Couverture du journal du 03/12/2024 Le nouveau magazine

Leo Valls – Bordeaux, ville skate

INTERVIEW - Pour la deuxième fois dans l’histoire des Jeux olympiques, des épreuves de skateboard auront lieu à Paris, cet été. Bordeaux, dont le skatepark des Chartrons a été labellisé Centre de préparation aux Jeux, est un modèle d’intégration du skate à l'aménagement urbain. L’un de ses artisans, le skateur professionnel bordelais Leo Valls, décrit comment la ville est devenue une référence internationale en la matière et les bénéfices associés.

Leo Valls, skate, Bordeaux, Jeux olympiques

Leo VALLS, skateur professionnel © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

 

 

Échos Judiciaires Girondins : Vous êtes l’une des figures du skate professionnel à Bordeaux. Quel est votre parcours ?

Leo Valls : J’ai 37 ans, j’ai grandi à Bordeaux et je fais du skate depuis l’âge de 12 ans. Quand j’étais jeune, le skate était une manière pour moi de sortir des sports classiques avec des règles, des codes, des podiums et de garder une forme de liberté. C’est aussi une pratique socioculturelle qui m’a fait m’intéresser à la ville et aux activités artistiques qui gravitent autour comme la production d’images, le design, l’urbanisme, l’architecture, la communication, etc.

Assez vite, je me suis rendu compte que le skate était aussi un outil permettant de rencontrer des gens et de voyager. Ce qui m’a amené à vivre à San Francisco et au Japon par exemple. Je suis devenu skateur professionnel assez jeune et je suis depuis sponsorisé par des marques pour qui je développe des projets en les représentant.

 

EJG : Quelles sont les valeurs véhiculées par le skate ?

L. V. : Le skate est une pratique née dans la rue, a priori en Californie, dans les années 1950. À Bordeaux, des archives montrent qu’il y avait déjà une communauté de skateurs qui investissaient les terrasses de Mériadeck en 1975 !

Pour moi, le skate représente la liberté, la créativité, l’ouverture vers les autres et vers le monde. C’est un mode d’expression personnelle, l’idée étant de développer sa propre personnalité, son style, ses figures et de trouver ses spots. La pratique du skate repose sur l’interaction avec la ville et la recherche de lieux qui ont une certaine esthétique urbaine. C’est donc un certain regard sur la ville qui développe une vraie créativité.

Ce sont ces valeurs originelles que nous voulons faire perdurer à travers les images que nous produisons. Inspirer et être inspiré permet d’apporter sa pierre à l’édifice de ce qu’est le skate.

Leo Valls, skateur professionnel © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

Leo Valls, skateur professionnel © Louis Piquemil – Echos Judiciaires Girondins

 

EJG : Qui sont vos sponsors ?

L. V. : Je suis sponsorisé depuis 2020 par la première marque de skate française, Magenta Skateboards, créée par trois amis : Vivien Feil, Jean Feil et Soy Panday, qui ont installé leurs bureaux entre Bordeaux, Paris et Strasbourg. L’idée était de créer une marque avec une identité française propre, axée sur la dimension artistique et urbaine du skate, en interagissant avec l’architecture des villes patrimoniales françaises comme Bordeaux, Paris, Marseille, Strasbourg, etc. Magenta est aujourd’hui la première marque de skate en France, elle est distribuée dans plus de 25 pays et nous avons une équipe de skateurs internationaux qui la représentent dans le monde entier, dont je suis aussi le team manager.

Je suis également sponsorisé par DC Shoes, marque de chaussure de skate, qui a notamment produit un documentaire sur mon travail d’intégration du skate à l’urbanisme. Mon statut de skateur pro m’a donné la légitimité de travailler sur cette démarche unique qui vise à valoriser le skate en l’intégrant, lorsque c’est possible, aux espaces publics et au développement urbain.

 

EJG : Vous avez donc une deuxième activité de consultant. Comment cela s’est-il fait ?

L. V. : Il faut d’abord rappeler qu’à Bordeaux, il y a un vrai engouement autour de la pratique du skate. On estime qu’il y a environ 35 000 pratiquants occasionnels sur la Métropole, un public assez large avec des enfants, des jeunes, des adultes.

Il y a environ 35 000 pratiquants occasionnels sur la Métropole

Dans les années 2000, et comme beaucoup d’autres mairies, la Ville de Bordeaux a estimé qu’à partir du moment où elle avait construit un skatepark, elle pouvait interdire la pratique du skate en ville. Les panneaux d’interdiction et les amendes se sont multipliés, des éléments d’architecture anti-skate ont été installés. Mais si les skateparks sont des lieux d’apprentissage nécessaires, ils ne correspondent pas à l’essence même de la pratique. C’est dans la rue que le skate prend sa dimension infinie basée sur l’exploration urbaine et l’interaction avec l’espace public, avec les gens…

À cette époque, il n’y avait aucune communication entre la ville et la communauté de skateurs, je me suis dit qu’il fallait vraiment faire quelque chose. On s’est rassemblé avec un premier collectif de skateurs pour proposer un système de médiation avec des horaires aménagés pour pouvoir faire du skate légalement dans les lieux totalement interdits au skate comme la place Pey-Berland, le cours du Chapeau-Rouge etc. Le tout sous le signe du partage de la ville.

Puis une exposition sur la dimension culturelle et urbaine du skate a été organisée avec Arc en rêve au CAPC. C’est à partir de là que nous avons travaillé avec les services de la mairie et de la Métropole sur la façon d’intégrer le skate au développement urbain.

 

EJG : Quels sont les bénéfices du skate pour la ville ?

L. V. : En recherche, on parle de théorie des paradoxes : comment une pratique qui peut sembler négative se transforme en atout. L’intérêt est de permettre à la ville de répondre aux problématiques de conflit d’usages en instaurant un dialogue, et de développer son espace public autour des questions sportives, culturelles, sociales et de jeunesse.

En 2017, j’ai donc créé une activité de conseil et travaillé avec des agences, des architectes, et avec les services Culture, Urbanisme, Sport, Mobilité ou Communication de la mairie et de la Métropole. J’ai 3 axes d’action. Le premier, qui est le socle de la démarche, c’est la médiation, avec l’installation d’une communication positive à destination de tous pour un bon partage de l’espace public. La Ville a produit en 2023 un Guide du skate avec des recommandations d’usage qui a permis de supprimer toutes les interdictions qui existaient depuis 1999. Un aboutissement après 7 ans de travail !

Le deuxième axe, ce sont les événements culturels, qui peuvent prendre la forme de sculptures skatables dans la ville. Chaque année, je travaille avec la Direction générale des affaires culturelles (DGAC) de la Ville de Bordeaux pour imaginer un nouveau parcours d’éléments artistiques calibrés pour la glisse urbaine, qui attirent touristes et skateurs.

Enfin, le dernier axe, c’est le skate urbanisme. Bordeaux est aujourd’hui une ville pilote en la matière.

 

EJG : Qu’est-ce que le skate urbanisme ?

L. V. : C’est une démarche qui consiste à intégrer le skate à l’urbanisme de la ville de manière libre et partagée. Par exemple en requalifiant des espaces en déshérence, comme on l’a fait avec la terrasse Koenig à Mériadeck, qui a bénéficié de travaux de réparation pour le skate : on a retravaillé les prises d’élan, les chanfreins, sans en faire un terrain de sport et en gardant l’aspect espace public partagé. Avec très peu d’investissement, le lieu a repris vie : naturellement, les skateurs créent du jeu, une forme de sécurité, les gens reviennent.

Des acteurs privés et des collectivités nous contactent pour appliquer « le modèle bordelais » à leur espace public

Cela peut aussi prendre la forme de mobilier urbain skatable. Bordeaux Métropole a par exemple dispatché des bancs en granit dans plusieurs espaces publics de la ville et cela fonctionne très bien. Ces projets sont intégrés dans le schéma directeur du skate de Bordeaux Métropole, qui cartographie la ville et fait des propositions d’aménagement stratégique avec une vision globale du territoire. Aujourd’hui, des acteurs privés et des collectivités nous contactent pour appliquer « le modèle bordelais » à leur espace public. Je travaille par exemple avec le bureau d’architecture Nikken, à Tokyo, pour déployer la démarche au Japon.

Nous avons également imaginé un nouveau festival international autour du skate et de son intégration à l’urbanisme. « Connect » aura lieu le 16 octobre à la cour Mably, à Bordeaux, avec des conférences de chercheurs et de politiques, des projections, des expositions et un nouveau parcours de sculptures skatables installé dans la ville. Ce sera l’occasion, après les Jeux olympiques de Paris, de replacer le curseur sur l’aspect culture, social et urbanisme du skate.

Leo Valls sur les sculptures du projet CONTACT, des sculptures skateables installées au Miroir d'eau en 2023 © David Manaud

Leo Valls sur les sculptures du projet CONTACT, des sculptures skateables installées au Miroir d’eau en 2023 © David Manaud

 

EJG : Le skateboard fait en effet l’objet d’épreuves aux JO de Paris pour la deuxième fois de l’histoire. C’est une occasion de mettre en avant la pratique…

L. V. : Comme les skateparks, qui sont utiles, le fait que l’aspect sportif du skate se développe est positif, c’est complémentaire avec la pratique libre. Mais lorsque l’épreuve de skate a eu lieu pour la première fois aux JO de Tokyo en 2020, la communauté du skate japonaise a été confrontée à une interdiction de la pratique de rue, le gouvernement ayant investi dans des skateparks. Cela crée un décalage avec la manière dont on pratique réellement le skate.

Les JO ont besoin de rajeunir leur image et s’intéressent aujourd’hui au skateboard, au breakdance, au surf, etc. Mais on ne peut pas les traiter comme les sports plus classiques. En tant que passionnés et puristes du skate, nous faisons très attention à sa récupération.

Le foisonnant écosystème skate bordelais

La communauté bordelaise du skate réunit autour de skateurs professionnels tels que Leo Valls toute une filière économique avec des marques comme Magenta ou Rave ; des magasins spécialisés comme Riot Skateshop ; des associations comme Board’o, la Brigade Darwin ou encore Bordeaux Skate Culture, qui développent le skate sur le plan pédagogique ; des médias (le premier média de skate, SuGar, est à Bordeaux) ; des photographes spécialisés comme David Manaud, référence en la matière ; des vidéastes ; des designers ; et même le siège de la Fédération française de roller et skateboard (FFRS).