Mal logement, indécence, insalubrité, impayés de loyers, défaut d’assurance… les expulsions s’emballent. Il y a eu 24 556 expulsions locatives forcées en 2024 soit 29 % de plus qu’en 2023… sans compter les départs réalisés avant l’intervention des forces de l’ordre. Ce chiffre peut donc aisément être doublé (Le Monde, 5 mai 2025, Claire Ané).
Si de plus en plus de personnes se retrouvent sans logement, la situation des bailleurs est tout aussi critique ; les impayés de loyers entraînent ceux des prêts ayant servi à l’acquisition d’un bien qui semblait être un bon investissement locatif. Pour peu que le locataire bénéficie d’une procédure de surendettement sans liquidation judiciaire, le bailleur ne reverra jamais ses deniers. Les impayés impactent également les retraités, les revenus locatifs constituant un complément de retraite souvent essentiel.
Le contentieux locatif en forte hausse
D’un côté, de plus en plus de bailleurs privés et sociaux assignent aux fins d’expulser leurs locataires en raison d’impayés et/ou de défaut d’assurance. De l’autre, nombreux sont les locataires à effectuer des signalements sur la plateforme Histologe quant à l’état désastreux du logement mis à leur disposition.
Les audiences ne désemplissent pas tant le contentieux locatif est devenu exponentiel. À ce jour, les premières dates d’audience disponibles sont fixées en 2026.
En réalité, la situation est tendue des deux côtés et, s’il faut regarder avec attention les raisons des impayés pour y remédier durablement, il faut également regarder l’état du parc locatif qui, outre être insuffisant en nombre, se dégrade d’années en années. De fait, l’indécence du local est souvent opposée à la demande d’expulsion ce pour tenter de justifier les impayés.
Les nouveaux délais fixés par la loi antisquat en matière d’expulsion
Qu’elle soit initiée en référé ou au fond, la procédure d’expulsion motivée par des impayés de loyers doit être précédée par la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire.
La loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite dite loi antisquat a réduit de 2 mois à 6 semaines le délai du commandement de payer visant la clause résolutoire et ceux des délais pour quitter les lieux de 3 à 1 an… Elle a également inséré la notion de clause résolutoire « automatique » (article 24 de la loi de 1989).
Pour rappel, seuls le défaut d’assurance, de paiement du dépôt de garantie, de paiement des loyers et charges et le trouble de jouissance sont des motifs de résiliation de bail. Toute clause prévoyant un autre motif de résiliation est réputée non écrite.
La 3e chambre civile de la Cour de cassation, dans un avis n° 24-70.002 du 13 juin 2024, a précisé sans surprise que la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif : « les dispositions de l’article 10 de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, en ce qu’elles modifient le délai minimal imparti au locataire pour s’acquitter de sa dette après la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail prévu par l’article 24, alinéa 1er et 1°, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, n’ont pas pour effet de modifier les délais figurant dans les clauses contractuelles des baux en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi ».
Sur ce, il convient d’être attentif avant de délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire et de vérifier si une telle clause est inscrite au bail afin de respecter le délai contractuellement fixé. À défaut, l’assignation délivrée sur ce fondement qui ne respecterait pas ce délai est irrecevable (TJ JCP BDX, 20 décembre 2024, RG n° 24/01042).
À nuancer toutefois : un commandement délivré avec un délai de 6 semaines alors que le contrat prévoit un délai de 2 mois n’entraîne pas automatiquement l’irrecevabilité de l’assignation. En effet, si l’assignation est délivrée postérieurement à l’expiration du délai contractuel, le Tribunal considère que le commandement a produit ses effets à l’expiration de ce délai (TJ BDX JCP, 20 déc. 2024, RG n° 2400936).
Lorsque le bail est verbal
C’est une sommation de payer les loyers immédiatement qui doit être délivrée sur le fondement des articles 1728, 1217, 1224 et 1227 du Code civil par un commissaire de justice. Sommation qui, comme pour le commandement, doit être notifiée à la CCAPEX. À défaut de paiement, le bail verbal est résilié et le bailleur peut saisir le tribunal pour obtenir une décision d’expulsion.
L’indécence peut-elle éviter l’expulsion ?
– Rappelons que le contrat de location à usage d’habitation emporte des obligations réciproques, à savoir l’obligation de délivrer un logement en bon état d’usage et de réparation contre notamment le règlement des loyers et charges à échéance convenue.
Le contrat de location à usage d’habitation emporte des obligations réciproques
C’est ce que consacre très justement le tribunal judiciaire de Bordeaux dans un jugement rendu le 14 janvier 2025 en appliquant une sanction réciproque, les obligations n’étant pas respectées d’un côté comme de l’autre (TJ BDX JCP, 15 janv. 2025, RG n° 23/01526). C’est là l’essence même du contrat synallagmatique. En l’espèce, les locataires étaient, et ce de façon continue et régulière durant plusieurs années, en impayés de loyers.
Le magistrat a considéré, vu l’importance de la dette locative (16 145,45 euros), que la résiliation du bail était fondée sous couvert des dispositions de l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989. Il a constaté la résiliation du bail et validé l’expulsion. De son côté le bailleur a manqué, de façon également continue, à son obligation de délivrance d’un logement décent.
Sur ce constat, le tribunal a alloué aux locataires une indemnisation pour trouble de jouissance sous couvert des dispositions de l’article 2 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 et de l’article 1231-1 du Code civil. Les locataires ont obtenu une réduction de 25 % du montant de leur loyer puis indemnités d’occupation à compter des 3 dernières années précédant la délivrance de l’assignation soit sur un peu plus de 4 années. Cela représente une réduction globale des loyers et indemnités d’occupation d’un montant de 10 030,63 euros.
– L’indécence du logement ne peut justifier l’arrêt du paiement du loyer et des charges que lorsque la preuve de l’impossibilité totale d’occuper le logement est rapportée. C’est la position constante de la Cour de cassation (Cass. civ. 3e, 28 juin 2018, n° 16-27246).
En d’autres termes, le locataire ne peut pas cesser unilatéralement et sans décision de justice l’y autorisant de régler le loyer en raison de l’indécence de son logement. Il convient dans ce cadre de saisir le tribunal afin d’obtenir soit une autorisation de consignation des loyers soit une suspension de leurs paiements dans l’attente des travaux de mise en conformité.
Le locataire ne peut pas cesser, sans décision de justice, de régler le loyer
Lorsque le local est dégradé en suite de l’expulsion
Pas de procédure d’injonction de payer pour le recouvrement des réparations locatives ; lorsqu’à la fin du bail, l’état des lieux de sortie fait apparaître des dégradations locatives desquelles il résulte un préjudice pour le bailleur, ce dernier doit saisir le juge qui constatera l’existence de ces dégradations et en évaluera le montant.
Dans un arrêt du 27 mars 2025, la 3e chambre civile de la Cour de cassation rappelle, sous le visa de l’article 1405 du code de procédure civile, que la créance réclamée au titre de dégradations locatives n’est pas déterminée en vertu des seules stipulations figurant au contrat de bail.
Cette décision rappelle que la procédure d’injonction de payer pour le recouvrement d’une créance contractuelle n’est applicable que si son montant est déterminé en vertu des stipulations du contrat. La simple mention au bail indiquant que les dégradations seront à la charge du locataire ne suffit pas (Cass civ 3e, 27 mars 2025, 23-21.501, n° 23-21.501).