Nous vivons dans une ère où les réseaux sociaux ont une place prépondérante au sein de notre société. En effet, aucun programme politique, aucune information, aucune loi, n’échappe aux avis impitoyables des internautes, qui vont jusqu’à même influencer des décisions de justice, ce qui fut le cas pour l’affaire Jacqueline Sauvage. Certains auteurs y font d’ailleurs référence en parlant de « l’e-justice » ou de la justice de l’internet.1 C’est dans ce contexte qu’est née la clause de garantie de passif éthique dite « clause Weinstein ».
La clause Weinstein dans la pratique contractuelle américaine
Une clause de garantie de passif consiste en ce que le cédant de parts sociales ou d’actions, s’engage à prendre à sa charge tout ou partie des dettes existantes antérieurement à la cession et qui se révéleraient postérieurement à celle-ci. La clause de garantie de passif éthique va plus loin qu’une clause de garantie de passif classique, elle est beaucoup plus spécifique quant au passif qu’elle garantit. En effet, en vertu de cette clause, le cédant s’engage à garantir l’acquéreur de titres sociaux, contre un passif qui apparaîtra en raison d’une violation d’une norme éthique au sein de la société et dont l’origine serait antérieure à la cession des titres2.
Pour comprendre l’origine de la clause de garantie de passif éthique il faut remonter à l’histoire du mouvement MeToo, en décortiquant l’impact que ce dernier a eu sur le monde des affaires, notamment les conséquences financières qu’il a engendrées.
Le 5 octobre 2017 le New York Times publie une vaste enquête de Jodi Kantor et Megan Twohey, deux journalistes d’investigation, sur les agissements du producteur réputé Harvey Weinstein. Ces dernières ont interrogé plusieurs femmes, parmi celles qui ont accepté de témoigner, beaucoup accusent l’homme fort de Hollywood de harcèlement et d’agressions sexuelles sur des actrices, d’anciennes employées, mais encore des célébrités. Cette révélation sur Harvey Weinstein fait l’effet d’une bombe. Aux États-Unis, le mouvement MeToo voit le jour et de nombreuses dénonciations ont lieu sur internet.
En France, cela conduit à la création du hashtag « balance ton porc » par la journaliste Sandra Muller sur les réseaux sociaux. À travers le hashtag elle invite les internautes francophones à dénoncer sous celui-ci les hommes qui les ont harcelées. Quelques jours après le lancement du hashtag « balance ton porc » en France, l’actrice Alyssa Milano a publié un message sur Twitter invitant les femmes victimes à répondre « MeToo » sous son message. Ainsi des centaines, puis des milliers de femmes ont témoigné à leur tour sur le réseau social. Le mouvement MeToo est officiellement lancé. Au-delà des conséquences sociales, ce mouvement aura de nombreuses conséquences juridiques3.
Les conséquences pour la Weinstein Company
Ainsi, le 11 février 2018, le studio Weinstein a fait face à la justice. Le procureur de l’État de New York assigna la Weinstein Company et ses fondateurs, les frères Bob et Harvey Weinstein, pour n’avoir pas protégé leurs employés contre les harcèlements sexuels et intimidations du magnat de Hollywood.4
Le 19 mars 2018, n’arrivant plus à faire face à ses dettes, la Weinstein Company a finalement déposé le bilan et s’était déclarée en faillite devant un tribunal de l’État du Delaware. En effet, depuis le début de la vague d’accusations contre Harvey Weinstein et de la montée en puissance du mouvement MeToo, la société était à l’arrêt depuis près de cinq mois. La société a fait état de ses dettes qui s’élevaient entre 500 000 et 1 million de dollars.
À la suite de ce scandale, d’autres sociétés ont arrêté de collaborer avec la Weinstein Company. C’est l’exemple d’Apple qui a mis fin à son projet de film biographique sur Elvis Presley produit par the Weinstein Company.
L’affaire Weinstein a profondément transformé la pratique contractuelle américaine. En effet, alors que les regards étaient fixés sur Harvey Weinstein et ses actes, une clause particulière du contrat de ce dernier avec la Weinstein Company va attirer l’attention des praticiens du droit, c’est la clause dite « d’inconduite sexuelle » qui lie Harvey Weinstein et sa société.
Cette clause stipule que Harvey Weinstein devra rembourser à la Weinstein Company, toute sortie d’argent de la société en raison d’accusations de harcèlement sexuel de ce dernier. Les praticiens du droit à Wall Street se sont très vite emparés de la technique contractuelle. C’est ainsi que la clause dite « Weinstein » a fait son apparition dans les accords de fusion-acquisition d’entreprises qui sont des opérations très risquées.
Le régime de la clause Weinstein
La clause « Weinstein » n’est rien d’autre qu’une clause de garantie de passif éthique, permettant à celui qui acquiert les titres d’une société de se prémunir contre une éventuelle perte financière, s’il s’avérait que celui qui lui a cédé les titres avait eu un comportement immoral au sein de la société. Permettant ainsi aux cessionnaires des titres de la société de récupérer leur investissement, si jamais l’image publique de la société était profondément entachée, en raison d’un scandale sexuel ou de tout autre type d’affaire au retentissement similaire.
Les garanties conventionnelles sont nombreuses dans le cadre de la cession des titres de société, notamment la clause de garantie de passif proprement dite, la clause de garantie d’actif, la clause de garantie d’actif et de passif évoquée ci-dessus qui est la combinaison des deux clauses, mais aussi la clause de révision de prix ; à l’extrême la pratique a aussi imaginé des clauses de non-garanties pour certains passifs comme le passif environnemental5. Cependant, ces garanties conventionnelles ont leur limite quant à garantir un passif qui résulterait d’un comportement immoral du cédant des titres sociaux.
La clause de garantie de passif éthique vise à protéger l’acquéreur dans le cadre d’une cession des titres sociaux et fait donc naître une obligation à la charge du vendeur. D’ailleurs, son importance se ressent dans les opérations de fusions-acquisitions.
Un impératif dans les opérations de fusion acquisition
Ainsi, dans le cadre d’une opération de fusion-acquisition, la société qui est cédée peut soit maintenir son intégrité, soit être fusionnée avec la société qui l’acquiert, ce qui entraîne sa disparition. De manière générale, les opérations de fusions et acquisitions, sont faites de façon stratégique par le biais de contrats, l’objectif étant d’augmenter la valeur des actions.
Ce qui explique le fait que ces opérations représentent un risque considérable pour les acquéreurs, qui veulent de plus en plus s’assurer que l’entreprise qu’ils achètent est exempte de toute forme de litige en instance, car les coûts associés à la défense de l’employé mis en cause sont extrêmement élevés, mais aussi à l’atteinte à l’image, notamment sur internet. La clause Weinstein est un moyen contractuel efficace permettant de garantir les acquéreurs contre des pertes liées à un scandale qui ternirait l’image et la réputation de la société, en raison d’un acte moralement répréhensible dont le cédant des titres sociaux serait l’auteur.
En définitive, la clause Weinstein s’inscrit définitivement dans un mouvement de moralisation des affaires. Cette clause de garantie de passif éthique est une grande innovation, qui connaîtra certainement un développement dans la pratique contractuelle française, du moins pour les opérations de fusions-acquisitions d’entreprises.