Les procédures collectives visent à organiser le traitement des difficultés financières d’une entreprise, tout en veillant à la protection des intérêts des différents acteurs économiques impliqués. Parmi eux, les créanciers ont un intérêt tout particulier : celui de recouvrer leurs créances. Pour ce faire, ils doivent d’abord les déclarer auprès du mandataire judiciaire dans les deux mois de la publication du jugement d’ouverture au Bodacc.
Ensuite, deux possibilités s’offrent à eux : soit ils patientent jusqu’à l’issue de la procédure en attendant de connaître les chances de recouvrement de leur créance, soit ils s’intéressent à celle-ci et demandent à être désignés « créanciers contrôleurs ». Cette fonction, peu connue du grand public, permet de garantir une meilleure transparence dans le déroulement des opérations et peut même s’avérer utile en cas de carence des organes de la procédure.
Qui peut être désigné ?
Les critères de désignation du créancier contrôleur sont prévus par le Code de commerce.
Il peut s’agir d’une personne physique ou morale, à condition qu’il/elle soit titulaire d’une créance. Selon l’article L.621-10, le juge-commissaire peut nommer jusqu’à cinq créanciers contrôleurs parmi ceux qui en font la demande. Lorsqu’il en désigne plusieurs, il doit veiller à ce que parmi eux soient nommés au moins un créancier titulaire de sûretés et un créancier chirographaire [créancier ne disposant d’aucune sûreté].
Les proches du débiteur (parents ou alliés jusqu’au quatrième degré), ses dirigeants ou les personnes détenant directement ou indirectement tout ou partie du capital ne peuvent faire l’objet d’une telle désignation. L’objectif est d’assurer une représentation impartiale.
À l’inverse, certains créanciers peuvent être nommés « d’office » contrôleurs s’ils en font la demande à l’instar du Trésor public notamment ou des organismes tels que l’Urssaf et l’AGS. Dans le cas où le débiteur exerce une profession indépendante relevant d’un ordre professionnel (médecin, avocat, expert-comptable, professions paramédicales etc.), ce dernier est d’office nommé contrôleur.
Comment être désigné ?
Pour être désigné créancier contrôleur, le créancier doit en faire la déclaration au greffe, en indiquant le montant de sa créance ainsi que, le cas échéant, la nature des sûretés dont il est titulaire. En pratique, il s’agira de déposer une requête auprès du greffe du tribunal devant lequel la procédure est ouverte.
Sa désignation ne peut intervenir moins de 20 jours à compter du jugement d’ouverture.
C’est le juge-commissaire qui statue sur la demande, qu’il peut accepter ou refuser, mais dans ce dernier cas, sa décision doit être motivée. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’existence d’une opposition d’intérêts entre le créancier candidat et le débiteur, n’est pas un obstacle à sa désignation.
Si le juge-commissaire ne fait pas droit à la demande, le créancier évincé peut former opposition devant le tribunal dans un délai de 10 jours. Si le tribunal confirme le refus, seul le ministère public est autorisé à interjeter appel de cette décision.
Une fois désigné contrôleur, la mission du créancier perdure durant toute la durée de la procédure, c’est-à-dire, en fonction de la procédure, jusqu’à l’approbation du compte rendu de fin de mission déposé par l’administrateur judiciaire, le mandataire judiciaire, le commissaire à l’exécution du plan ou le liquidateur. Il peut toutefois démissionner de ses fonctions ou être révoqué par le tribunal à la demande du ministère public.
Pourquoi être désigné ?
La mission principale du créancier contrôleur est d’assister le mandataire judiciaire dans ses fonctions et le juge-commissaire dans sa mission de surveillance de l’administration de l’entreprise. À cet effet, il peut intervenir directement.
En redressement judiciaire, il peut demander pendant la période d’observation, la cession partielle de l’activité ou la liquidation judiciaire du débiteur si le redressement est manifestement impossible (article L.631-15) ; il peut demander à mettre fin à la période d’observation en cas de résiliation d’un contrat en cours pour défaut de paiement (article L.622-13) ; il peut demander au juge-commissaire de saisir le tribunal afin qu’il procède au remplacement de l’administrateur, de l’expert ou du mandataire judiciaire (article L.621-7) ; il peut présenter ses observations à tout moment de la procédure, lesquelles seront communiquées par le mandataire judiciaire au juge-commissaire (article L.622-20) ; il participe à la procédure de vérification des créances (article R. 624-1).
Le créancier contrôleur a également un pouvoir d’information et de consultation. Il peut prendre connaissance de tous les documents transmis à l’administrateur et au mandataire judiciaire, et notamment des propositions de règlements des dettes (article L.626-5), des réponses faites par les créanciers (article L.626-7), du rapport sur la situation économique et sociale du débiteur, du projet de plan (article L.626-8) et du résultat d’exploitation à l’issue de chaque période d’observation (article R.622-9).
Il dispose donc d’un accès privilégié à certaines informations financières et juridiques de l’entreprise, ce qui lui permet de mieux appréhender la situation économique du débiteur et d’adapter ses propres stratégies de recouvrement.
Il dispose d’un accès privilégié à certaines informations financières et juridiques de l’entreprise
Par ailleurs, le créancier contrôleur est obligatoirement consulté lors de certaines étapes cruciales de la procédure telles que la modification substantielle du plan en cours d’exécution, l’appréciation des offres de reprise en cas de cession de l’entreprise, la conversion de la procédure en redressement ou liquidation judiciaire, ou encore la vente des biens du débiteur. En définitive, le créancier contrôleur a son mot à dire avant qu’il ne soit statué sur le sort de l’entreprise de son débiteur.
Parmi les prérogatives phares du créancier contrôleur se trouve celle d’agir, au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, en cas de carence du mandataire judiciaire (article L.622-20), après une mise en demeure adressée à ce dernier demeurée infructueuse pendant deux mois.
En cas de carence du liquidateur judiciaire, la majorité des créanciers contrôleurs peut également saisir le tribunal d’une demande de sanction financière et patrimoniale à l’encontre du débiteur en cas de faute de gestion (article L.651-3).
Deux informations importantes doivent être prises en compte avant de devenir créancier contrôleur : cette mission est exercée à titre gratuit et il est fait interdiction au créancier contrôleur de se porter candidat à la reprise de l’entreprise (article L.642-3).
Il est interdit au créancier contrôleur de se porter candidat à la reprise de l’entreprise
Une procédure collective implique une diversité de créanciers et des intérêts parfois divergents. Certains préféreront la continuité de l’activité pour garantir des paiements futurs, tandis que d’autres peuvent œuvrer davantage pour un recouvrement rapide, même partiel, de leur créance. Le rôle de créancier contrôleur permettra lui, d’influencer indirectement la procédure en fonction de ces intentions. Il s’agira tantôt de pouvoir jouer un rôle indirect sur la restructuration de l’entreprise, parfois en influençant le choix d’un repreneur, en apportant sa connaissance du marché ou en proposant des solutions adaptées ou en s’assurant que tous les moyens seront mis en œuvre pour parvenir au recouvrement maximal des créances, finalement le nerf de la guerre.