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Associer ses salariés aux performances de l’entreprise

Cycle du droit des affaires (3/5) - Impliquer, fidéliser, créer une cohésion dans l'entreprise : les raisons de recourir aux dispositifs d'actionnariat salarié sont nombreuses. Ils permettent à une entreprise d'associer ses salariés à son capital. Quels sont les outils juridiques d'association d'un salarié ? Quelles contraintes y sont associées ? Éléments de réponse.

Conny KNEPPER, avocat associé au Barreau de Bordeaux et du Luxembourg, CMC AVOCATS © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

Plus que jamais, il apparaît que le challenge des entreprises françaises, peu importe leur taille, réside dans la recherche et l’embauche de nouveaux talents, ainsi que la pérennisation de ses équipes. En effet, il semble clair que la nouvelle génération a mis l’accent non seulement sur une recherche de contrepartie financière, mais également sur une quête de sens au travail et de richesse extra-économique que peut lui procurer une entreprise.

Néanmoins, une entreprise est aussi là pour générer des bénéfices et permettre à ses salariés de gagner correctement leur vie. Les start-up l’ont compris, les investisseurs aussi : l’association des salariés au capital de l’entreprise peut être gagnant-gagnant, à condition de bien choisir le mécanisme d’intégration et de l’encadrer dans le temps.

L’enjeu est crucial. Il s’agit pour un salarié d’être récompensé de ses efforts au service du développement de l’entreprise et pour un dirigeant de fidéliser ses forces clés, sans toutefois mettre en péril son développement par l’intégration d’une nouvelle catégorie d’actionnariat salarié.

I – Les outils juridiques d’association d’un salarié

Il existe en droit français plusieurs moyens pour associer ses salariés. En effet, on peut distinguer les voies « classiques » de l’association que sont la cession de titres à des salariés ou l’augmentation de capital afin de créer de nouvelles actions cédées aux salariés, des mécanismes moins connus et plus spécifiquement dédiés à l’association des salariés.

Une entreprise peut ainsi émettre différents « bons » permettant à ses salariés d’acquérir, s’ils le souhaitent, des actions à des conditions en principe plus avantageuses que celles du marché :

1. Les stock-options, qui permettent d’accorder une option d’achat ou de souscription d’actions à ses salariés, que ces derniers pourront lever selon les conditions définies par l’entreprise émettrice dans le plan de stock-options. Ce mécanisme est réservé aux seuls salariés ou mandataires sociaux de l’entreprise. Le régime fiscal de ce mécanisme a connu de profondes modifications depuis 2012. Les stock-options sont exonérées de l’impôt sur le revenu à certaines conditions, notamment de détention minimum de 5 ans, mais sont cependant soumises aux prélèvements sociaux. Ce sont souvent les grandes entreprises établies (Apple, Google…) qui offrent des stock-options à leurs salariés, même si les entreprises non cotées peuvent aussi en émettre.

2. Les bons de souscription d’actions (BSA) qui ont le même objectif que les stock-options, mais qui visent un public plus large que les seuls salariés puisqu’ils peuvent également être proposés à des tiers de la société et bénéficient d’une plus grande souplesse dans leur mise en œuvre. Notamment, ils sont adaptables aux différentes contraintes que les investisseurs souhaitent imposer à des managers via des « management package » (ensemble des outils d’intéressement ou participation au capital offerts aux cadres ou dirigeants) ou des « ManCo » (sociétés holdings dans lesquelles sont logées les participations de cadres ou dirigeants).

3. Les bons de souscription des parts de créateurs d’entreprise (BSPCE) qui permettent également l’attribution gratuite de bons conférant le droit de souscrire à des actions à un prix fixe, et ce pendant une période donnée. Il s’agit toutefois d’un régime particulier et qui n’est réservé qu’à certaines entreprises. Ainsi, l’entreprise émettrice doit être créée depuis moins de 15 ans et son capital détenu directement ou indirectement pour au moins 25 % par des personnes physiques. Elle doit, en outre, être soumise à l’impôt sur les sociétés et ne pas avoir été créée dans le cadre d’une opération de concentration, restructuration, extension ou reprise d’activité. À la différence des deux mécanismes précédents, les BSPCE bénéficient d’un régime fiscal particulier consacré à l’article 163 bis G du C.G.I., ce qui peut le rendre d’autant plus attractif pour les salariés concernés. L’émission des BSPCE est un instrument financier intéressant en forte croissance. Aussi, les entreprises peuvent notamment les utiliser en faisant des pools de catégories de salariés distinguant les conditions d’exercice (par exemple, couplant celles des managers à la performance du Taux de Rentabilité Interne).

L’émission des BSPCE est un instrument financier intéressant en forte croissance

4. Les attributions gratuites d’actions (AGA) qui permettent à certaines catégories de salariés (jusqu’à 10 % du capital social) ou à tous les salariés (jusqu’à 30 % du capital social) de se voir attribuer des actions gratuitement à une valeur prédéterminée. Dans le cadre de ce mécanisme, le salarié devra respecter deux périodes distinctes : une première période dite d’acquisition durant laquelle le salarié s’engage à rester dans l’entreprise, mais n’est pas encore propriétaire des actions. Puis, après l’acquisition, une seconde période dite de conservation minimale pendant laquelle le salarié s’engage à conserver ses actions. Le cumul des périodes d’acquisition et de conservation ne peut pas être inférieur à 2 ans. Ce mécanisme permet aussi bien de fidéliser le salarié en l’intéressant au capital, que de garantir le chef d’entreprise du maintien de ses équipes dans la structure du fait de la période de blocage. De plus, ce régime bénéficie également d’un régime fiscal favorable, et notamment l’exonération des cotisations de sécurité sociale (salariale et patronale), à condition de respecter les conditions de mise en œuvre.

Le choix parmi l’un de ces mécanismes doit s’opérer après une étude juridique et fiscale approfondie, tant de la situation de l’entreprise et de son actionnariat déjà en place, que des objectifs recherchés pour l’entreprise comme pour les bénéficiaires.

II – Les contraintes générales de ces mécanismes

Dans le cas où une société voudrait mettre en place un de ces outils pour intéresser ses salariés au capital, celle-ci devra être structurée sous forme de SA, SAS ou de SCA. À défaut, il faut avant tout qu’elle procède à un changement de sa forme sociale. Attention toutefois, cela peut entraîner des conséquences fiscales et sociales autres et notamment changer le régime social du dirigeant associé majoritaire, qui en SARL est celui des travailleurs non-salariés, contrairement à la SAS où le régime des assimilés salariés s’applique.

Il convient en outre de vérifier que l’entreprise désireuse d’utiliser un de ces moyens juridiques particulier d’association des salariés, remplit les autres critères imposés par la loi à cet effet. Par exemple, elle ne peut attribuer des actions gratuites ou des BSPCE à des salariés, qui, par ailleurs, sont déjà des associés de la société.

Par ailleurs, l’ensemble de ces outils d’association des salariés est aujourd’hui confronté à un risque de requalification fiscale et sociale en traitements et salaires et ce suite à un revirement de la jurisprudence du Conseil d’État.

Par trois arrêts de principe du 13 juillet 20211, le Conseil d’État a estimé que les gains issus des cessions de l’exercice des BSA étaient en réalité un revenu non pas de cession de valeur mobilière, mais un revenu lié à l’activité de leur propriétaire, soit de dirigeant ou de salarié. Il a par conséquent imposé ces gains dans la catégorie des traitements et des salaires. Cette position a été également celle adoptée par la Cour de cassation en matière de cotisations sociales et ce afin d’assujettir les plus-values de cession aux cotisations sociales.2

Ce risque de requalification est d’autant plus avéré lorsqu’il s’agit des outils non soumis à un régime fiscal particulier, et qu’ils dépendent des régimes généraux, ce qui est notamment le cas des BSA.

Par conséquent, un soin particulier devra être apporté à la rédaction des clauses contractuelles de mise en œuvre de ces régimes afin notamment d’éviter l’existence d’un lien trop étroit entre l’investissement au capital et l’activité du salarié, ce qui constituerait une preuve supplémentaire pour l’administration fiscale de considérer les gains issus de la participation au capital comme un complément de salaire.

III – La nécessité d’un encadrement contractuel de l’association des salariés

Que ce soit dans le cadre d’une ManCo ou d’un pacte d’actionnaires, il convient d’encadrer l’association des salariés et dirigeants d’entreprise par des clauses contractuelles.

Ainsi, il faut prévoir avec précision les éventuelles étapes d’investissement, les contraintes d’exercice des options de souscription des actions ou encore le calendrier d’exercice de ces options (vesting). Les investissements sont souvent conditionnés à la présence du salarié dans l’entreprise.

En parallèle, les pactes d’associés doivent aussi encadrer les différentes hypothèses de départ de l’entreprise des associés salariés, que ce soit volontairement ou non (clause de good ou bad leaver). Souvent, il est alors prévu qu’ils doivent céder leurs actions et, en fonction de leur cas de sortie, une décote de valorisation est appliquée.

Parmi les autres clauses à prévoir, il est notamment opportun pour l’associé majoritaire de prévoir une clause d’entraînement qui permet d’obliger les associés salariés à céder leurs titres en cas de cession globale d’entreprise (clause de drag along) et ce, dans un but très clair d’éviter qu’une minorité de blocage puisse faire échec à des nouvelles levées de fonds ou à une cession globale de la société.

 

L’Institut du droit des affaires du Barreau de Bordeaux

L’IDABB regroupe une centaine d’avocats inscrits au Barreau de Bordeaux, experts en droit des affaires et procédures commerciales. Il s’est donné pour mission de proposer aux entrepreneurs un accompagnement global afin que le droit soit l’outil qui permette le développement, l’optimisation et la protection de leurs projets et de la valeur de leurs actifs. Il propose des consultations gratuites, organise des interventions auprès des entreprises et assure la diffusion de l’information fiscale et juridique.

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