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Travailleurs étrangers : Un enjeu stratégique pour les entreprises

Le recrutement de travailleurs étrangers peut constituer une réponse stratégique aux tensions du marché de l’emploi, mais il expose les entreprises à un cadre juridique complexe et exigeant. Entre procédures longues, autorisations multiples et risques de sanctions, chaque embauche doit être sécurisée avec la plus grande vigilance.

Me Thibault Saint-Martin, Me Clara Choplin et Me Lisanne Chamberland-Poulin, Hope Avocats, Bordeaux © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

Pour les entreprises installées en France, recruter un ressortissant étranger peut être une chance : accéder à des compétences rares, répondre à une pénurie de main-d’œuvre, ou simplement sécuriser la continuité d’activité dans un secteur sous tension. Mais cette opportunité s’accompagne d’un environnement juridique complexe, où une erreur peut coûter cher : nullité du contrat de travail, sanctions financières, voire pénales, et fragilisation de l’image de l’entreprise.

Pour rappel, les citoyens de l’Union européenne (UE), de l’Espace économique européen et de la Suisse, bénéficient d’un droit prioritaire d’accès au marché du travail français sans formalité particulière. Sont donc concernés tous les ressortissants de pays tiers à l’UE, y compris ceux détenant un titre de séjour délivré par un État membre de l’UE.

La possession d’un droit au séjour n’emporte pas systématiquement un droit direct à l’emploi. Si la carte « vie privée et familiale » ou la carte de résident permettent au salarié d’exercer toute activité professionnelle, d’autres titres nécessitent une vigilance accrue. Les cartes « salarié » ou « travailleur temporaire » supposent une autorisation de travail, liée à un contrat et à un employeur précis. Les étudiants étrangers ne peuvent travailler qu’à temps partiel, et les saisonniers sont limités à six mois par an. Même le récépissé délivré dans l’attente d’un renouvellement n’offre pas toujours de droit au travail : tout dépend de la mention qui y figure.

Les étudiants étrangers ne peuvent travailler qu’à temps partiel, les saisonniers sont limités à six mois par an

Autrement dit, pour l’entreprise comme pour le salarié, chaque situation doit être vérifiée avec soin.

Deux grands scénarios se rencontrent aujourd’hui dans la pratique. Le premier est celui de l’introduction légale d’un travailleur étranger résidant hors de France. Le second est celui des salariés déjà présents sur le territoire sans titre, mais qui peuvent, dans certains cas, obtenir une régularisation grâce à leur activité professionnelle. Les modalités sont différentes selon le cas, ainsi, pour les entreprises, comme pour les professionnels du droit et du chiffre qui les conseillent, le sujet n’est donc pas seulement juridique : il est stratégique.

Faire venir légalement des ressortissants de pays tiers ?

Le recrutement d’un salarié étranger est un processus qui nécessite entre quatre et six mois. Cette durée impose une anticipation rigoureuse de la part de l’employeur, qui devra définir ses besoins et caractériser précisément le poste à pourvoir. Si celui-ci figure sur la liste fixée par l’arrêté du 21 mai 2025 sur les métiers en tension, l’administration n’opposera pas la situation de l’emploi, et l’employeur pourra solliciter directement une autorisation de travail.

À l’inverse, si le poste envisagé ne relève pas d’un métier en tension, l’employeur devra préalablement publier une offre d’emploi pendant trois semaines via un acteur du service public de l’emploi (tel que France Travail), puis apporter la preuve, au moment de la demande d’autorisation de travail, soit de l’absence de candidatures, soit de l’inadéquation des profils reçus au regard des exigences du poste.

Ensuite, l’autorisation de travail, mal nommée s’agissant plutôt d’une autorisation d’embaucher, doit être sollicitée en ligne par l’employeur. Le salarié ne peut en aucun cas en faire la demande à titre personnel. L’administration examinera la conformité du poste (rémunération, adéquation du profil retenu) et la situation de l’employeur au regard de la réglementation du travail, puis délivrera l’autorisation de travail dans un délai moyen de quatre semaines. En cas de refus, l’employeur pourra exercer un recours contentieux devant le tribunal administratif compétent.

Dès l’obtention de l’autorisation de travail, le futur salarié devra déposer une demande de visa auprès des autorités consulaires françaises du pays dans lequel il réside. Cette demande s’effectue en ligne, puis auprès du consulat. Il est impératif de rappeler que l’autorisation de travail ne garantit pas la délivrance du visa. À défaut de réponse sous deux mois ou en cas de refus explicite, une procédure contentieuse est possible.

En cas d’acceptation, le salarié recevra un visa de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) sous la forme d’une vignette apposée directement sur son passeport.

Régulariser par le travail un étranger en situation irrégulière ?

La régularisation par le travail, autrement dite l’admission exceptionnelle au séjour, tient compte d’une réalité, celle de la présence sur le territoire français d’étrangers entrés ou restés irrégulièrement et y travaillant depuis plusieurs années. Toutefois, cette voie, qui se matérialise par le dépôt d’une demande de titre de séjour auprès de la préfecture du lieu de résidence, présente un caractère dérogatoire et très exceptionnel. Les possibilités diffèrent selon que l’emploi exercé soit considéré comme « en tension » ou non.

La loi du 26 janvier 2024, dite « Loi Darmanin » sur l’immigration, n’a rien inventé concernant la régularisation pour un travailleur occupant un emploi considéré comme un métier en tension, elle a simplement intégré un article spécifique à ce type de régularisation administrative dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) : l’article L.435‑4 du CESEDA qui prévoit les conditions pour qu’un étranger se voie délivrer un titre de séjour « travailleur temporaire ou salarié ».

Pour l’essentiel, il doit cumuler, au moment de la demande, une activité salariée dans un métier en tension depuis 12 mois, au cours des 24 derniers mois et vivre en France depuis au moins 3 ans. Il doit faire preuve d’une bonne intégration, de la maîtrise de la langue française et d’une absence de mention de condamnation pénale au B2, tout en ne représentant pas de menace pour l’ordre public. En outre, l’arrêté du 21 mai 2025 a mis à jour la liste des métiers en tension par région, incluant pour la Nouvelle-Aquitaine, des métiers rencontrant des difficultés de recrutement tels qu’aide-ménager, cuisinier et divers emplois du bâtiment.

Seule véritable innovation de la loi Darmanin, le travailleur sans titre peut désormais déposer lui-même sa demande de titre de séjour, sans dépendre d’une demande d’autorisation de travail déposée par son employeur. Toutefois, il est à noter qu’en pratique, il existe une grande disparité dans la mise en œuvre du dispositif selon les préfectures.

Enfin, deux points de vigilance : ce système n’est pour le moment en vigueur que jusqu’au 31 décembre 2026, et les ressortissants algériens ne sont pas admissibles à ce dispositif. S’agissant des emplois qui n’entrent pas sous l’étiquette des métiers en tension la régularisation est encore plus incertaine. Dans cette hypothèse, l’employeur retrouve un rôle actif aux côtés du demandeur, en ce qu’il doit démontrer l’impossibilité de recruter et l’adéquation du profil du salarié étranger.

Même en présence de dossiers qui peuvent sembler qualitatifs tant sur la durée d’emploi que de séjour, la Préfecture conserve un pouvoir d’appréciation totalement discrétionnaire pouvant conduire au rejet de la demande et à l’adoption d’une obligation de quitter le territoire (OQTF) à l’encontre de la personne étrangère.

Un processus structuré et long

En conclusion, recruter ou régulariser un salarié étranger ne s’improvise pas. Il s’agit d’un processus structuré, relativement long, et qui requiert à la fois engagement de l’employeur, réactivité du futur travailleur et rigueur dans le suivi des démarches. L’accompagnement par un avocat s’avère souvent précieux pour anticiper les écueils administratifs et garantir la sécurité juridique du projet de recrutement.

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