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Entretiens individuels : le point sur les obligations de l’employeur

LE CYCLE DU DROIT SOCIAL (2/4) : En constante mutation, le droit du travail reçoit des applications quotidiennes que chacun, employeur ou salarié, expérimente au fil de sa carrière. Dans une série de quatre chroniques, les avocats de l’Institut du droit social du Barreau de Bordeaux décryptent les différentes actualités de la matière. Cette semaine, le points sur les obligations de l’employeur inhérentes aux entretiens individuels.

Entretiens individuels

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Pour l’employeur, fin d’année rime souvent avec organisation des entretiens individuels des salariés. Quels sont précisément les entretiens qu’il doit organiser ? Le point sur les différents entretiens.

L’ENTRETIEN INDIVIDUEL D’ÉVALUATION, OUTIL FACULTATIF AU SERVICE DE L’EMPLOYEUR

Si cet entretien est le plus connu des salariés et le plus couramment organisé, il demeure facultatif dans la mesure où il n’est pas imposé par la loi. Certaines conventions collectives l’imposent toutefois, comme la convention collective du notariat 1. Qu’il soit facultatif ou prévu conventionnellement, cet entretien est un outil particulièrement utile. Le point sur En effet, d’abord, il permet d’évaluer les compétences professionnelles du salarié, d’apprécier les objectifs atteints sur l’année écoulée et de fixer ceux pour l’année à venir. Il permet également au salarié d’évoquer avec son supérieur hiérarchique les éventuelles difficultés rencontrées et les souhaits d’évolution salariale et de carrière. Cet entretien est ensuite un outil non négligeable pour l’employeur qui envisagerait la rupture du contrat de travail d’un salarié, par exemple dans le cadre d’une insuffisance professionnelle. Il permet de rapporter la preuve de cette insuffisance et des éventuelles mesures prises pour y pallier, qui n’auraient pas porté leurs fruits. Il s’agit aussi d’un outil pouvant être utilisé en cas de licenciement pour motif économique, dans le cadre de la prise en compte des qualités professionnelles comme critère d’ordre légal des licenciements 2. Enfin, l’employeur doit faire preuve de vigilance lors de sa mise en place : il nécessite notamment, et au préalable, d’informer les salariés des méthodes d’évaluation professionnelle, et de consulter le comité social et économique ; s’il est mis en place, il doit l’être pour l’ensemble des salariés.

LES ENTRETIENS INDIVIDUELS OBLIGATOIRES, OUTILS PERMETTANT À L’EMPLOYEUR DE RESPECTER SES OBLIGATIONS EN MATIÈRE DE SANTÉ ET DE SÉCURITÉ DES SALARIÉS, ET DE LES ACCOMPAGNER DANS LEUR ÉVOLUTION PROFESSIONNELLE

Le code du travail prévoit un certain nombre d’entretiens obligatoires, lesquels s’inscrivent dans la place prépondérante actuelle de la santé au travail et de la formation des salariés.
– L’entretien professionnel Cet entretien ne doit pas être confondu avec l’entretien d’évaluation ; le code du travail prévoit d’ailleurs expressément qu’il « ne porte pas sur l’évaluation du salarié » 3. Il porte sur les perspectives d’évolution professionnelle du salarié, et sert à délivrer des informations relatives à la validation des acquis de l’expérience, à l’activation par le salarié de son compte personnel de formation, aux abondements de ce compte et au conseil en évolution professionnelle. L’entretien professionnel doit être organisé tous les deux ans et, tous les six ans, un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié le complète. Il doit de plus être proposé au salarié reprenant une activité à la suite du congé de maternité, congé parental d’éducation, congé de proche aidant, congé d’adoption, congé sabbatique, d’une période de mobilité volontaire sécurisée ou d’une période de temps partiel suivant le congé de maternité ou d’adoption, d’un arrêt longue maladie, ou à l’issue d’un mandat syndical.
– L’entretien annuel relatif au télétravail Souvent oublié, l’entretien relatif au télétravail est prévu expressément par le code du travail 4, quelle que soit la fréquence du télétravail mis en place. L’employeur doit organiser cet entretien chaque année, pour évoquer a minima les conditions d’activité du salarié et sa charge de travail.
– L’entretien relatif au forfait annuel en jours L’employeur a pour obligation légale de s’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié soumis à une convention de forfait annuel en jours est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail 5. Cela implique d’organiser chaque année au moins un entretien portant sur la charge de travail du salarié, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et sa rémunération. L’absence d’organisation de cet entretien est sévèrement sanctionnée puisqu’elle rend inopposable la convention au salarié, entraînant l’application de la durée légale du travail (trente-cinq heures hebdomadaires) et la possibilité pour celui-ci de réclamer le paiement des heures supplémentaires 6.
– L’entretien de début et de fin de mandat Ce n’est que si le représentant du personnel titulaire, le délégué syndical ou le titulaire d’un mandat syndical le sollicite que le code du travail 7 impose à l’employeur d’organiser un entretien en début de mandat.
Cet entretien porte sur les modalités pratiques d’exercice du mandat au sein de l’entreprise au regard de l’emploi occupé.
Concernant l’entretien de fin de mandat, l’employeur a l’obligation de le proposer 8. Il a pour but de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise, et de recenser les compétences acquises au cours du mandat. Il peut coïncider avec l’entretien professionnel si celui-ci tombe au même moment, au regard du calendrier.

LA NÉCESSITÉ POUR L’EMPLOYEUR D’ORGANISER DES ENTRETIENS DISTINCTS, AVEC DES COMPTES-RENDUS ÉCRITS

Si l’ensemble de ces entretiens peuvent être organisés sur une même journée ou un même temps, l’employeur doit s’assurer de ne pas les mélanger et d’accorder un temps distinct pour chacun d’eux 9. La Cour de cassation a eu l’occasion de le préciser récemment, concernant l’organisation de l’entretien individuel d’évaluation et l’entretien professionnel, en décidant que « [l’article L. 6315-1 du code du travail] ne s’oppose pas à la tenue à la même date de l’entretien d’évaluation et de l’entretien professionnel pourvu que, lors de la tenue de ce dernier, les questions d’évaluation ne soient pas évoquées » 10. Pour des raisons organisationnelles, cette solution ne peut qu’être approuvée, notamment si les entreprises souhaitent consacrer un temps unique par salarié pour l’ensemble des entretiens s’imposant à elles. Toutefois, et comme le souligne la Cour de cassation, cela ne doit pas conduire à un entretien unique, chacun des différents entretiens ayant un objet déterminé. Il sera dans ce cadre plus aisé pour l’employeur de pouvoir justifier sans aucune ambiguïté avoir rempli ses obligations légales en organisant distinctement chaque entretien individuel. *

Concernant l’entretien professionnel, le code du travail prévoit expressément qu’il « ne porte pas sur l’évaluation du salarié »

À ce titre, l’employeur doit veiller à la rédaction d’un compte-rendu écrit : il s’agit d’ailleurs d’une obligation légale pour l’entretien professionnel et l’entretien relatif au forfait annuel en jours. Lorsqu’il n’est pas rendu obligatoire par la loi, le compte-rendu écrit est fortement conseillé : cela permet d’aménager la preuve de l’organisation desdits entretiens, et de s’en prévaloir aussi bien sur la forme – les entretiens ont effectivement été organisés – que sur le fond – en cas d’éventuel licenciement pour justifier du motif, ou dans le cadre de la mise en œuvre des souhaits du salarié concernant sa formation ou son évolution de carrière. Il convient de souligner que c’est à l’employeur d’apporter la preuve du respect de ses obligations en matière d’organisation des entretiens. Cette preuve est d’autant plus importante que la tendance actuelle des juridictions est de mettre l’accent sur l’exhaustivité des mesures mises en œuvre par l’employeur pour garantir la santé et la sécurité des salariés.

Ainsi, l’absence d’organisation d’un entretien individuel est considérée comme un manquement de l’employeur à son obligation de prévention de santé et de sécurité. La Cour de cassation a en effet retenu à l’occasion d’un arrêt du 13 avril 2023 qu’un tel manquement était caractérisé, dès lors que l’employeur ne justifiait pas avoir organisé l’entretien relatif au forfait annuel en jours, impliquant de veiller à la charge de travail du salarié 11. L’employeur doit donc apporter un soin particulier à l’organisation des entretiens individuels, ce qui n’est pas toujours évident dès lors que la loi n’apporte que peu d’informations quant à leurs contenus. Il est conseillé de se rapprocher d’un avocat pour envisager le cadre et les questions à poser lors de ces différents entretiens.

L’INSTITUT DU DROIT SOCIAL
Émanation de l’Ordre des Avocats du Barreau de Bordeaux, l’Institut du Droit social (IDS) a pour mission principale de renseigner les employeurs (des secteurs privé et associatif) ainsi que les salariés, sur toutes les questions de droit social. Il regroupe les avocats ayant développé une compétence spécifique dans ces domaines. L’IDS intervient, tant en conseil qu’en contentieux, sur des problématiques concernant le Droit du travail, le Droit de la sécurité sociale, et le contentieux URSSAF. Les avocats de l’IDS participent régulièrement à des ateliers, conférences et événements organisés par le milieu économique local et régional.
Contact : ids@barreau-bordeaux.com

 

1 Articles 16 et 17 de la convention collective nationale du notariat (IDCC 2205).
2 Article L. 1233-5, al. 4° du code du travail.
3 Article L. 6315-1 du code du travail.
4 Article L. 1222-10, in fine du code du travail.
5 Article L. 3121-60 du code du travail.
6 Cass, soc. 10 février 2021, n° 19-13.454.
7 Article L. 2141-5 du code du travail.
8 Article L. 2141-5 et article L. 6315-1 du code du travail
9 A l’exception de l’entretien de fin de mandat, puisque l’article L. 2141-5, in fine du code du travail envisage expressément le cas où il se déroule dans le cadre de l’entretien professionnel.
10 Cass, soc. 5 juillet 2023, n° 21-24.122.
11 Cass, soc. 13 avril 2023, n° 21-20.043.
12 Article L. 6315-1 du code du travail.

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