Plus de 58 % d’abstention. C’est ce triste record de la plus faible participation enregistrée à des élections municipales (encore battu de 10 points lors des régionales et départementales de 2021), qui a mené à la création de l’association Civicpower en 2020. « Nous avons souhaité apporter des pistes de solutions à la lutte contre l’abstention, en particulier pour favoriser le vote des jeunes, en nous engageant en faveur d’une démocratie numérique, à travers le développement d’outils technologiques », explique Marion Le Blanc, cofondatrice et secrétaire générale de Civicpower. Avec un objectif ambitieux : « être une option de vote pour la présidentielle de 2027 », annonce-t-elle.
LEADER DES APPLICATIONS CITOYENNES
L’association a ainsi développé une plateforme réunissant un ensemble de services « qui visent à intéresser les citoyens à la chose publique » : un outil de vote en ligne gratuit, open source et sécurisé par la blockchain, permettant par exemple d’organiser des référendums d’initiative citoyenne ; un moteur de simulation de second tour de la présidentielle 2022, illustrant le mécanisme de report des voix ; et depuis février, elle s’est associée avec la civic tech NosLois*, outil gratuit de simplification des travaux parlementaires et de mise en relation avec les élus, dont les 225 000 usagers ont rejoint les 15 000 utilisateurs de Civicpower pour former le leader des applications citoyennes.
* L’application NosLois a été la 2e application la plus téléchargée sur l’App Store en France en janvier 2021
AUTHENTIFICATION DES VOTANTS
Le cœur du développement de Civicpower portant sur son application de vote en ligne, une seconde entité, la société Votelab SAS, a été créée, afin de développer des services premium et de les commercialiser. « Nous apportons un dispositif technologique sécurisé, ergonomique, facile d’accès et multidevices. Nous proposons en prestation de services l’accompagnement, le conseil, la gestion de projet, l’exécution et le support de la plateforme. Mais surtout, nous mettons à disposition de nos clients une option d’authentification des votants reposant sur un système de vérification complexe », détaille Jean-Sébastien Suze, directeur général de Votelab. En revanche, la partie identification et les données personnelles des votants, elles, sont gérées dans l’association, et la société n’y a pas accès. « C’est la garantie pour les utilisateurs que leurs données personnelles sont protégées, et qu’elles ne seront jamais divulguées ou commercialisées », insiste Marion Le Blanc.
L’identification et les données personnelles des votants sont gérées dans l’association pour garantir leur protection et leur anonymat
UN MARCHÉ ENTRE 50 ET 100 MILLIONS D’EUROS EN 2022
Cette séparation entre d’un côté l’association Civicpower et de l’autre la SAS Votelab a également permis aux deux entités d’avoir deux modes de financement différents répondant à une même priorité : « rester indépendant et avoir les moyens de cette indépendance », résume Jean-Sébastien Suze. L’association reçoit ainsi des adhésions et des dons, tandis que la société a réalisé une levée de dette sous la forme d’une ICO (Initial coin offering) : elle a vendu 23 millions de ses cryptoactifs, les POWER, pour un montant de 3,5 millions de dollars à 2 700 citoyens. « Cette ICO, la plus importante réalisée en France en civic tech ces 5 dernières années, nous a permis de rendre l’entreprise autonome, indépendante et en capacité de financer les développements, les embauches… », assure le directeur général de Votelab.
Désormais, l’entreprise, qui évolue sur un marché représentant 30 millions d’euros en 2021 et estimé entre 50 et 100 millions d’euros en 2022, propose sa solution de vote en ligne aux collectivités, leur permettant d’organiser des votes en conseil municipal ou des consultations (la mairie de Bruges a notamment pu consulter ses administrés sur sa politique sportive), aux institutions (pour l’élection des bureaux d’une université par exemple), aux associations et entreprises, dont elle peut organiser les votes réglementaires, comme le vote en assemblée générale, et notamment celui des 20 000 associés de Time for the Planet invités à voter via la plateforme en 2021. Enfin, des primaires de partis politiques et peut-être bientôt les élections de nos représentants pourront également être proposées.
Nous avons réalisé la plus importante ICO en France en civic tech ces 5 dernières années
1 FRANÇAIS SUR 2 CRAINT DES MANIPULATIONS
Mais si elle apporte désormais la capacité à faire voter le plus grand nombre, en rendant les gens accessibles et en fournissant des dispositifs de consultation normés, l’association doit encore parvenir à lever plusieurs freins. « Le cadre réglementaire et légal n’est pas encore adapté pour un vote électoral en ligne. C’est la raison pour laquelle nous rencontrons actuellement les équipes de campagne de tous les candidats à l’élection présidentielle, pour qu’elles se positionnent sur ce sujet qui nécessite de la préparation : un débat national pour en fixer le cadre, des choix technologiques qui impliquent un grand nombre d’acteurs tels que l’Anssi ou la Cnil, et surtout des expérimentations grandeur nature qui permettront de prouver la fiabilité et la robustesse du système », précise Marion Le Blanc.
Car s’il existe un véritable intérêt pour le vote électronique dans la population, avec 8 Français sur 10 favorables au principe, le consensus est bien moins évident sur sa mise en œuvre, avec 1 Français sur 2 craignant les manipulations. Et si la réponse à ces doutes « est surtout technologique, avec des garanties de sécurité, d’inviolabilité et d’anonymat du votant, la fréquence de consultation sera un élément-clé pour l’expertiser autant de fois que nécessaire », analyse Jean-Sébastien Suze. C’est pourquoi Civicpower espère pouvoir mener des tests sur des élections locales à venir et ainsi « apporter la preuve par les faits », conclut Marion Le Blanc.
PARTENARIAT AVEC LEGORAFI
Le paradoxe est incontestable. D’un côté, « les citoyens se sentent éloignés des centres de décisions politiques, ce qui conduit à une démobilisation dont l’abstention et le désintérêt pour la chose publique sont des symptômes », constate Marion Le Blanc, cofondatrice de l’association Civicpower. Mais de l’autre, « il existe un ensemble de solutions technologiques qui leur permettent de donner leur avis sur tout et n’importe quoi. Notre rôle est de reconnecter les deux », ajoute la jeune femme. Pour attirer plus particulièrement les jeunes, Civicpower s’est associé au site satirique LeGorafi afin de créer un jeu interactif mettant en scène des personnages : les « Cryptopolitics », qui se combattent à base de joutes verbales. « Un gros travail éditorial a été fait pour rendre le jeu humoristique et toujours bienveillant », précise Marion Le Blanc. Autre point d’accroche : l’association a obtenu le soutien de sportifs, « qui s’engagent en faveur de la démocratie numérique et encouragent les jeunes à voter. C’est important pour nous car ce sont des joueurs de rugby engagés aux côtés de Civicpower des relais d’influence, de véritables porte-parole de notre engagement », assure la secrétaire générale de Civicpower, qui annonce le soutien à venir de nombreuses autres personnalités.