2020. Il préside également les 22 communes de la Communauté de communes du Grand Saint-Émilionais depuis 2008, et vient de prendre en 2021 la présidence de l’Association des maires de Gironde. « Un honneur et une reconnaissance » donnée par tous ses collègues du département, estime-t-il. « Mon projet être d’être leur interlocuteur et leur représentant vis-à-vis des différents services de l’État. Je veux aussi travailler avec le Département et la Métropole et avoir un mandat fédérateur », insiste le maire de Saint-Émilion.

Échos Judiciaires Girondins : Il y a également des maisons inhabitables…

Bernard Lauret : « C’est pour cela que j’ai lancé une Opération de restauration immobilière (ORI). Je vais imposer à ceux qui ont des maisons en ruines de les restaurer, sinon la mairie pratiquera une expropriation pour manque d’entretien, comme nous le permet la loi. Pour le moment, nous avons ciblé une quinzaine de maisons très vétustes. Récemment, j’ai également fait valoir un droit de préemption sur un immeuble, que je viens de revendre. Le propriétaire voulait créer des commerces, j’ai refusé, puis j’ai
préempté. J’ai monté un cahier des charges pour créer des appartements, et j’ai trouvé un investisseur à qui j’ai revendu au prix d’achat. Je ne suis pas là pour faire du bénéfice, mais pour essayer de capter la population. Sinon, nous allons mettre sous cloche Saint-Émilion et ce n’est pas ma volonté. Je veux que Saint-Émilion vive, qu’il y ait du dynamisme, des commerces de bouche, qu’il y ait une vraie vie de ville. Pas que ce soit une ville-musée. C’est ce vers quoi nous dérivions, mais la pandémie a rebattu les cartes : ce tourisme de masse n’est plus là, nous avons maintenant un tourisme qualitatif, et nous sommes en train de travailler avec l’Office du tourisme pour l’accueillir. »

Échos Judiciaires Girondins : Pour attirer de nouveaux publics, envisagez-vous également de développer des circuits à vélo à Saint-Émilion ?

Bernard Lauret : « Nous proposons déjà des visites de la ville en tuk tuk électrique. Mais les routes du territoire ne sont pas encore adaptées à la pratique du vélo, nous n’avons pas de piste cyclable, donc c’est compliqué de développer des circuits à vélo. Et seuls, on ne pourra pas réussir à le faire : nous allons devoir travailler avec des partenaires du territoire, avec le Département… »

Échos Judiciaires Girondins : Comment s’annonce la saison touristique 2021 ?

Bernard Lauret : « Il y avait quelques touristes internationaux , notamment Américains, qui commençaient à revenir. Mais vu ce qui se passe actuellement avec le nouveau variant, la saison risque une nouvelle fois d’être compliquée. Je viens d’ailleurs de reprendre un arrêté de port du masque obligatoire jusqu’à fin août, que personne ne respecte, donc je vais sévir. Nous allons faire de la prévention, avec la police municipale et les renforts de gendarmerie. Nous avons 3 réservistes de plus sur la brigade pendant l’été, Saint-Émilion étant classée station de tourisme, au même titre que les villes côtières. Concernant le pass sanitaire, pour le moment, ce sont surtout les restaurateurs et les hébergeurs qui sont concernés. Les collectivités le seront lorsqu’il y aura des manifestations. Il y a notamment le festival Philosophia, qui doit avoir lieu en septembre. En partenariat avec les organisateurs, nous allons devoir organiser les contrôles. Mais cela risque d’être compliqué, il va certainement falloir embaucher du personnel, faire appel à des entreprises privées pour tenir les entrées… »

Il y a de plus en plus de lieux d’hébergement dans Saint-Émilion, au détriment d’une population annuelle

Échos Judiciaires Girondins : Les événements culturels organisés habituellement à Saint-Émilion ont-ils pu se tenir cette année ?

Bernard Lauret : En 2020, tout a été annulé. Cette année, nous avons co-organisé en juillet une étape du Tour de France avec la ville de Libourne, et le festival Philosophia, qui devait avoir lieu en mai, a été reporté à début septembre. En revanche, le festival de la voix Vino Vocce, la « Jour-Nez des Senteurs » organisée dans le Cloître et le Festival de jazz ont été supprimés. Tous ces événements et tant d’autres, comme les concerts dans l’Église collégiale dont l’orgue est classé monument historique, sont annulés et je ne sais pas quand ils pourront reprendre. C’est difficile de l’admettre, mais pour l’instant, nous sommes dans un tunnel et nous cherchons la lumière. C’est très compliqué, car on sent que les gens ont besoin de se retrouver, d’être ensemble, mais en tant que maire, je ne peux pas jouer avec leur santé. »

Le port du masque est obligatoire jusqu’à fin août

Échos Judiciaires Girondins : Vous avez donc organisé une épreuve du Tour de France avec Libourne. Quels liens Saint-Émilion entretient avec cette ville ?

Bernard Lauret : « Libourne a été le poumon économique du territoire : il transportait nos vins, donc nous avons donné le nom de Saint-Émilion au port de Libourne, qui s’appelle le port de Libourne-Saint-Émilion. Nous travaillons aussi sur le projet commun d’acheter, avec la Chambre de Commerce et d’Industrie, l’ancien aérodrome des Artigues-de-Lussac, pour créer un pôle dédié à l’aviation d’affaires. Nous allons donc créer une société d’économie mixte où les deux territoires vont acheter l’aérodrome à 50/50 et investir. Nous avons également des partenariats, des échanges. Nous avons tout intérêt, en gardant nos territoires et chacun sa gouvernance, à mutualiser et à travailler ensemble. La belle épreuve du Tour de France, que nous avons porté ensemble, en est un exemple : ça ne peut être que bénéfique. En revanche, on ne mutualise pas ce qui concerne le tourisme. »

1199-1999 Une histoire de Saint-Émilion

Érigée en commune en 1199 par une charte signée par le roi Jean Sans Terre sous l’occupation anglaise, Saint-Émilion est alors une ville prospère, grâce à ses vignobles et ses vins envoyés par bateau vers l’Angleterre depuis le port de Libourne. Ville guerrière et religieuse, avec beaucoup de monastères, Saint-Émilion est « pillée, brûlée, saccagée » puis son patrimoine est vendu comme bien national sous la Révolution française. Elle connaît alors une importante perte d’activité et de notoriété, son patrimoine est délaissé. La ville redevient prospère au XXe siècle encore une fois grâce à ses vins. Puis à partir des années 1950, les élus prennent conscience de la nécessité de mettre en valeur son patrimoine, qui petit à petit est restauré. Un travail qui permettra à la juridiction de Saint-Émilion d’être inscrite en 1999 au patrimoine mondial de l’humanité au titre des paysages culturels.

Nous avons tout intérêt à créer des ponts et des passerelles avec Bordeaux

Échos Judiciaires Girondins : L’avez-vous déjà fait avec d’autres villes, comme Bordeaux par exemple ?

Bernard Lauret : « Nous l’avons fait à une époque avec Bordeaux et Blaye : nous avons signé avec Alain Juppé, maire de Bordeaux, Denis Baldès, maire de Blaye, et moi-même, une convention tripartite pour que les gens qui arrivent à Bordeaux puissent visiter ces trois sites inscrits au patrimoine de l’humanité. Il faut d’ailleurs que je rencontre Pierre Hurmic et que nous travaillions ensemble, car Bordeaux a de nombreux lieux d’hébergement et la capacité d’accueillir du monde. Nous avons tout intérêt à créer des ponts et des passerelles avec Bordeaux. »

Échos Judiciaires Girondins : La récente décision des châteaux Cheval Blanc et Ausone de quitter le classement des vins de Saint-Émilion a fait grand bruit. Peut-elle selon vous avoir des conséquences sur la fréquentation touristique de la ville ?

Bernard Lauret : « Ce sont deux poids lourds, les plus grands noms de Saint-Émilion. Et ils doivent avoir leurs raisons personnelles. Je refuse de polémiquer là-dessus, je veux rester neutre. C’est un sujet très sensible avec des enjeux colossaux. Mais selon moi, cela ne devrait pas avoir de conséquences sur le tourisme à Saint-Émilion. Les vins resteront toujours de qualité et le patrimoine aussi. Tous les châteaux, même ceux qui ne sont pas classés, peuvent accueillir les visiteurs. Évidemment, les grands groupes qui possèdent des châteaux (comme AG2R La Mondiale, Fayat, la SCOR…) ont plus de capacités financières à l’investissement que les petites propriétés familiales, mais ces dernières accueillent aussi dans le cadre de l’œnotourisme, plus modestement. Et nous avons besoin de tout le monde sur ce territoire pour accueillir toutes les catégories économiques, avec des pouvoirs d’achat différents. Nous avons des Relais Châteaux, des gîtes sympas, des hôtels 3 étoiles… c’est cette diversité qui fait la force de Saint-Émilion. »

L’incontournable église Monolithe

eglise monolithe saint émilion

© JW

Monument emblématique de Saint-Émilion, de Gironde et de Nouvelle-Aquitaine, l’Église Monolithe, située en plein cœur de la cité médiévale, a été creusée dans la roche autour du Xe siècle. Plus grand édifice religieux souterrain d’Europe ( le second étant l’église Saint-Jean d’Aubeterre, en Dordogne ), l’Église Monolithe est accessible uniquement via les visites guidées de l’Office de tourisme de Saint-Émilion. Un lieu au frais idéal à découvrir en été, à l’abri de la chaleur des ruelles pavées de la cité.

La tradition de la Jurade

Jusqu’à la Révolution française, les Jurats, avec leur fameuse robe rouge, administraient les huit paroisses de l’ancienne juridiction de Saint-Émilion. Ce sont eux qui dégustaient les vins, puis marquaient du sceau de la Jurade de Saint-Émilion les barriques qui partaient vers l’Angleterre. En 1948, les vins de Saint-Émilion ont reconstitué cette Jurade, dont les membres sont aujourd’hui les ambassadeurs des vins de Saint-Émilion en France et dans le monde. Ils se réunissent deux fois par an pour des manifestations officielles emblématiques, au moment des vendanges et lors de la déclaration du vin nouveau, qui sont l’occasion d’introniser dans la Jurade des personnalités du monde politique (dont fait partie le maire de Saint-Émilion Bernard Lauret), culturel ou sportif… Cette prestigieuse confrérie, l’une des plus anciennes de France, a défilé en juillet avec des flambeaux au passage du Tour de France.

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