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SAS : Un président peut en cacher un autre

TRIBUNE - La gouvernance d'une SAS avec directoire et conseil de surveillance revêt quelques subtilités, notamment concernant la rémunération du président du conseil de surveillance. Décryptage de ces particularités à travers une décision récente de la Cour de cassation.

Arnaud SAINTE MARIE, avocat, FIDAL

Me Arnaud Sainte Marie © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

La gouvernance d’une SAS est normalement assurée par le seul président de la SAS. Mais en miroir de la SA, un directoire et un conseil de surveillance peuvent être mis en place. Pour la SA, le Code de commerce encadre le rôle et les pouvoirs du directoire et du conseil de surveillance. Dans une SAS, ce sont les statuts qui fixent l’organisation et les pouvoirs des organes de direction et de contrôle (article L. 227-5 du Code de commerce).

  • Normalement, le directoire dirige la société et le conseil de surveillance contrôle la gestion du directoire

Dans une SA, le directoire agit au nom de la société. Il la dirige et l’administre. La rémunération des membres du directoire, dont celle du président, est soumise à cotisations sociales.

Le conseil de surveillance exerce en permanence le contrôle de la gestion du directoire (article L. 225-68 alinéa 1 du Code de commerce). Son contrôle porte sur la régularité des comptes mais aussi sur l’opportunité des actes de gestion du directoire. Son autorisation est requise pour les cautions, avals et garanties (article L. 225-68 alinéa 2 du Code de commerce).

Les statuts peuvent enfin subordonner à l’autorisation préalable du conseil de surveillance certaines décisions du directoire portant sur des opérations telles que des emprunts importants, des acquisitions ou ventes d’immeubles au-delà d’un certain montant, des prises ou cessions de participation.

Conformément aux dispositions du Code de commerce, les membres du conseil de surveillance (parmi lesquels le président ou le vice président) peuvent bénéficier d’une rémunération. Cette rémunération a la nature de revenus de capitaux mobiliers et n’est pas soumise à cotisations, sauf CSG / CRDS et forfait social.

Ainsi, les pouvoirs dévolus par le Code de commerce au conseil de surveillance d’une SA sont encadrés et empêchent normalement toute immixtion du conseil de surveillance dans la gestion de la société, rôle réservé au seul directoire. Évidemment et si dans les faits une telle immixtion a lieu, il existe un risque important que le président du conseil de surveillance soit qualifié de dirigeant et que sa rémunération soit soumise à cotisations.

Souvent les statuts de la SAS à directoire et conseil de surveillance vont reprendre les pouvoirs et limites prévus par le Code de commerce pour ces organes dans la SA. Cependant et via les statuts, les associés de la SAS peuvent accorder des pouvoirs accrus au conseil de surveillance et donc à son président et ce d’autant, si l’un des associés occupe ce mandat.

Via les statuts, les associés de la SAS peuvent accorder des pouvoirs accrus au conseil de surveillance

  • Un président du conseil de surveillance souvent « augmenté » dans la SAS du fait de la logique dans laquelle s’inscrit la mise en place d’un directoire et d’un conseil de surveillance dans ce type de société

La SAS avec directoire et conseil de surveillance permet dans une société « familiale » de s’inscrire dans un processus de transmission et de transition. Souvent la SA avec conseil d’administration est transformée à cet effet, ou la SAS qui jusqu’alors ne comprenait qu’un seul président se voit dotée d’un directoire et d’un conseil de surveillance.

L’ex-dirigeant de la SA ou de la SAS « passe la main » au nouveau dirigeant et président du directoire (son enfant par exemple) tout en gardant en sa qualité de président du conseil de surveillance « un œil » sur la gestion, rassurant ainsi clients, fournisseurs et partenaires.

Jusqu’en 2018, ce schéma permettait aussi sur le plan fiscal à l’ancien dirigeant d’être exonéré de l’ISF sur la valeur des titres de la société qu’il conservait en pleine propriété et/ou en usufruit lorsqu’il exerçait un des mandats prévu par le Code général des impôts, parmi lesquels le mandat de président du conseil de surveillance.

Le danger est alors que l’ancien dirigeant, désormais président du conseil de surveillance, excède les prérogatives habituelles du conseil de surveillance et que, de par les statuts ou dans les faits, il outrepasse son simple rôle de contrôler a posteriori la gestion opérée par le directoire. Autrement dit, le danger est que le président du conseil de surveillance s’immisce dans la gestion et/ou la représentation de la société.

 

  • Une immixtion dans la gestion sanctionnée par l’Urssaf

Lorsqu’elle estime que le président du conseil de surveillance participe à la gestion et/ou à l’activité de l’entreprise, l’Urssaf réintègre sa rémunération dans l’assiette des cotisations sociales, opérant un redressement qui peut se révéler conséquent si la rémunération accordée au président s’avère non négligeable.

Lorsqu’elle estime que le président du conseil de surveillance participe à la gestion et/ou à l’activité de l’entreprise, l’Urssaf réintègre sa rémunération dans l’assiette des cotisations sociales

L’un des moyens de droit sur lequel s’appuie l’Urssaf est l’article L. 311-3-23° du Code de la sécurité sociale indiquant que sont affiliés au régime général d’assurances sociales « les présidents et dirigeants » de SAS. L’Urssaf apprécie la notion de dirigeant au sens générique et estime que, dans une SAS, doit être considéré comme ayant cette qualité, tout mandataire, autre que le président quel que soit son mandat. L’Urssaf en conclut donc que le président du conseil de surveillance de la SAS doit être considéré comme ayant la qualité de dirigeant et que sa rémunération doit être soumise à cotisation.

Cette position est critiquable. En effet et en application de la jurisprudence, le dirigeant se définit comme celui qui accomplit de façon habituelle des actes d’administration et de gestion (notamment Cass. Crim. 2 février 1990 n° 88-87.151), ce qui normalement n’est pas le cas du président du conseil de surveillance.

En conséquence et au regard de l’article susmentionné, il apparaît que, sauf immixtion dans la gestion à démontrer par l’Urssaf, le président du conseil de surveillance n’a pas à être affilié au régime général.

L’Urssaf s’appuie aussi sur des éléments de fait qui sont le plus souvent :

– les statuts de la SAS lorsqu’ils prévoient que le directoire doit obtenir l’autorisation préalable du conseil de surveillance pour des autorisations autres que celles prévues par le Code du commerce pour les SA (cautions, avals, garanties…) : autorisation préalable pour choisir certains fournisseurs, accepter certains marchés, ou pour certaines embauches…

– des constats : notes de frais démontrant la participation régulière du président du conseil de surveillance à des repas d’affaires, voiture de fonction, billets de train ou d’avion attestant de nombreux déplacements professionnels, bons de commande ou devis signés par le président du conseil de surveillance…

 

  • Prenant en compte un faisceau d’indices, la Cour de cassation suit la position de l’Urssaf

Dans un arrêt récent n° 21-25.175 du 1er février 2024, la 2e chambre civile de la Cour de cassation confirme l’arrêt d’une cour d’appel ayant estimé justifier la réintégration par l’Urssaf de la rémunération d’un président et d’un vice-président du conseil de surveillance d’une SAS dans l’assiette des cotisations, au motif que :

– la SAS était avant une SA et le président du conseil de surveillance était l’ancien PDG de la SA ;

– le directoire était constitué de membres de la famille du président du conseil de surveillance ;

– les statuts prévoyaient que le directoire ne pouvait accomplir certains actes sans l’autorisation préalable du conseil de surveillance, limitant ainsi son pouvoir de décision, le président du conseil de surveillance possédait avec son épouse (vice-présidente) la majorité du capital de la société ;

– le président et la vice-présidente percevaient une rémunération supérieure à celle des membres du directoire.

Pour la Cour de Cassation le président et la vice-présidente accomplissaient ainsi des actes positifs de gestion et de direction et revêtaient la qualité de dirigeant. Le redressement était donc justifié.

Pour la Cour de cassation, on ne peut donc être et avoir été !

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