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Cohda : des sondages made in Gironde

BORDEAUX. Créé par Séverine Goasguen en 2011, Cohda est un institut d'études et de sondages made in France, spécialisé dans les questions sociétales et territoriales. Pour afficher sa philosophie et affirmer sa singularité, elle vient de prendre le statut d'entreprise à mission. Objectif : maintenir les emplois localement, gagner en visibilité sur le territoire et valoriser un métier basé sur l'humain.

Séverine Goasguen, Cohda

Séverine Goasguen, fondatrice et dirigeante de Cohda © Louis Piquemil / EJG

Elle a fait des difficultés un moteur. Sans jamais dévier de ses objectifs. Et si Séverine Goasguen « ne rêvait pas d’être cheffe d’entreprise », l’occasion de lancer l’institut d’études et de sondages Cohda lui a « permis d’aller au-delà de ce [qu’elle] pensait être en capacité de faire », reconnaît-elle. Tout commence en 1997, lorsqu’elle développe et dirige l’activité Études et sondages de Teleperformance, le leader mondial des centres d’appels. Quatorze ans plus tard, l’entre- prise décide de recentrer ses activités et de fermer cette division, dans le cadre d’un Plan de sauvegarde l’emploi (PSE). « L’idée de sauvegarder les emplois m’a portée. J’ai donc proposé de reprendre l’activité, convaincu une partie de l’équipe de me suivre et négocié les indemnités du PSE contre une subvention de Teleperformance », retrace-t-elle. Démarrant l’entreprise avec une structure importante, composée d’une trentaine de personnes, Séverine Goasguen décide de faire grandir Cohda par le chiffre d’affaires. « Conserver les équipes était mon unique but », tranche-t-elle.

L’idée de sauvegarder les emplois m’a portée

C’est pourquoi l’entreprise ne propose toujours aujourd’hui que des études made in France, réalisées depuis Bordeaux principalement, et « ferme les portes aux clients qui nous demandent de les produire ailleurs. C’est un choix que je défends depuis le départ. Ce sont les fondations même de Cohda, et cela a un certain coût », admet Séverine Goasguen.

 

TRANSFORMER LES ORGANISATIONS

Anagramme d’ad hoc, car ses études sont toutes créées sur mesure, Cohda souhaite mettre ce « métier noble au service des sujets territoriaux et de société ». L’institut fait aujourd’hui référence pour les études consacrées à l’insertion professionnelle, les observatoires de loyers, le décrochage scolaire, les pratiques digitales des entreprises, la relation clients ou encore les risques psychosociaux. « Notre mission est d’accompagner les décideurs dans leur prise de décision en leur apportant des éclairages sur leur marché, leur cible, leur secteur, en partant de l’humain », résume Séverine Goasguen.

Tout est conçu et réalisé en interne : « nous construisons la méthodologie, en définissant le meilleur mode de collecte des don- nées (appels téléphoniques, SMS, online ou via les réseaux sociaux, enquêtes mystères, face à face in situ…), le questionnaire et les grilles d’évaluation. Puis nous collectons l’information, l’analysons et la restituons », détaille la dirigeante de Cohda, qui réalise ses études à partir de fichiers loués. « Nos enquêtes ayant l’ambition de transformer en mieux les organisations ou les territoires, nous allons ensuite jusqu’à proposer du conseil à nos clients, grâce à tout un écosystème de prestataires experts auxquels nous nous sommes adossés », poursuit-elle.

Cohda, Bordeaux, Séverine Goasguen

Sur l’un des plateaux d’appels de Cohda, à Bordeaux © DR

LE « SUPPLÉMENT D’ÂME »

Une quarantaine de personnes en équivalent temps plein travaillent en moyenne pour l’entreprise chaque année, dont 18 CDI correspondant aux équipes organisatrices de l’activité : chargés d’études, commerciaux, administration/compta, direction de la production, chefs d’équipes des téléopérateurs. Cohda, qui a réalisé 184 enquêtes en 2022 pour un chiffre d’affaires de 1,9 million d’euros (+ 64 % en 12 ans), emploie entre 18 et 80 personnes sur l’année, installées dans ses locaux aménagés sur les boulevards, au niveau du Bouscat, comptant pas moins de 3 plateaux d’appels. « Nous avons besoin de flexibilité, car notre activité est par nature fluctuante et se construit au fil de l’année. Il y a aussi beau- coup de turn-over lié à la difficulté du métier », remarque Séverine Goasguen.

L’entreprise réalise tous les recrutements des téléopérateurs, qui sont ensuite formés et accompagnés par les responsables d’équipes, et intègrent notamment des seniors, des personnes en insertion professionnelle ou en situation de handicap. « Nous recherchons surtout du savoir-être avant du savoir-faire : il faut savoir s’exprimer, respecter un script, avoir une écoute active, savoir mener un entretien… », précise la dirigeante. Cohda, qui emploie également des téléopérateurs en télétravail depuis la crise sanitaire, dispose d’un pool d’enquêteurs en CDD d’usage fidélisés, « très attachés à l’entreprise et à ses valeurs. Le supplément d’âme de Cohda se propage même auprès des télétravailleurs, c’est une vraie satisfaction », se félicite Séverine Goasguen.

DE NOUVELLES DIFFICULTÉS

Le recours aux CDD d’usage, « vital pour les instituts d’études comme le nôtre », rappelle la dirigeante de Cohda, a d’ailleurs été soumis en 2020 à une taxe forfaitaire, « une sorte de bonus/malus visant à limiter le recours aux CDD », précise Séverine Goasguen, « ajoutant encore des difficultés à nous maintenir en France ». La loi Naegelen encadrant le démarchage téléphonique et luttant contre les appels frauduleux est également venue bousculer le secteur, en amalgamant les instituts d’études et sondages avec les centrales d’appels de télémarketing. « Nous n’avons rien à vendre, nous explorons la société dans un but de progrès. Or nous nous voyons imposer les mêmes contraintes : des numéros polyvalents dédiés aux centres d’appels ou encore l’interdiction d’appeler plusieurs fois le même numéro. Cela complique énormément notre activité », déplore Séverine Goasguen.

Nos métiers doivent être mieux valorisés

« Il s’agit d’un vrai bouleversement dans nos métiers, qui doivent être mieux valorisés. » Un changement qui impose à Cohda toujours plus de pédagogie auprès des donneurs d’ordre. « Nous devons leur expliquer nos contraintes : nos enquêtes prennent plus de temps, nécessitent plus de fichiers, tout cela coûte plus cher. »

DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL

Composés pour moitié d’entre- prises privées, tels que BPCE, RATP Real Estate, pour qui Cohda réalise notamment des enquêtes de satisfaction clients ; et pour moitié d’institutions publiques, telles que Bpifrance, différentes directions régionales de Pôle Emploi, des Drieets, les ARS mais aussi des OPCO, les clients de Cohda sont à 99 % français, mais seulement 10 % se situent en Nouvelle-Aquitaine. Parmi eux, Assurance Moto Verte (AMV, filiale du groupe Filhet-Allard) à Mérignac, Oxymetal à Bordeaux, le groupe Cina (Compagnie Immobilière Nouvelle Aquitaine), Keolis Bordeaux Métropole, pour qui Cohda a produit des enquêtes mystères pour évaluer la qualité de service délivrée sur le parcours voyageur, ou encore Ynov, sur le devenir des diplômés. « Nous voulons gagner en notoriété auprès des entreprises locales et remporter des marchés publics sur le territoire », annonce Séverine Goasguen.

La cheffe d’entreprise dispose d’un argument de poids pour percer en Nouvelle-Aquitaine : sa politique RSE. « Ces considérations sont dans notre ADN depuis le début, mais nous nous y sommes formés en interne pour aller plus loin et l’inscrire véritablement dans notre démarche », confie-t-elle. Et si ce sont toujours les prix qui guident les choix finaux des donneurs d’ordre à l’heure actuelle, « la RSE est poussée dans les appels d’offre et lors- qu’elle sera aussi importante que le prix, nous serons déjà prêts », assure Séverine Goasguen.

ENTREPRISE À MISSION

Ce travail mené sur la RSE a débouché en octobre 2023 sur la conversion de Cohda en entreprise à mission. Quatre piliers guident sa démarche : « être acteur de la concertation et impulser la coopération pour mener les études et le changement ; offrir aux collaborateurs un cadre favorisant le bien-être au travail ; contribuer au dynamisme du territoire et à l’inclusion sociale ; cultiver la sobriété et minimiser l’impact environnemental de l’activité ». Désormais, « faire du profit, être rentable, et apporter au bien commun sont les deux objectifs égaux de l’entreprise », affiche Séverine Goasguen. Ce nouveau cap, traduit dans une feuille de route et mesuré par des indicateurs, « doit permettre à Cohda de piloter sa mission, dans l’idée de progresser. Mon objectif en prenant ce statut est de le faire vivre de l’intérieur. C’était une évidence, c’était dans notre ADN, mais en fait c’est notre singularité et je veux que les équipes se l’approprient et le savourent », assure-t-elle.

L’entreprise, qui projette en 2023 un chiffre d’affaires de 2,2 millions d’euros, après « une très belle année », souhaite stabiliser sa croissance et « trouver l’équilibre qui va nous permettre de réaliser notre mission », précise Séverine Goasguen. « Cohda est une belle histoire, mais c’est une his- toire difficile : nous nous sommes construits dans l’adversité. Nous avons trouvé notre singularité et l’avons travaillé sous tous les angles. Cela restera notre philosophie car elle nous guide depuis nos origines », conclut-elle.

COHDA EN CHIFFRES

Date de création
2011 avec la reprise de l’activité Études et sondages de Teleperformance

Collaborateurs
18 CDI et environ 22 équivalents temps plein de plus en moyenne par an

CA 2022
1,9 million d’euros

Projection CA 2023
2,2 millions d’euros

Croissance depuis 2011
+ 64 %