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IHU Liryc, l’atout cœur de Bordeaux

L’Institut de RYthmologie et de modélisation Cardiaque (LIRYC) a été fondé en 2012 autour d’équipes pluridisciplinaires afin de faire avancer la recherche et la prise en charge des maladies du cœur. Son nouveau directeur général Pierre Jaïs, qui a pris ses fonctions le 1er février 2021, nous détaille les avancées majeures permises par ce pôle d’excellence et revient sur les défis qui l’attendent, notamment en matière de financement. Entretien.

Pierre Jaïs Bordeaux IHU Liryc

Expert de renommée internationale, Pierre Jaïs est professeur à l’Université de Bordeaux et responsable de l’unité d’électrophysiologie au CHU de Bordeaux @ Marie-Astrid Jamois

Échos Judiciaires Girondins : Quand l’IHU Liryc a-t-il été créé et dans quel but ?

Pierre Jaïs : « J’ai commencé à travailler avec son fondateur le Pr Michel Haïssaguerre en 1992, et nous avons créé l’IHU Liryc avec le Dr Mélèze Hocini en 2012. Issues du Programme d’investissements d’avenir (PIA), les IHU sont des structures complètement nouvelles dans le paysage de la recherche en France, et même dans le monde. Elles réunissent des compétences pluridisciplinaires, sous la direction de médecins, et des plateformes technologiques de très haut niveau, le tout au service d’une cause médicale. Le but est d’avoir un impact sur les soins aux patients, c’est ce qui est complètement nouveau. En réunissant sous le même toit des mathématiciens, des spécialistes de l’électrophysiologie cellulaire, de l’imagerie, du métabolisme, de l’histologie, de la biologie moléculaire… Nous avons levé un des verrous majeurs de la recherche, qui est le fractionnement et les silos. C’est à mon avis la force des IHU : tout cela crée des opportunités extraordinaires. »

Nous avons fait une découverte qui a complètement bouleversé la prise en charge de la fibrillation atriale dont 500 000 personnes bénéficient chaque année dans le monde

EJG : Sur quels sujets les équipes de l’IHU Liryc travaillent-elles précisément ?

IHU Liryc Bordeaux

© D. R.

Pierre Jaïs : « Le but premier de l’IHU est de soigner les maladies du rythme cardiaque, dont essentiellement trois pathologies. La première, la fibrillation atriale, est un emballement du rythme qui correspond à l’arythmie la plus fréquente dans le monde. Elle concerne 1 % à 2 % de la population générale et peut avoir des conséquences délétères comme une augmentation du risque d’insuffisance cardiaque, un risque de développer la maladie d’Alzheimer multiplié par deux, elle est également à l’origine de 20 % des AVC. Nous avons fait une découverte qui a complètement bouleversé la prise en charge de cette arythmie, en identifiant la zone du cœur où elle commence. Nous avons construit un traitement non médicamenteux, dont 500 000 personnes bénéficient chaque année dans le monde.

Deuxième pathologie : les arythmies ventriculaires, qui sont à l’origine de la mort subite. Dans ce cas, une tornade électrique fait monter les battements d’une soixantaine à plusieurs centaines de coups par minute. Le cœur ne pouvant plus se contracter à cette vitesse-là, le cerveau meurt dans les trois minutes. C’est un thème majeur selon nous, puisqu’elle concerne 50 000 personnes en France chaque année. Là aussi, notre équipe a identifié le point de départ de certaines de ces arythmies ventriculaires, et nous avons développé plusieurs traitements totalement nouveaux. Enfin, troisième thème majeur : les insuffisances cardiaques. Le cœur est une pompe qui se contracte pour expulser le sang dans tout notre corps. C’est une étincelle électrique qui déclenche cette contraction, et de la qualité de cette étincelle et de sa propagation homogène dépend l’efficacité de la contraction, tout dérèglement pouvant provoquer une insuffisance cardiaque d’origine électrique. Nous avons de nombreux programmes de recherche sur ce thème, et l’un des membres de notre équipe a énormément contribué au traitement avec des stimulateurs (pacemakers) capables de resynchroniser la contraction en resynchronisant l’activation électrique qui la précède. »

50 centres dans le monde utilisent la technologie InHeart, qui a contribué à ce jour à traiter plus de 3 000 patients

EJG : Quelles sont les grandes missions de l’IHU ?

Pierre Jaïs : « L’IHU a quatre missions : la recherche, le soin, l’innovation et l’enseignement. Nous soignons des patients dans le service de l’IHU, situé à l’hôpital Haut-Lévêque (CHU de Bordeaux), qui est le service d’électrophysiologie le plus actif de France, et de loin. Côté innovation, trois start-ups sont nées au sein de l’IHU : Certis Therapeutics, OP2 Drugs et InHeart. Cette dernière reposait initialement sur un programme de recherche académique qui est devenu le programme d’imagerie de l’IHU Liryc : nous avons créé un logiciel qui permet d’exploiter toutes les données d’imagerie cardiaque (IRM, scanner…) que l’on fait systématiquement aux patients avant une intervention et qui étaient largement sous-utilisées. Nous avons créé des reconstructions en 3 dimensions du cœur du patient, une sorte de jumeau numérique qui donne l’anatomie exacte, les zones fragiles, les zones malades… On peut ensuite injecter ce jumeau numérique dans le système informatique avec lequel on fait l’intervention, nos cathéters sont ainsi recalés exactement dans l’anatomie réelle du patient. C’est comme si, au lieu de travailler dans une pièce noire, on avait tout à coup allumé la lumière ! Grâce à InHeart, nous avons fait passer le temps d’intervention de 5 heures à moins de 2 heures. L’expérience patient est bien meilleure, c’est aussi un gain pour l’opérateur, pour la structure, pour le système de santé. Mais on s’est vite retrouvé débordé par le succès du projet académique, nous avons donc dû créer une société dédiée, que j’ai cofondée : InHeart. Il y a actuellement un réseau de 50 centres dans le monde qui utilisent cette technologie, qui a déjà contribué à traiter plus de 3 000 patients, notamment dans des centres leaders aux États-Unis et en Australie. »

Nous avons construit un simulateur unique au monde dans un matériau qui reproduit exactement la résistance mécanique du cœur

IHU Liryc Bordeaux

@ Production du désert

EJG : Vous avez également une mission de formation…

Pierre Jaïs : « Nous avons développé beaucoup de choses, innové dans de nombreux domaines, y compris dans des stratégies cliniques. Nous avons donc développé, avec le Pr Pierre Bordachar (ex-directeur formation de l’IHU), un programme très ambitieux d’e-learning sur lequel les internes en médecine peuvent venir chercher tout ce qu’il faut savoir en cardiologie. Nous avons aussi créé cette année un master qualifiant en électrophysiologie avec l’Université de Bordeaux. Et puis nous avons le projet SIMRIC : un simulateur pour apprendre à faire les interventions cardiaques. Nous avons construit un cœur en trois dimensions dans un matériau qui reproduit exactement la résistance mécanique d’une paroi cardiaque et qui permet de retrouver les sensations tactiles quand on manipule les cathéters qu’on utilise chez les patients. Par-dessus, nous avons développé, avec Rémi Dubois (directeur de l’innovation à l’IHU), une interface logicielle qui permet de voir l’anatomie en 3D du cœur, un jumeau numérique sur lequel les personnes en apprentissage peuvent voir différents scénarios d’arythmie, intervenir, stimuler et observer les conséquences de la stimulation, mais également simuler la destruction de la zone malade et ses conséquences sur l’arythmie. Nous avons prévu d’installer six de ces simulateurs made in Liryc à l’IHU pour organiser des sessions d’apprentissage des médecins qui vont se destiner à cet exercice. C’est très important, car désormais, l’apprentissage ne se fait plus chez le patient directement. »

 

EJG : Vous avez pris la direction de l’IHU Liryc le 1er février 2021. Était-ce une suite logique pour vous qui étiez directeur adjoint de Michel Haïssaguerre ?

Pierre Jaïs : « Ce n’était pas complètement naturel pour moi de me retrouver dans la peau du directeur. Je suis quelqu’un qui doute beaucoup, donc cela m’a demandé un certain temps de réflexion. Pendant 18 mois, j’ai réfléchi, consulté les chercheurs de l’IHU, mais aussi Michel Vounatsos, le président de notre conseil de gestion. J’ai finalement réussi à développer une vision de ce qui pouvait être important, avec deux priorités absolues dans ma direction à l’Institut. La première, c’est de faire en sorte que toutes les équipes qui constituent l’IHU travaillent vraiment ensemble. Nous avons dans ce cadre restructuré notre comité scientifique afin de définir les problèmes prioritaires pour lesquels nous allons développer des projets de recherche. Deuxième point, il ne faut certes pas casser la dynamique des découvertes issues des travaux fondamentaux, qui n’ont aucune idée d’application au départ, et nous ont permis de créer InHeart, par exemple. Mais j’ai demandé aux chercheurs de consacrer au moins la moitié de leur temps à des projets qui peuvent avoir un impact direct sur les soins aux patients. C’est très naturel pour un médecin, pour les chercheurs, en revanche, ça l’est moins, mais c’est la vocation de l’IHU. »

Nous sommes connectés au programme de transplantation cardiaque, nous pouvons donc étudier et travailler sur des cœurs humains battants

IHU Liryc Bordeaux

© Léon Grosse

EJG : Quels sont les défis à relever pour l’IHU dans les années à venir ?

Pierre Jaïs : « Ils sont nombreux et de natures diverses. Il y a clairement un défi de positionnement dans le paysage de la recherche française : les IHU doivent trouver leur place. Il va falloir pour cela travailler ensemble, c’est pourquoi les sept IHU de France se sont regroupés au sein d’une structure unique qui est en cours de création. Nous avons identifié un certain nombre de thèmes sur lesquels travailler ensemble et développer des synergies, comme le jumeau numérique. Ensuite, nous avons un défi financier, puisqu’en théorie, l’État nous demande d’être autosuffisants financièrement en 2025, ce qui est inédit en France pour une structure de recherche publique. Et c’est assez compliqué, même si nous avons plus d’agilité que les structures de recherche antérieures, en partie parce que nous sommes adossés à des fondations de coopération scientifique. Actuellement, le financement public des IHU passe par l’ANR (l’Agence nationale de la recherche). L’Université et le CHU de Bordeaux contribuent également. Nous avons aussi lancé une campagne de mécénat (voir encadré). Et puis l’IHU génère lui-même des ressources, à travers des collaborations industrielles importantes. Nous pouvons en effet mettre à la disposition des industriels un savoir-faire et des plateformes techniques très attrayantes, comme notre plateforme d’évaluation des outils. Nous pouvons aussi utiliser notre simulateur en banc de test, puisqu’il reproduit la résistance mécanique des cœurs. On peut par exemple y tester les nouveaux cathéters des industriels et leur faire des retours sur ce qu’il faut améliorer, c’est très précieux. Nous générons donc des prestations de services et des revenus par ce biais-là, et cela devrait s’accroître de manière importante. »

 

EJG : Mettez-vous également vos infrastructures au service d’entreprises locales ? Si oui, pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

Pierre Jaïs : « La société FineHeart, par exemple, a utilisé à la fois notre savoir-faire, dont celui des chirurgiens pour implanter sa turbine, mais aussi des infrastructures pour l’évaluation des résultats. Nous devons à nouveau collaborer avec eux pour tester leurs turbines en conditions hyper réelles avant leurs tests sur l’homme en 2022. Nous avons en effet la chance d’être connectés au programme de transplantation cardiaque, nous pouvons donc étudier et travailler sur des cœurs humains qui ont été prélevés, mais jugés pas assez bons pour être greffés. FineHeart nous a demandé de placer leurs turbines sur ces cœurs battants, ce qui constituera leurs premiers tests sur des cœurs humains. Nous allons également collaborer avec TreeFrog Therapeutics sur un gros projet prochainement. Nous avons aussi des projets de développement de valves cardiaques, avec de l’impression tissulaire en 3D avec la société girondine Poiétis. Et il devrait y en avoir d’autres car nous avons un projet très structurant pour l’IHU, possiblement générateur de ressources financières : la création d’une plateforme de bio-ingénierie, de développement de nouveaux outils, comme des cathéters, des électrocardiogrammes simplifiés, etc. Au cours des 30 dernières années, nous avons contribué à créer des cathéters qui sont fabriqués aux États-Unis et utilisés des centaines de milliers de fois par an dans le monde. Grâce à cette plateforme, nous pourrons développer des outils, aller jusqu’à une preuve de concept, commencer à construire des prototypes, les tester, puis les proposer aux industriels en négociant un partenariat avec des retombées financières pour l’Institut. Elle pourra aussi accueillir des start-ups qui vont trouver là un plateau qui sera sans équivalent en France. Nous ne deviendrons certainement pas un industriel géant du secteur, mais nous arriverons à améliorer les soins aux patients par l’intermédiaire de ces innovations technologiques. Il y a beaucoup d’opportunités, ce sera aussi l’occasion d’attirer des fonds d’investissement, de créer plus de start-ups, etc. »

 

UNE CAMPAGNE DE MÉCÉNAT « GRANDS DONATEURS »

Afin de répondre à l’obligation de devenir autosuffisants financièrement d’ici 2025, les sept IHU de France ont mis en place des stratégies de mécénat avec des campagnes de collecte. « L’idée est d’abord de fédérer des grands donateurs et des grandes entreprises », explique Vincent Bitker, directeur du mécénat à l’IHU Liryc, qui a pour objectif d’ici 2025 d’atteindre 10 millions d’euros de collecte, qui devront à terme représenter 25 % des ressources de l’Institut. La campagne lancée en 2020, appelée « Light up your heart », lui a déjà permis d’atteindre 42 % de cet objectif. Elle réunit des donateurs internationaux mais aussi locaux, notamment Bernard Magrez, Cap Ingelec, le Crédit Mutuel Arkéa ou les vignobles André Lurton. « Notre challenge aujourd’hui est d’élargir ce premier cercle, c’est pourquoi nous avons créé un comité de campagne », ajoute Vincent Bitker, qui a structuré une véritable équipe de mécénat, qui devra, outre collecter l’argent, « développer la notoriété de l’IHU », puis au-delà, « développer une collecte grand public », en allant vers « une stratégie legs ».

Plus de renseignements

L’IHU EN CHIFFRES

Date de création : 2012

Effectifs : 162 personnes

Nationalités : 23

Spécialités : 3 maladies du rythme cardiaque

Start-ups créées : 3

Brevets déposés : 18

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