La douleur est un mécanisme de défense fondamental – fruit de millions d’années d’évolution – qui remplit une fonction d’alerte en signalant une menace potentielle pour l’organisme, et cela, en déclenchant des mécanismes adaptatifs de protection. Son interprétation varie au fil du temps : Hippocrate la considérait comme la conséquence d’un déséquilibre des humeurs, tandis que Descartes l’analysait à travers le prisme d’un modèle biomécanique.
Les avancées récentes ont mis en lumière la complexité de ce phénomène, loin d’une simple transmission d’un signal envoyé au cerveau. Il repose sur une interaction entre les systèmes nerveux – central et périphérique – influencée par des facteurs émotionnels, cognitifs, culturels et génétiques, nécessitant une prise en charge adaptée à chaque individu.
Lorsque le système nerveux s’emballe !
7 % de la population française estime en ressentir. Mais comment les distinguer ? Celles-ci se manifestent en l’absence de tout stimulus extérieur, devenant une souffrance invisible et invalidante. Une personne sur trois concernée affirme qu’elles affectent considérablement leur autonomie, tandis qu’un quart évoque un impact négatif sur leurs relations sociales, mais aussi leur sommeil et leur humeur. Un cercle vicieux, conjuguant mal physique et détresse psychologique.
Cette souffrance s’explique aussi par la complexité du diagnostic et ses origines : la neuropathie diabétique par exemple, liée à un excès de sucre dans le sang, endommage les nerfs et provoque des sensations de brûlure. Les douleurs post-zona, elles, se manifestent par des élancements « électriques » qui peuvent persister des mois. Quant aux patients amputés, il n’est pas rare qu’ils puissent faire l’expérience troublante du « membre fantôme » : bien que la partie du corps ait disparu, le cerveau continue d’émettre des signaux douloureux.
Un « apprentissage aberrant »
La douleur, comment ça marche ? Son processus normal suit un schéma défini : des nocicepteurs – récepteurs de la douleur – détectent une menace et transmettent un signal à la moelle épinière, qui à son tour le relaie au cerveau. Un circuit dit « classique », que n’empruntent malheureusement pas les douleurs neuropathiques… Dans leur cas, ce circuit se trouve perturbé !
Pourquoi ? Parce que le système nerveux central développe une hypersensibilité anormale, transformant de simples stimuli en intenses signaux de douleur. Ce phénomène, les chercheurs le qualifient d’ « apprentissage aberrant ».
Mais les douleurs neuropathiques peuvent être le résultat d’autres défaillances, comme la suractivation des neurotransmetteurs : la sérotonine, noradrénaline ou autres récepteurs spécifiques comme les TRPV1, provoquent des décharges. Elles peuvent aussi s’expliquer par une perturbation des cellules gliales. Longtemps considérées comme de simples cellules du système nerveux, elles jouent un rôle bien plus actif dans le ressenti de la douleur. Alors, lorsqu’elles dysfonctionnent, c’est tout le système nerveux qui est chamboulé !
Options thérapeutiques : un panel souvent combiné
Parce que la douleur neuropathique est complexe, une stratégie thérapeutique adaptée à chaque individu s’impose. Diverses solutions sont proposées allant des traitements médicamenteux – antidépresseur, antiépileptiques, patchs à la capsaïcine ou opioïdes dans les cas sévères – à des méthodes plus douces. La physiothérapie, par exemple, réduit la tension musculaire, la thérapie miroir – surtout utilisée dans le cadre des membres fantômes – crée une illusion qui trompe le cerveau et apaise la douleur. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), elles, aident à contrer l’engrenage souffrance-émotion négative. Et l’acupuncture stimule des points précis pour moduler les circuits de la douleur.
Vers une médecine personnalisée ?
Les douleurs neuropathiques impactent le quotidien de millions d’individus, mais la recherche s’accélère avec des voies novatrices, mêlant immunologie, génétique et technologies de pointe :
La recherche s’accélère avec des voies novatrices, mêlant immunologie, génétique et technologies de pointe
- Les biomarqueurs
Identifier les biomarqueurs de chaque patient, c’est s’ouvrir à des traitements de précision, en ajustant les thérapies au profil biologique pour en améliorer leur efficacité. On parle alors des cytokines inflammatoires (IL-6, TNF-α) dont le taux pourrait révéler l’ampleur de l’inflammation nerveuse et orienter vers des thérapies ciblées.
- Les thérapies géniques
Bien que les études cliniques soient encore en cours, ces thérapies offrent un espoir dans la lutte contre la douleur chronique. L’outil d’édition génétique CRISPR-Cas9 en est une illustration, permettant de cibler les gènes responsables d’une hypersensibilité douloureuse.
- La neuromodulation
Le principe ? Implanter une électrode près de la moelle épinière afin de délivrer de faibles impulsions, modulant ainsi la transmission du signal douloureux. Autre technique et non invasive, la stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS), influençant certaines zones corticales liées à la douleur.
L’expérience montre que chaque patient est un cas unique, nécessitant un accompagnement personnalisé : médecine « de précision », soutien mental, rééducation… La clé vers un futur sans douleur chronique ? La combinaison de traitements, associée à une meilleure sensibilisation du corps médical et du grand public. Car si la douleur a accompagné l’humanité depuis ses débuts, nul doute que les progrès scientifiques et une approche pluridisciplinaire peuvent alléger ce fardeau, et redonner à chacun la liberté de vivre sans la crainte d’une souffrance injustifiée.
3 questions à
La start-up Apateya, basée à Bordeaux, développe des solutions thérapeutiques innovantes.
Echos Judiciaires Girondins : Quels sont les nouveaux mécanismes d’action que vous avez identifiés et les solutions thérapeutiques que vous développez ?
Franck Aby : Nous avons identifié un mécanisme qui contrôle la transmission de la douleur au niveau de la moelle épinière. Celui-ci implique les voies descendantes, voies qui assurent un mécanisme naturel de régulation de la douleur. Un déséquilibre en ion chlorure à ce niveau active un circuit nerveux descendant qui amplifie la sensation douloureuse. Apateya propose alors une association thérapeutique qui normalise le fonctionnement de la transmission de la douleur et facilite ses contrôles endogènes. En agissant à ces deux endroits, on observe une nette amélioration des symptômes douloureux et une efficacité de longue durée.
Quelles sont vos prochaines étapes dans le développement de solutions innovantes ?
F. A. : Après avoir mis en évidence une combinaison phare efficace sur les symptômes douloureux dans nos modèles animaux de douleur pathologique (neuropathie périphérique), nous débutons les phases de développement sur un nouveau candidat. Cette nouvelle phase nécessite de mettre au point une voie de synthèse et de produire les molécules selon les standards industriels, pour ensuite établir une formulation et en tester l’innocuité sur l’animal. Cette démarche permettra de déposer une demande d’essais cliniques au niveau humain. Nous entamerons alors les tests cliniques (innocuité chez l’homme, phase I, sujets sains volontaires), puis étudierons leur efficacité sur la douleur (phase II, tests randomisés en double aveugle contre placebo).
Dans quel écosystème évoluez-vous et que vous apportent des structures comme Unitec ?
F. A. : Le domaine de la douleur neuropathique se caractérise par une compétition mondiale intense et des barrières d’entrée élevées. Chez Apateya, nous avons la chance d’évoluer dans un écosystème local dynamique, véritable vivier d’innovation. Il réunit des institutions de recherche de haut niveau, tant en recherche fondamentale, comme le Bordeaux Neurocampus, qu’en recherche clinique, à l’image du CHU de Bordeaux et ses centres spécialisés : le centre d’étude et de traitement de la douleur ou le département de recherche clinique et de l’innovation. Nous tirons pleinement parti de ce contexte stimulant en collaborant étroitement avec les universités et en attirant des experts pour développer nos nouvelles solutions. Unitec joue ici un rôle déterminant : grâce à son programme d’accompagnement, nous pouvons affronter la compétition mondiale avec confiance et transformer nos idées en solutions concrètes. Ensemble, cette synergie locale et globale est, selon nous, la clé pour bâtir l’avenir de la biotech à Bordeaux et au-delà.