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Rôle et avenir de l’avocat postulant

TRIBUNE - Si les missions de rédacteur d’acte ou de plaideur de l’avocat sont bien connues, la mission d’avocat postulant est souvent ignorée du public. Bien que plus discrète et souvent technique, elle est fondamentale pour la régularité des procédures où la loi la rend obligatoire. Elle répond à des règles textuelles précises et n’est pas sans risques tant pour celui qui confie la mission que pour celui qui l’exécute.

Me Pierre Fonrouge, Me Philippe Leconte

Me Pierre Fonrouge et Me Philippe Leconte © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

La postulation, qu’est-ce que c’est ?

Définir ce qu’est la postulation n’est pas évident. Le code de procédure civile ne le fait pas lui-même. S’il y est fait une distinction dans les missions de l’avocat entre la représentation et l’assistance, les mots « postulant » ou « postulation » ne figurent pas dans le code de procédure civile mais dans la loi du 31 décembre 1971 relative à la profession d’avocat.

En particulier, l’article 5 dispose que « Les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l’article 4.

Ils peuvent postuler devant l’ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel.

Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l’aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l’affaire chargés également d’assurer la plaidoirie. »

La Cour de cassation dans un arrêt du 28 janvier 2016 a jugé que « la postulation consiste à assurer la représentation obligatoire d’une partie devant une juridiction » et qu’« un avocat ne postule pas lorsque la représentation n’est pas obligatoire » (Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n° 14-29.185, F-P+B+I).

Quelle est la mission de l’avocat postulant ?

Le choix de l’avocat postulant est fait le plus souvent par l’avocat « direct » du client (le « dominus litis »). Sauf cas particulier, le dominus litis échangera seul avec le postulant car les échanges sont de nature principalement technique. De même, il sera fréquemment convenu que le postulant ne correspondra pas avec le client. Cependant, même si le postulant endosse ce rôle discret, sa mission est fondamentale au bon déroulement de la procédure.

Le choix de l’avocat postulant est fait le plus souvent par l’avocat « direct » du client

Un fois qu’il a reçu le mandat, l’avocat postulant s’identifie auprès de la juridiction et de ses confrères adverses. Il le fait par le biais de la clé électronique du Réseau Privé Virtuel des Avocats (RPVA). Sa constitution fait de lui le représentant de la partie. Tous les actes de la procédure, toutes les pièces devront transiter par lui et lui seul. Dans le cadre de l’instance pour laquelle il intervient, le postulant recevra ou établira les actes à régulariser qu’il transmettra à la juridiction et à ses confrères adverses afin de respecter le principe du contradictoire.

Mais, malgré cette apparente simplicité, la vie du postulant n’est pas un long fleuve tranquille tant sont nombreux les pièges liés à la compétence territoriale et d’attribution des juridictions, aux incidents de procédure, aux jonctions, disjonctions des instances, sursis à statuer, expertises, appels en cause ou encore à la formulation des prétentions dans les conclusions. Il faut donc tordre le cou à une formule facile, voire une idée reçue : l’avocat postulant ne doit pas être vu comme une simple boîte à lettres. Il se doit d’assumer et de sécuriser les choix procéduraux qui lui sont dévolus. Il est un avocat de plein exercice investi d’une mission de conseil qui va former, le temps du procès, un duo avec son dominus litis tant vis-à-vis des confrères adverses que des juridictions.

Au regard des règles liées à la territorialité liée à la postulation il lui est également nécessaire de bien connaître le découpage des différents barreaux et des différentes cours d’appel mais aussi les règles de compétence des juridictions car le défaut de constitution ou la constitution d’un avocat non habilité constitue une irrégularité de fond et un risque de responsabilité.

Il se doit d’assumer et de sécuriser les choix procéduraux qui lui sont dévolus

Utilité de la postulation

L’utilité de la postulation dépend de la conception de la mission qui est confiée et de la manière dont elle est exécutée. Si le dominus litis n’utilise les services de son confrère qu’en considération du caractère obligatoire de la représentation, celui-ci se prive alors à la fois d’un regard extérieur mais aussi de la connaissance des contraintes, des délais, des contrats de procédure ou encore des habitudes des juridictions locales.

Réciproquement, le postulant doit revendiquer un rôle proactif. Durant le temps de la procédure dont il a été saisi, l’avocat postulant est comptable des actes régularisés mais aussi et surtout des délais. Un délai de procédure dépassé peut se traduire par une caducité, une irrecevabilité, une prescription, une péremption ou toute sanction risquant de faire perdre son procès au client. La procédure d’appel est le meilleur exemple de cette technicité. En douze ans, cette procédure est devenue la première cause de sinistre des avocats et en la matière le postulant est en première ligne.

Postuler… et être bien assuré

On ne saurait trop recommander aux avocats postulants de souscrire une assurance complémentaire à la garantie de base de leur barreau tant le risque professionnel peut rapidement être dépassé soit au regard de ses enjeux initiaux soit du fait de l’évolution du litige pendant le cours de la procédure.

La procédure doit-elle devenir une spécialité ?

En théorie, la procédure devrait être suffisamment simple pour permettre à tout avocat d’intervenir sans risque devant toutes les juridictions. La théorie est hélas loin de la pratique par l’effet de textes de procédure éminemment complexes.

Un groupe de travail magistrats, greffiers avocats auquel nous avons collaboré à Bordeaux en fin d’année 2023 avait transmis des propositions communes de simplification à la DACS (Direction des Affaires Civiles et du Sceau). Ces propositions n’ont que très partiellement été retenues par le décret paru le 29 décembre 2023 qui entrera en vigueur le 1er septembre 2024.

La procédure civile va rester encore longtemps pleine de chausse-trappes tant en appel qu’en première instance. Ce constat nous impose de nous adapter. Les spécialités sont à ce titre de bons outils.

Actuellement, la seule spécialité permettant d’identifier un avocat susceptible d’assurer ses missions de postulation est la spécialité en procédure d’appel. Cette spécialité a été accordée par la loi aux anciens avoués à la cour supprimés au 1er janvier 2012. Mais la loi date de 2011 et le nombre d’anciens avoués ainsi que les collaborateurs ayant réussi l’examen d’avoué qui ont bénéficié de la spécialité diminue chaque année. Or, la mission de l’avocat postulant, héritière des missions dévolues aux anciens avoués, qu’ils soient d’instance ou à la cour, est technique et a vocation à le rester. Il apparaît désormais nécessaire de permettre d’identifier les avocats praticiens habituels des procédures au sens large par une spécialité que nous appelons de nos vœux.

Philippe LECONTE et Pierre FONROUGE, anciens avoués à la cour et spécialistes en procédure d’appel ont fondé Lexavoué bordeaux en 2012. Philippe ROGER associé de KPDB les a rejoints en 2022. Leur cabinet est devenu au 1er janvier 2024 « KPDB interbarreaux » avec l’inscription de Philippe LECONTE au barreau de Paris. Ils interviennent pour leurs confrères et leurs clients à la fois devant les tribunaux judiciaires et les cours d’appel de Bordeaux et de Paris.

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