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ARN messager : La molécule miraculeuse ?

LA VEILLE TECHNO - Apparu dans les médias du monde entier à la faveur de la Covid-19, l'ARN messager (ARNm) a fait une entrée fracassante dans nos vies. Dangereux pour certains ou salutaires pour d’autres, les vaccins à base d’ARNm produits par les grands laboratoires ont été au centre des discussions scientifiques comme des dîners de famille. Alors que les propriétés de cette molécule sont encore largement méconnues du grand public, l’ARNm pourrait, au-delà de la vaccination, révolutionner la médecine. On songe ainsi au traitement des cancers, à la thérapie génique, ou encore à la réparation d’organes…

ARN messager, Alexandre BERTIN, Hydrogène

Alexandre BERTIN © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

L’ARNm est découvert dans les années 1960 par un groupe de chercheurs dont François Jacob et Jacques Monod, bientôt prix Nobel de médecine en 1965. Si les scientifiques comprenaient que l’ADN contenait les instructions génétiques, le processus par lequel ces instructions étaient traduites en protéines demeurait un mystère… Nos deux chercheurs français ont alors émis une hypothèse : l’ARNm servirait de messager intermédiaire entre l’ADN (situé dans le noyau) et la « machinerie cellulaire » responsable de la production des protéines, les ribosomes (situés dans le cytoplasme)​.

Confirmation est ensuite faite grâce aux expériences menées par Sydney Brenner et Matthew Meselson. Leur travail, conjugué à celui d’autres chercheurs comme Marshall Nirenberg et Heinrich Matthaei, jetait les bases de la biologie moléculaire moderne​.

Un rôle fondamental dans la cellule

L’ARNm est une molécule d’acide ribonucléique (ARN) simple brin, composée de nucléotides (A, U, C, G), qui copie l’information génétique de l’ADN, laquelle est ensuite utilisée par les ribosomes pour assembler les acides aminés en protéines, une étape cruciale dans le fonctionnement cellulaire​. Le processus de synthèse des protéines repose sur deux étapes principales, la transcription : l’ARN polymérase copie l’information génétique de l’ADN en une molécule d’ARNm dans le noyau, et la traduction : migration vers le cytoplasme, où il est lu par les ribosomes, qui assemblent les acides aminés en fonction des instructions fournies par l’ARNm​.

L’ARNm : une arme contre les maladies

Les vaccins à ARNm ont véritablement pris leur essor avec le développement des vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna pendant la pandémie de 2020. Contrairement aux supports traditionnels qui nécessitent la culture de virus ou de protéines virales, les vaccins à ARNm fournissent directement à l’organisme le code génétique (sous forme d’ARNm) d’une protéine virale spécifique, comme la protéine Spike du SARS-CoV-2​.

Le mécanisme repose sur plusieurs étapes :

  • conception de l’ARNm : pour coder une protéine spécifique du virus ;
  • administration : encapsulé dans des nanoparticules lipidiques, qui le protègent et facilitent son entrée dans les cellules ;
  • synthèse de la protéine virale par les ribosomes, une fois installé dans les cellules ;
  • réponse immunitaire : le système détecte la protéine virale et produit des anticorps pour neutraliser le virus si l’individu est infecté ultérieurement​.

L’un des principaux avantages des vaccins à ARNm ? La rapidité de leur développement et de leur adaptation (en cas de mutations virales, comme cela a été le cas avec les variants du SARS-CoV-2). Les maladies génétiques quant à elles, sont causées par des mutations qui altèrent ou empêchent la production de protéines essentielles. Les thérapies géniques à base d’ARNm permettent de corriger ces dysfonctionnements en fournissant les instructions génétiques idoines​. Cette approche est particulièrement prometteuse pour les maladies monogéniques, comme la dystrophie musculaire de Duchenne ou certaines déficiences enzymatiques héréditaires.

Dans le traitement du cancer, l’utilisation de l’ARN messager représente une avancée majeure sur le volet de l’immunothérapie. L’idée : concevoir des ARNm qui codent pour des antigènes spécifiques aux cellules cancéreuses, incitant ainsi le système immunitaire à cibler et à détruire ces cellules. Des vaccins thérapeutiques à ARNm sont en cours de développement pour traiter différents types de cancers, dont celui du poumon. BioNTech a, par exemple, lancé dernièrement des essais cliniques. Des vaccins conçus pour entraîner une réponse immunitaire ciblée contre des mutations spécifiques des cellules cancéreuses.

Dans le traitement du cancer, l’utilisation de l’ARN messager représente une avancée majeure sur le volet de l’immunothérapie

Défis et perspectives de la production d’ARNm

Si le succès des vaccins a mis en lumière l’importance de la production d’ARNm à grande échelle, en produire en quantités suffisantes pour répondre à la demande mondiale reste un double défi. En 2022, produire un kilogramme d’ARNm coûtait entre 25 et 50 millions de dollars : des montants astronomiques. La méthode largement utilisée de synthèse enzymatique in vitro rencontre des freins quant à la mise à l’échelle​.

En 2022, produire un kilogramme d’ARNm coûtait entre 25 et 50 millions de dollars

La complexité du processus est également en jeu. Imaginez : la production d’ARNm commence par la synthèse in vitro à partir d’une matrice d’ADN linéarisé ; ce processus nécessite des enzymes spécifiques, comme l’ARN polymérase, pour transcrire l’ADN en ARNm. Celui-ci est ensuite modifié chimiquement pour le stabiliser et éviter sa dégradation rapide dans l’organisme, avant d’être encapsulé dans des nanoparticules lipidiques. Tout un programme !

L’innovation : la bioproduction in vivo d’ARNm

Des solutions novatrices voient le jour. bYoRNA, start-up bordelaise, utilise une technologie brevetée pour produire de l’ARNm in vivo dans des levures génétiquement modifiées. La méthode : l’utilisation de particules pseudo-virales et la création de rétrosomes, sorte de compartiments intracellulaires qui protègent l’ARNm de la dégradation. Les atouts : le faible coût, la garantie de stabilité et la pureté du produit final. Ce qui le rend plus adapté aux applications thérapeutiques comme les vaccins et les thérapies géniques.

Concilier applications futures et enjeux éthiques

L’avenir des thérapies à base d’ARNm est prometteur, avec des applications potentielles dans la médecine personnalisée, les maladies neurodégénératives ou la régénération tissulaire. À telle enseigne que des recherches sont en cours pour l’utiliser dans le traitement de la maladie de Parkinson ou pour stimuler la régénération tissulaire après une blessure​. Mais ces avancées posent des questions éthiques et réglementaires. La manipulation génétique suscite des débats, et les régulateurs devront rapidement établir des cadres rigoureux pour garantir la sécurité et l’efficacité de ces nouvelles technologies​.

La taille du marché des vaccins représentait 11,3 milliards de dollars en 2022, il devrait croître de 9,6 % d’ici 2032, pour atteindre 27,7 milliards de dollars. L’augmentation de la prévalence des maladies infectieuses, des troubles génétiques et la sensibilisation accrue à la vaccination devraient stimuler la croissance du marché. (Source : mRNA Rapport sur la taille et la part du marché des vaccins, 2032).

Lire l’intégralité de la note de veille sur le site d’Unitec 

3 questions à…

Pascal Viguié et Thierry Ziegler, CEO de bYoRNA, start-up biotechnologique accompagnée par Unitec, spécialisée dans la production d’ARN messager (ARNm) thérapeutique.

 

Comment et pourquoi bYoRNA fabrique-t-elle l’ARNm ?

bYoRNA utilise une technologie brevetée pour produire de l’ARNm in vivo dans des levures eucaryotes (un noyau au sein duquel l’ARNm est transformé et maturé) et qui permet de surmonter plusieurs obstacles rencontrés dans la production traditionnelle d’ARNm in vitro. Plusieurs bénéfices : une efficacité accrue, une sécurité améliorée, une production locale et durable, et une technologie accessible financièrement.

Quels sont vos marchés cibles ?

Celui des vaccins, bien entendu, car la technologie bYoRNA permettrait de développer des vaccins plus efficaces contre de nombreuses maladies infectieuses. L’immunothérapie avec des solutions plus efficaces et surtout moins coûteuses, mais aussi la thérapie génique. Enfin, le remplacement de protéines : notre technologie faciliterait la production de protéines thérapeutiques à grande échelle et à faible coût. Ces marchés sont détenus par des entreprises de biotechnologie, des groupes pharmaceutiques qui cherchent à externaliser la production d’ARNm, et les institutions universitaires et de recherche. Nous prévoyons un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros d’ici 2030, sur un marché de l’ARNm qui double en moyenne tous les trois ans.

Pour quelles raisons vous développez-vous en Gironde ?

bYoRNA se développe ici grâce à un accompagnement entrepreneurial remarquable comme celui que procurent l’incubateur Unitec, l’agence de développement et d’innovation de la Nouvelle-Aquitaine (ADI) et Invest in Bordeaux, à la présence d’établissements de formation réputés comme l’école nationale supérieure de technologie des biomolécules de Bordeaux qui nous a hébergés la première année et un soutien institutionnel fort de la Région Nouvelle-Aquitaine via une subvention pour équiper nos nouveaux laboratoires. La qualité de vie est évidemment un plus, et le fait que nous – c.-à-d. les fondateurs – ayons déjà vécu en région bordelaise rendait ce choix évident.

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