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[ Incendies en Gironde ] Des maux et des remèdes

Retour sur cet été de feu avec Stéphane Viéban, directeur général d’Alliance Forêts Bois. Cet automne, les parcelles incendiées seront exploitées.

Stéphane Viéban, Alliance Forêts Bois

Stéphane Viéban © Alliance Forêts Bois

Échos Judiciaires Girondins : Comment situez-vous ces incendies dans l’échelle du temps et du climat ?

Stéphane Viéban : « Tout d’abord, il faut plutôt parler de feux hors norme que de mégafeux, ceux qui dévastent des centaines de milliers d’hectares aux États-Unis ou en Australie. Les incendies de juillet représentent 20 000 hectares et ceux d’août 8 000 hectares (au 16 août, ndlr) : 30 000 hectares de forêt*, c’est gigantesque, mais les Landes de Gascogne comptent un million d’hectares et il ne faut pas oublier que la tempête Klaus, en 2009, a détruit 200 000 hectares. Et si on remonte aux étés 1949 et 1950 qui ont marqué l’histoire des hommes et de la forêt landaise, on se souvient que 400 000 hectares avaient brûlé. Ce qui avait donné lieu à l’organisation d’associations de Défense de la forêt contre les incendies (DFCI) pour créer des pistes, points d’eau et systèmes d’alerte. Jusqu’à cet été, cela a limité la surface d’incendie malgré des centaines de départs de feu. Là, le contexte était exceptionnel, avec deux incendies simultanés : végétation très sèche, canicule, vent. Nous craignons que ces conditions soient réunies de plus en plus souvent. »

Il ne faut pas oublier que la tempête Klaus en 2009, avait détruit 200 000 hectares de forêt

EJG : Quel est l’état des lieux ?

Stéphane Viéban : « Les sites nous ont été interdits par arrêtés préfectoraux le 10 juillet, totalement puis avec accès le matin. Nous avons uniquement travaillé sur réquisition de moyens pour réaliser les pare-feux et sécuriser les villages, mais cela ne compensera pas l’activité, juillet étant un mois très chargé d’habitude. La baisse d’interventions a impacté notre chiffre d’affaires, sans indemnisation prévue, et l’approvisionnement d’entreprises a été très tendu : des papeteries tournent à 50 % par manque de ressources.

À partir de septembre-octobre, nous interviendrons pour exploiter les parcelles incendiées : sur celles de moins de 15 ans, c’est-à-dire 30 % de Landiras, rien n’est récupérable et il faudra broyer. Sur les 70 % restants, une partie pourra être consommée par nos clients auxquels nous demandons de faire preuve de solidarité, même si la qualité n’est pas la même, et de maintenir les prix. Cette phase devrait nous occuper jusqu’au printemps 2023. Puis ce sera la reconstitution, nous espérons replanter dès l’automne 2023. Les zones brûlées seront recolonisées à partir des zones qui ont échappé à ce drame et, sur quelques années, la biodiversité reviendra. »

 

EJG : Quels sont les conditions et moyens pour cette renaissance ?

Stéphane Viéban : « Ce sont des forêts privées, des sylviculteurs ont tout perdu. On les accompagne depuis des décennies : voir des investissements d’une ou plusieurs générations partir en fumée en quelques heures, c’est un drame. Pour les 30 % sans aucune valeur de bois, c’est une totale perte de valeur d’avenir et ils devront, en plus, payer pour reboiser. J’ai pu m’exprimer auprès du président de la République pour un soutien de l’État dans le financement de la replantation des forêts brûlées, comme il a soutenu les sinistrés de l’Est de la France après les attaques de scolyte.

Une autre piste de solidarité concerne les entreprises, qui peuvent passer de l’émotion à l’action via le label bas carbone attribué par le ministère de la Transition écologique : il leur permet de compenser leur émission en finançant des opérations. En reboisant des parcelles incendiées, elles bénéficient de crédits carbone volontaires. Notre groupe travaille déjà avec Orange, avec des compagnies aériennes, le bâtiment… Nous pouvons proposer aux entreprises qui veulent reconstituer la forêt sinistrée de monter ce dossier. Nous le faisons déjà, cela représente des milliers d’hectares. On peut s’en occuper dès cet automne et les faire agréer par le ministère pour réaliser des reboisements sur 3 à 5 ans. »

Nous espérons replanter dès l’automne 2023

EJG : Qu’est-ce qui va changer ?

Stéphane Viéban : « La forêt paie un lourd tribut au changement climatique, alors même qu’elle est une solution au problème en captant du carbone. Comme après les étés 1949-1950, une importante réorganisation devrait suivre : c’est la première heure qui est essentielle. Dans ces conditions exceptionnelles, les moyens terrestres ne suffisent plus, malgré la synergie pompiers-forestiers. Les 4 à 5 % de feux qui ne sont pas aussitôt éteints doivent être combattus avec les moyens aériens, tous basés à Nîmes. Voilà pourquoi le président de la Région souhaite en positionner en Nouvelle-Aquitaine.

La question des assurances se posera aussi, peu de sylviculteurs sont assurés et nous verrons à quel prix ce sera possible.

Nous allons forcément tirer des enseignements, prévoir davantage de pare-feux, quadriller la forêt avec ces points d’appui pour les pompiers, avec des zones de sable le long des pistes, des routes et, peut-être, des évolutions techniques avec des corridors de feuillus s’ils arrivent à supporter les changements climatiques. Le pin maritime reste l’essence qui valorise le mieux le sol des Landes de Gascogne, il produit du bois de qualité et pousse sur ces terres parmi les plus pauvres de France, il s’adapte quand il fait sec.

Cela nous conforte dans les décisions que nous étions déjà en train de prendre : ce changement climatique est une réalité, il est peut-être plus rapide que ce que les experts avaient imaginé. La forêt aura encore plus besoin de l’homme pour s’adapter, et inversement, l’homme a besoin d’elle pour réduire ce changement. La course contre la montre que les forestiers sont appelés à mener nous oblige. Et cette migration assistée de la forêt se fera tout en assurant les conditions économiques, puisqu’il faudra bien la payer, et en répondant aux besoins en bois de la société pour l’énergie, la construction… Nous devrons être encore plus audacieux, en restant très modestes. »

 

* À La Teste, au cas unique en France de forêt usagère s’ajoutent forêt domaniale et privées. À Landiras, c’est une forêt à 95 % privée, avec une moitié d’adhérents d’Alliance Forêts Bois.

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