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[ Tribune  ] L’innovation et la protection du secret et des droits en matière de défense

L’innovation dans le secteur de la Défense suppose une vigilance particulière : protection de la propriété intellectuelle, respect du secret des affaires ou du secret-défense, prise en compte de la réglementation sur les biens à double usage. Les entreprises, grandes ou petites, doivent intégrer ces obligations afin de sécuriser leurs projets et préserver leurs droits.

Philippe LEMELLETIER

Me Philippe LEMELLETIER, avocat associé – E-JURIS, ancien Commissaire en chef des armées (r), conseiller du commerce extérieur de la France © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

L’innovation, particulièrement dans le domaine de la Défense, appelle forcément deux réflexes incontournables, les deux étant d‘ailleurs intimement liés :

  • l’intelligence économique, qui est la maîtrise de l’information stratégique ;
  • la protection de la propriété intellectuelle, qui vise à se constituer des droits protégeables sur des créations ;

complétés par un troisième réflexe pour les entreprises travaillant entre autres pour la défense : le respect de la réglementation des biens à double usage.

Principales réglementations

Si les deux premières préoccupations n’échappent pas à la vigilance des entreprises déjà organisées, elles échappent ou elles sont moindres dans les jeunes pousses et start-up de tout genre, où la faisabilité et l’utilisation de l’innovation passent en premier, suivies du financement de la création et la réalisation du projet d’entreprise. Et ces entreprises sont nombreuses, puisque l’on considère qu’environ 350 d’entre elles travaillent en Nouvelle-Aquitaine pour le secteur de la défense.

Cet article a pour but de rappeler les principales réglementations que les spécialistes des questions de défense doivent avoir en tête, surtout s’ils travaillent sur des innovations.

Assurer la confidentialité

Et si la protection juridique implique, tout au long de l’élaboration de l’innovation, de la confidentialité jusqu’à la réalisation d’un dépôt constitutif de droit, la confidentialité peut même se poursuivre, avec ou sans dépôt, dans le cadre de la protection d’un secret d’affaire[1] ou même d’un secret-défense[2], cadre ultime de la protection.

Autant dire qu’il est nécessaire d’assurer cette confidentialité, non seulement dans la nature même de l’innovation, mais aussi dans les échanges entre les personnes qui peuvent intervenir sur ce genre de projet. Pour cela, il est nécessaire d’avoir aussi un minimum de réflexes d’intelligence économique, c’est-à-dire de maîtrise de l’information stratégique, qui passe nécessairement et entre autres, par la maîtrise de règles de sécurité informatique minime, en l’occurrence des règles de cybersécurité.

Il est nécessaire d’avoir aussi un minimum de réflexes d’intelligence économique

Notons aussi que toutes les entreprises travaillant sur des projets utiles pour la Défense – militaire ou économique – peuvent utiliser les ressources mises à disposition par l’État et notamment le système des zones à régime restrictif (ZRR)[3] permettant de contrôler les personnes et les biens impliqués dans un processus d’innovation. Ce système met en place, avec le concours des services de l’administration concernés, une zone (groupe de bâtiments ou un seul, pièce(s) particulière(s) ou autres surfaces) où l’entrée nécessite une autorisation particulière et contrôlée.

Enfin, il faut noter la réglementation afférente à la loi de sauvegarde[4] (communication d’informations à l’étranger). Cette loi, qui fait partie des précautions dont doivent faire preuve toutes les entreprises dans le cadre des opérations de compliance ou conformité, s’impose particulièrement à toutes celles qui élaborent des innovations pour la Défense.

Quel droit protéger ?

La préoccupation des droits est essentielle, car si un concurrent (entreprise ou État) capte les connaissances – les informations – portant sur le projet avant sa mise en place, il peut d’une manière tout à fait légale, obtenir une priorité sur celui-ci, voire pire, il pourra se constituer un droit prioritaire sur l’exploitation, enlevant au créateur français toute possibilité de développer son projet[5]. Sans oublier que la protection des droits n’est que nationale si elle n’est pas étendue à l’Europe ou à d’autres pays.

Après, reste à savoir quel droit doit être protégé. Ce qui impliquera sa détermination dans l’entreprise, avec son conseil et en fonction du type de projet et de ses détails. Ainsi le choix de la protection peut porter : sur le dépôt d’un brevet, ou d’un certificat d’utilité (qui protègent la technique même de l’invention), d’un dessin ou modèle (qui protège la forme de la création), d’une marque (qui protège le signe d’identification), de la topographie d’un semi-conducteur (qui protège les cartes mères), d’une innovation végétale (qui protège les innovations du même nom) – pour mémoire car l’on suppose qu’en matière de défense, l’innovation ne sera pas du domaine du vivant – ou bien la protection d’un logiciel ou d’une base de données (dépôt possible) ou d’un secret de fabrication. Bien plus, le droit d’auteur sera à aborder, puisque – on le sait moins – c’est ce droit qui est mis en œuvre pour la protection des logiciels[6].

Plus difficile à protéger sera un savoir-faire particulier, encore qu’avec la loi sur le secret des affaires cette protection peut être organisée. Enfin, il convient de penser au système de l’enveloppe Soleau qui peut rendre de grands services en matière de protection des droits et assure une certaine confidentialité. De même que la réflexion devra porter sur le coût à venir de la protection et à compter de quel moment cette protection s’avérera utile.

La réflexion devra porter sur le coût à venir de la protection

De plus, notons pour mémoire que la Défense possède un privilège particulier, qui est celui d’obtenir une licence d’office pour toutes les inventions présentant pour elle un intérêt majeur (art L.613-19 et -20 du CPI) et même d’en obtenir interdiction de divulgation, voire l’expropriation. L’État possède d’ailleurs également ce droit de licence en matière de défense économique.

Quant aux biens à double usage[7], civil et militaire, il convient de tenir compte de la réglementation européenne qui se retrouve dans le Code de la Défense et qui oblige à une procédure particulière, pour leur élaboration et leurs transferts.

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